Le « réarmement démographique » proposé par Macron a été testé par de nombreux pays (sans grand résultat)
Les politiques tournées vers le redressement de la natalité ne fonctionnent pas, en tout cas quand c’est leur but explicite.
Et si le « réarmement démographique » était tout bonnement impossible ? Emmanuel Macron, dans sa conférence de presse du 16 janvier, a déclenché de nombreux débats avec une expression censée annoncer une grande politique nataliste. La cause, c’est bien sûr la baisse du nombre des naissances sur le territoire français : avec moins de 700 000 nouveau-nés en 2023, la fécondité atteint 1,68 enfant par femme.
Parler de « réarmement démographique » est « extrêmement inquiétant » selon cette historienne
Le Président de la République, face à cette courbe descendante, a donc annoncé (ou plutôt confirmé, l’initiative étant prévue depuis 2021) l’arrivée d’un « grand plan contre l’infertilité », en esquissant des mesures sur plusieurs fronts. Un congé de naissance, plus court et mieux payé, plutôt qu’un congé parental sur le front social ; des mesures pour enrayer la montée de l’infertilité masculine et féminine sur le terrain de la santé.
#Naissances 👶 | En 2022, 726 000 bébés sont nés en France. Il s’agit du nombre de naissances le plus faible depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale
👉 https://t.co/3KsZNyxL3H pic.twitter.com/HUswptcCGX— Insee (@InseeFr) September 28, 2023
Mais voilà, la France n’est pas, loin de là, le seul pays concerné par une baisse, nette et régulière, de son taux de natalité depuis le baby-boom. Et le gouvernement de Gabriel Attal ne sera pas le premier à tenter d’infléchir une courbe qui, hors des fluctuations d’une année sur l’autre, persiste à pointer vers le bas. Et la leçon à retenir des efforts d’autres pays est qu’il ne sert à rien de courir après la natalité, ou presque.
De Taïwan à la Pologne, un échec généralisé
Regardez l’Asie du sud-est : Japon, Corée du Sud… Et Taïwan. Devant l’effondrement de son taux de natalité, l’île a multiplié les incitations depuis 2009. Congé parental mieux rémunéré, crédits d’impôts, primes à la naissance, construction de crèches… Rien n’y fait, et la recherche de solutions a récemment tourné à l’absurde. Terry Gou, candidat à la présidentielle, a ainsi proposé que l’État offre un animal de compagnie à chaque couple qui aura un enfant.
Ce cas poussé à l’extrême illustre la quête lancée tous azimuts pour relancer le taux de fécondité. Mais sans grand succès. Comme en France, les naissances de bébés polonais sont au plus bas depuis la Seconde guerre mondiale. Pourtant le pays, sous la direction du président conservateur Andrzej Duda, a entrepris depuis 2015 une politique volontariste pour se sortir de l’ornière. Allocations dès le premier enfant, augmentation des aides aux familles, aides pour la mise en crèche… Un paquet de mesures qui s’est renforcé au fil des années, à mesure que les chiffres s’entêtent à ne pas s’améliorer.
Le constat, bien que partant de situations différentes, est similaire presque partout. Les politiques tournées vers la natalité ne provoquent, au mieux, qu’un effet d’aubaine, un bref redressement de la courbe avant une nouvelle baisse. « Il n’y a pas de rebond lorsque l’on mène une politique directement tournée vers les enfants », résume au HuffPost Gilles Pison, professeur au muséum d’Histoire naturelle et conseiller de la direction de l’Ined (Institut national d’études démographiques). Il n’y a donc rien à faire ? C’est plus subtil que cela.
L’épanouissement personnel mieux qu’un chèque
C’est un paradoxe : « d’autres facteurs politiques qui ne sont pas tournés directement vers les familles, peuvent avoir un impact plus fort sur la fécondité », conclut un rapport du Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA). La complexité des facteurs qui entrent dans le choix d’avoir un enfant, rend en effet l’équation bien plus complexe qu’une aide financière ou la disponibilité de places en crèches.
Sur ce point, une enquête Ifop menée en 2022 est éclairante : les raisons qui poussent les femmes à ne pas vouloir d’enfants sont d’abord liées à l’épanouissement personnel, puis les craintes face à l’état du monde, écologique ou économique. Des choix individuels qui vont au-delà d’une politique familiale centrée sur la natalité.
Pour Gilles Pison, la question des congés parentaux est une bonne illustration de cet effet « par la bande » plutôt que direct. Il est parti du constat que la natalité est « plus élevée dans les pays du nord de l’Europe ». « Ce qui les distingue, explique le démographe, c’est la dépense liée aux congés parentaux ». En Suède, l’interruption de travail dure 16 mois, dont 13 mois rémunérés à 80 % du dernier revenu perçu.
Mais cette mesure s’adosse à une culture poussant très loin l’égalité homme/femmes : résultat, ce sont à 70 % les hommes suédois, contre 30 % pour les femmes. À 1,66 enfant par femme, Stockholm n’est pas un miracle démographique ; mais c’est bien plus que l’Espagne et l’Italie, où le taux de fécondité dépasse péniblement 1,2 enfant par femme.
L’égalité, facteur décisif d’une politique familiale
Cette approche nordique n’est pas tournée vers l’enfant. L’objectif de ces politiques, c’est de « favoriser le travail des femmes » en mettant à égalité les genres, notamment devant les obligations parentales, explique ainsi Gilles Pison. « Ce qui semble importer, pour une politique familiale de plus forte fécondité, c’est quand on peut plus facilement concilier travail et famille, et que les inégalités entre hommes et femme, au travail ou à la maison, se réduisent », analyse le chercheur.
« L’augmentation de la natalité devient alors un effet indirect » des politiques familiales et d’égalité femmes-hommes, tournées vers les aspirations des individus plus que leur désir d’enfant. En Corée, explique ainsi l’UNFPA dans son rapport, le taux de natalité a continué à s’effondrer durant les années 2010, et cela malgré de réformes du congé maternité ou des places en crèche : le résultat d’inégalité homme/femme profonde, d’un marché du travail très prenant, ou d’une extrême pression scolaire sur les jeunes enfants. Tant de facteurs qui ne dépendent pas de la politique familiale à proprement parler.
À la lumière de cette analyse, la réforme du congé parental et la lutte contre l’infertilité vont-elles suffire à faire rebondir le nombre de naissances ? Mieux rémunérer femmes et homme qui prennent un congé après une naissance va en tout cas dans le sens de cette égalité qui réussit aux pays du Nord. De plus, « la majorité des couples souhaite encore avoir des enfants », rappelle Gilles Pison. Mais axer directement le redressement de la natalité sur ce désir relève du mirage.
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