Le réalisateur Ted Kotcheff revient sur Rambo et sa carrière

A l'occasion de son passage à Paris, AlloCiné avait rendez-vous avec le metteur en scène Ted Kotcheff, dans le bar d'un très chic hôtel. Détendu, rieur, l'escarcelle remplie d'anecdotes, le réalisateur de Rambo a évoqué pour nous la ressortie de son film le plus connu, ainsi que sa carrière, dans une interview fleuve.

Dans "Wake in Fright", le personnage principal, John Grant, est comme Patrick McGoohan dans la série "Le Prisonnier", incapable de s'enfuir, diriez-vous que c'est parce qu'il n'est pas "prêt", et que la ville le garde prisonnier ?

"Oui, il est piégé. Car en Australie, personne ne veut enseigner dans l'Outback. Si vous êtes professeur, vous devez payer une caution de 1000 dollars et aller y enseigner. Si vous n'y allez pas, ils encaissent vos 1000 dollars. Et c'est le problème de ce personnage. C'est pour cela qu'il se met au jeu : pour récupérer ses 1000 dollars."

La bière et l'alcool sont très présents, et le seul verre d'eau que Grant ingurgite de tout le film se trouve à bord du train. Est-ce symbolique : son salut se trouve loin de ces gens, loin de cette ville et de l'alcool ?

"Tout à fait. Et vous savez, il pense qu'il est supérieur à ces gens [de l'Outback]. Il les toise et il les juge."


Grant en pleine déchéance dans Wake in Fright

Pour ces gens isolés de tout, la chasse aux kangourous et la bagarre remplacent-t-elles l'amour ?

"Vous savez, si vous voulez savoir ce qui se passe dans une ville, invitez le rédacteur-en-chef local à dîner ! (rires). Je l'ai fait et je lui ai demandé : "où sont les femmes ?" Il m'a répondu "à la maison, bien sûr". Dans les pubs, les boîtes les bars... aucune femme ! Il m'a confié qu'il y avait 1 femme pour trois hommes ! J'ai dit "où sont les bordels ?", "il n'y en a pas", "et les homosexuels ?" "S'ils découvrent un homosexuel, ils lui tirent dessus !" Et vous savez, que font les hommes quand il n'ont pas de femmes ? Ils se battent..."

"Wake in Fright" n’est-il pas le récit d’une introspection du personnage principal ?

"Si, tout à fait. Wake in Fright est un voyage, une découverte de soi. Grant est un homme qui ne se connaît pas (...). Beaucoup de gens ignorent qui ils sont. Et souvent se placent dans des situations dans lesquelles ils découvrent vraiment de quoi ils sont capables. Mais je pense que finalement, Grant ne partira pas, il va rester dans l'Outback. À la toute fin du film, un gars lui demande : "vous avez passé de bonnes vacances ?" et il répond : "les meilleures". Il s'est humanisé. Et il comprend qu'il n'est pas meilleur que les autres."

Vous savez pourquoi les studios ne donnent pas facilement les droits d'un scénario qu'ils ont dans leurs tiroirs ? Parce que si le producteur vend le script et que le film devient un succès au profit d'un autre, il est viré !"


A ce moment de l'interview, nous avons proposé à Ted Kotcheff de commenter un cliché du tournage de "Rambo" :

"Je crois que c'est moi qui ai fait ce film, non ? (rires). Sylvester Stallone était un si bon comédien. Il aimait le film. Vous savez, les gars du Vietnam ont été si durement traités, lorsqu'ils sont revenus aux Etats-Unis. Par le passé, on disait aux soldats "Bon retour, vous êtes des héros !" mais en réalité, ils étaient rejetés et vilipendés. Et les conservateurs les traitaient de "losers" qui avaient perdu la guerre. Quant aux démocrates, ils les considéraient comme des tueurs d'enfants. Donc ils étaient rejetés de toute part. La vérité c'est qu'un bon millier de vétérans du Vietnam a tenté de se suicider. Et environ un tiers y est parvenu. Donc quand le shérif voit Rambo revenir en ville, il sait qu'il va y avoir du grabuge. Et pour ce soldat, c'est une mission suicide.

"Rambo est devenu une figure iconique, comme Tarzan. Un homme qui peut survivre par lui-même dans la jungle du Vietnam et dans les bois canadiens, où j'ai tourné le film."

Comment vous êtes-vous retrouvés avec le script de Rambo ?

"J'avais un ami haut placé chez Warner depuis plusieurs années. Il m'a dit : "Ted j'ai ce livre, je pense que ça ferait un très bon film. Lis-le et dis-moi ce que tu en penses". J'ai lu ce livre -d'ailleurs écrit par un canadien, et j'ai adoré, donc il m'en a demandé un scénario. J'ai travaillé dessus pendant six mois, et au final, ça ressemblait beaucoup au film terminé. Donc je suis retourné chez Warner, je leur ai donné le script, et il me dit : "Ted, j'ai une mauvaise nouvelle, la direction a décidé de ne plus faire ce film. On pense que le public américain n'est pas prêt à ce qu'on lui rappelle ce colossal échec que fut le Vietnam". J'ai répondu : "je crois que vous avez tort. Je crois que c'est ce que l'on s'inflige entre-nous qui est terrible. Les gens veulent voir ce film. Le thème du film c'est l'injustice. Et le public aime que le héros soit victime d'une injustice". Il m'a répondu : "c'est vrai, mais on ne le fera pas quand même".

