Le réalisateur Jean-Luc Godard est mort à l'âge de 91 ans

Jean-Luc Godard  - MIGUEL MEDINA / AFP
Jean-Luc Godard - MIGUEL MEDINA / AFP

Une page de l'histoire du cinéma se tourne. Le réalisateur Jean-Luc Godard, figure de la Nouvelle Vague, est mort à l'âge de 91 ans. Provocateur et inventeur de formes, il a révolutionné le 7e Art au cours d'une carrière aussi prolifique que protéiforme avec des films comme A bout de souffle, Le Mépris et Pierrot le fou.

D'abord critique aux Cahiers du Cinéma, où il se fait remarquer avec ses textes au vitriol, Godard se lance dans la réalisation au même moment que ses compagnons Claude Chabrol, Jacques Rivette, Eric Rohmer et François Truffaut, son rival, avec qui il finit par se brouiller.

Son premier film, sorti en 1960, est un coup de maître. Classique qui a révélé Jean-Paul Belmondo, À bout de souffle est l'un des films les plus influents de l'histoire du cinéma. Pastiche de film noir au montage rapide, très audacieux pour son époque, il fait de Godard une star mondiale et inspirera Martin Scorsese, John Woo et Quentin Tarantino.

La méthode Godard

Chacun de ses films, dans les années soixante, est un événement, et lui permet de repousser les limites de la censure tout en explorant les grands sujets de son temps, de la guerre d’Algérie (Le Petit Soldat) à la prostitution (Vivre sa vie) en passant par le consumérisme (Masculin Féminin) et le maoïsme (La Chinoise).

Ses films sont le plus souvent polyphoniques. L'un de ses films les plus célèbres, Le Mépris (1963), offre ainsi à travers l'histoire d'un couple (Brigitte Bardot et Michel Piccoli) qui se délite pendant le tournage d'une adaptation de L'Odyssée, une réflexion sur le 7e Art, la jalousie, l'Histoire et la mythologie antique.

Godard avait une méthode de travail bien à lui. Il part souvent d'un titre, puis soumet un vague synopsis à son producteur, qu’il s'empresse de réinventer ensuite sur le tournage et au montage. Le résultat, atypique, mêle de nombreuses citations littéraires, cinématographiques et musicales.

Godard se démarque aussi par son art des dialogues percutants au cinéma - "Qu'est-ce que c'est, dégueulasse?" (A bout de souffle), "Tu les trouves jolies mes fesses?" (Le Mépris), "Qu'est-ce que je peux faire?" (Pierrot le fou) -, et en interview - "Quand j'entends le mot culture, je sors mon carnet de chèques."

Rupture dans les années 1970

Dans les années 1960, Godard est une superstar, et l'un des réalisateurs les plus connus dans le monde, reconnaissable à ses lunettes aux verres fumées. Chacun de ses films proposent des audaces visuelles. Pour les besoins de Week-end (1967), avec Jean Yanne et Mireille Darc, il tourne l'un des plus longs travellings de l'histoire du cinéma.

Godard s'entoure de comédiens (Jean-Paul Belmondo, Anna Karina) et de techniciens (le directeur de la photographie Raoul Coutard) fidèles, avec lesquels il expérimente aussi avec les genres, alternant comédie musicale (Une femme est une femme), science-fiction (Alphaville) et documentaire (One + One, sur les Rolling Stones).

Mai 68 opère un tournant dans son parcours. Marqué par les événements révolutionnaires, auxquels il prend part en interrompant le festival de Cannes, Godard remet en question son parcours. S’estimant privilégié de par son statut de réalisateur à succès, il décide de tourner le dos au cinéma traditionnel.

Envisageant dès lors le cinéma comme une aventure collective, Jean-Luc Godard s’associe à Jean-Pierre Gorin. Ensemble, ils signent leurs films du nom du collectif Dziga Vertov. Godard rêve ainsi de voir disparaître sa si pesante célébrité, incompatible selon lui avec le statut d’artiste qui rêve de commenter le monde.

Retour aux affaires

Godard se radicalise et se brouille avec ses proches, dont François Truffaut. Après la dissolution du collectif Dziga Vertov, il quitte Paris et signe avec son épouse Anne-Marie Miéville plusieurs films hors des circuits dont Ici et ailleurs (1974), d’après des images tournées en Palestine auprès de combattants.

Son retour au cinéma traditionnel s’opère à partir de 1979. Après un projet avorté avec Belmondo autour du parcours de Jacques Mesrine, Godard revient avec Sauve qui peut (la vie), dont le succès lui donne une nouvelle impulsion. Sans systématiquement rencontrer le succès, Godard enchaîne sept films en sept ans.

Ces films - Passion (1982), Prénom Carmen (1983) ou Je vous salue, Marie (1984) et Détective (1985) - enthousiasment la presse et le public de l’époque par leur créativité. A la même époque, il entame Histoire(s) du cinéma (1988-1998), une vaste fresque philosophico-esthétique constituée de collages et de citations. Son testament.

Un "problème de type grec"

Fin connaisseur de l’histoire de l’art (les premières minutes de Pierrot le fou sont un hommage à Vélasquez) et de la littérature, Godard était aussi un amoureux de la langue française. Extrêmement fin, il aimait parsemer ses films comme ses interviews et ses interventions publiques de formules aussi obscures que géniales.

Dans les années 2010, le réalisateur vieillissant, attendu à Cannes pour y présenter un film, avait décliné l’invitation, affirmant être contraint de rester chez lui, en Suisse, à cause d’un "problème de type grec". Les dernières années de sa vie, Godard n’avait pas renié son fameux mauvais esprit.

Le cinéaste avait montré un intérêt pour les nouvelles technologies. Il avait réalisé des films en 3D (3x3D, Adieu au langage), donné une conférence de presse en FaceTime au festival de Cannes et participé à un live Instagram pendant le confinement avec l’École cantonale d’art de Lausanne.

Dans une scène restée célèbre d'A bout de souffle, Patricia (Jean Seberg) demande à l'écrivain Parvulesco (Jean-Pierre Melville): "Quelle est votre plus ambition dans la vie?" Celui-ci répond, l'air grave: "Devenir immortel...et puis mourir." Une formule que Godard a appliqué à sa propre vie.

Article original publié sur BFMTV.com