"Un an plus tard, j'ai rencontré deux jeunes producteurs qui venaient de créer une firme. Je leur ai parlé du fait que Warner avait un super scénario, First Blood, mais qu'ils ne le donneraient pas facilement. Mais que s'ils l'obtenaient, je le tournais pour eux. Ils ont mis un an pour avoir les droits du script."

Pourquoi avoir choisi Sylvester Stallone ?

"Ils m'ont demandé : "qui vous voulez pour le rôle principal ?" J'ai immédiatement répondu Sylvester Stallone. Les gens pensent qu'il était une grande star, mais ce n'était pas le cas. Il ne rapportait de l'argent qu'en faisant Rocky. Il avait fait quatre autres films : F.I.S.T., Les Faucons de la nuit, La Taverne de l'enfer et un autre film [À nous la victoire, NdlR] qui ont été de terribles échecs. Ils ont fini par l'accepter, et il était formidable."

 Racontez-nous les coulisses de la fin alternative de Rambo, celle dans laquelle le personnage se suicide…

"Stallone et moi avions travaillé sur le script ensemble. Il avait de très bonnes idées, First Blood était mon premier scénario donc j'avais besoin de changer des choses. Mais ce qu'il a apporté c'est que Rambo ne tue personne. Car il a eu son compte de morts au Vietnam, y compris la mort de ses amis. La dernière chose qu'il veuille faire c'est rentrer en Amérique et tirer sur tout le monde ! Pourtant, il n’y avait plus de place pour lui aux Etats-Unis, il est rejeté, et préfère mourir.

"On a tourné la fin dans laquelle il retourne l’arme contre lui. Et Stallone vient me voir dans un coin, il me dit [en parlant de son personnage] : « on a déjà fait subir tellement de choses à ce pauvre type…et maintenant on va le tuer ? » (…) « Je lui réponds : je sais comment on va faire, attends ! » et on a tourné la scène telle qu’elle est aujourd’hui. Et mes producteurs étaient furieux : « qu’est-ce que tu fais ? », « je tourne une fin alternative » et eux : « tu dépasses le budget, le planning : on ne peut pas se le permettre ! On en a déjà discuté : c’est une mission suicide, il doit mourir à la fin ».

"Et lorsqu’on a fait une projection-test à Las Vegas, le public était à fond dedans, ils hurlaient, ils parlaient à l’écran : « attention, Rambo ! » (rires). Et après la scène de son suicide, vous auriez pu entendre une mouche voler. Et j’en entends un briser le silence et dire : « si le réalisateur de ce film est dans le cinéma, il faut le trouver le pendre au premier poteau ! » (rires). Et leurs cartons de compte-rendu disaient « c’est le meilleur film d’action que j’aie jamais vu mais LA FIN !!!! » (Kotcheff mime un soulignement hargneux). « Toutes les cartes adoraient le film mais détestaient la fin ». Je suis allé voir les producteurs et je leur ai dit « les gars, il se trouve que j’ai cette autre fin dans ma poche… » Et voilà toute l’histoire."

A Hollywood, dans 99,99% des cas, la réponse à la question « pourquoi ? » c’est l’argent ! Les 0,01% c’est la vanité !

Retour vers l’enfer était-il un film commandé par Paramount pour capitaliser sur le succès de Rambo sorti un an auparavant ?

"Paramount est venu me voir, ils voulaient un film sur le Vietnam. L’histoire de ce père qui engage des vétérans de cette guerre pour aller dans la jungle et voir s’il s’y trouve encore son fils encore prisonnier au Laos. C’est comme ça que c’est arrivé."


Gary Bond et Donald Pleasence dans "Wake in Fright"

La violence est présente dans tous vos films : violence des sectes ("Split Image"), des médias ("Scoop"), de la guerre… Comment expliquez-vous la sur-représentation de ce thème dans votre filmographie ?

"Prenez Wake in Fright c’est un film centré sur la violence. Quand j’ai fait ce film, j’étais complètement déprimé. Il y avait une opposition entre Khrouchtchev et Kennedy, et on est passé à deux doigts de la fin de l’Humanité. (…) C’était une période de peur, la guerre du Vietnam faisait rage, les gens tentaient de faire disparaître leurs différences en s’entretuant. Et c’est pour cela que dans mon film les gens sont aussi dégoûtants et répugnants. Donc oui, la violence est une de mes exigences. Je ne comprends pas, nous sommes tous sur la même planète, mais on continue de se tuer au lieu d’essayer de se comprendre…"

Vous vous êtes beaucoup impliqués dans l’écriture du scénario de "North Dallas Forty" (1979), ce sujet vous tenait-il à cœur ?

"Lorsqu’on m’a proposé de faire un film sur le football américain, j’ai dit « Bah ! Pas question que je fasse ça… », puis le producteur de Paramount que je connaissais m’a dit que ce n’est pas un film sur le sport, mais sur des athlètes manipulés par des gens riches, qui les utilisent en leur mentant. J’ai écrit le scénario avec l’auteur du liivre original (Peter Gent, NdlR), mais je voudrais changer quelques dialogues sur la façon dont les joueurs se parlent. Ce qu’on a fait, et j’ai pris beaucoup de plaisir à faire North Dallas."

Vous avez remporté l’Ours d’or de Berlin pour "L’apprentissage de Duddy Kravitz" (1974), vous attendiez-vous à un tel succès critique pour ce film avec Richard Dreyfuss ?

"Vous ne pouvez pas prédire le succès, vous faites simplement le meilleur film possible. Duddy Kravitz est un film qui m’est cher. Au moment où il écrivait cette histoire, l’auteur du roman vivait avec moi dans un appartement londonien. Il me l’a fait lire et je lui ai dit : « c’est probablement le meilleur roman canadien jamais écrit. Retournons au Canada et faisons-en un film ». C’était l’histoire d’un Juif, et j’ai trouvé un producteur qui trouvait le film formidable mais voulait en faire… un Grec ! Les gens de Hollywood sont tous juifs, moi aussi, mais ne me demandez pas pourquoi, ils ne voulaient pas faire un film sur un Juif. Je ne pouvais pas faire ce compromis, donc j’ai obtenu la moitié du financement de mon film par la Canadian Film Development Corporation, et c’est comme ça que j’ai pu le faire."

Le western "Un Colt pour une corde" (1974) aborde le thème du métissage et de la violence envers les « sang-mêlés » comme ils sont appelés dans le film. Le western était-il pour vous le genre d’évidence pour traiter de ce thème ?

Personne n’a vu ce film excepté vous et une autre personne que j’ai croisé récemment. J’aime beaucoup ce film. Un critique à Lyon m’a dit « c’est un des meilleurs westerns ». Je lui ai répondu : « vous êtes la seule personne à l’avoir vu ! » Avec vous ça fait deux ! (rires). Vous devriez vous rencontrer et en parler ! Gregory Peck était formidable, Desi Arnaz Jr. jouait le métis du film. Et il y avait cette relation père/fils que j’adorais.

(A cet instant, madame Kotcheff nous rejoint et s’installe à nos côtés en ne quittant pas son mari des yeux tandis que nous poursuivons l’interview).

 


Vous avez été impliqué des années sur la série New York, unité spéciale, vous aviez beaucoup de guests prestigieuses ‘Sharon Stone, Isabelle Huppert… Racontez-nous le processus de création de cette série…

"On utilisait beaucoup de guests, d’ailleurs l’actrice française Leslie Caron a obtenu l’Emmy de la meilleure actrice pour la série. Nous avons employé beaucoup d’actrices. Ce qu’il y a avec les crimes sexuels, c’est que cela implique beaucoup les femmes : elles sont violées, leurs enfants sont maltraités, ce sont les deux éléments phares de la série. Nous leur avons toujours accordé une grande place. Nous écrivions très en amont, ce qui nous permettait d’avoir le temps d’avoir des guests prestigieuses. Nous avons eu Robin Williams, hélas décédé le mois dernier*.

"Vous savez, si j’ai fait New York, unité spéciale, c’est parce qu’on est venu me chercher pour que je la produise et que je la mette en scène au début. Et je l’ai fait parce que ce sujet-là n’avait jamais été abordé à la télévision : les crimes sexuels, les viols, donc au moins c’était innovant et original. Je pensais que ce serait un boulot de trois mois, et on a tout de suite eu un succès phénoménal, et c’est très difficile d’abandonner un succès. Je me suis occupé de 289 épisodes, pendant douze ans".

J'ai le sentiment que le fil rouge de votre filmographie est le traumatisme, celui de la guerre avec Rambo, celui des policier qui oeuvrent sur les crimes sexuels de New York - Unité spéciale, certaines épreuves vous changent pour toujours et j'ai l'impression que c'est votre filmographie n'est qu'une seule histoire déclinée en différents films et série...

(C'est alors Madame Kotcheff qui prend la parole :)

"Oui, c’est brillant, vous êtes la seule personne à avoir perçu cela."

Puis Monsieur Kotcheff reprend :

"C’est très bien vu, et très vrai. D’ailleurs en parlant de traumatisme, ma femme était présente dans Rambo…

Elle : - C’était de la figuration !

Lui : - Mais on a coupé beaucoup des flashbacks au Vietnam, car nous nous sommes dit que ça n’était pas vraiment nécessaire. Nous n’avions pas besoin de ça pour montrer le traumatisme des soldats."

C'est sur cette note que s'est terminé notre entretien avec le réalisateur de Réveil dans la Terreur, film méconnu de l'oeuvre de Kotcheff, et ressorti restauré en salles ce mercredi.

*Propos recueillis par Corentin Palanchini le 17 octobre 2014 à Paris.