Un réacteur nucléaire qui produit plus propre

On a du mal à imaginer un réacteur nucléaire produisant de l’électricité à partir de déchets radioactifs. C’est pourtant ce que Claudio Filippone, ingénieur en physique nucléaire et directeur du Center for Advanced Energy Concepts de l’université du Maryland, a proposé il y a déjà quelques années. Le concept qu’il présente aujourd’hui, baptisé CAESAR (Clean And Environmentally Safe Advanced Reactor [Réacteur avancé propre et sans danger pour l’environnement]), est encore plus révolutionnaire. En plus d’être respectueux de l’environnement - il peut fabriquer de l’électricité sans constituer une source supplémentaire de pollution -, ce réacteur pourrait également contribuer à empêcher la prolifération nucléaire.
Les réacteurs nucléaires traditionnels utilisent un combustible constitué principalement d’uranium 238 enrichi, avec environ 4 % d’uranium 235. Lorsqu’un atome d’uranium 235 est frappé par un neutron, il libère de l’énergie, se scinde en noyaux plus petits et expulse des neutrons, qui peuvent à leur tour aller percuter d’autres atomes. En plaçant des atomes suffisamment près les uns des autres, on obtient une réaction en chaîne qui produit une grande quantité d’énergie sous forme de chaleur. Plusieurs techniques permettent de contrôler la réaction, dont un “modérateur”, une substance à l’intérieur de laquelle on place les barres de combustible et qui est destinée à ralentir les neutrons. La vitesse des particules doit en effet être suffisamment lente pour pouvoir fractionner les atomes. Au bout de quelques années, il reste si peu d’atomes d’uranium 235 que la réaction en chaîne ne peut plus avoir lieu. Il faut alors utiliser de nouvelles barres de combustible.
Dans le nouveau système de Claudio Filippone, ce sont les atomes d’uranium 238, bien plus nombreux dans les barres de combustible, qui sont pris pour cibles. Mais ces atomes sont très exigeants : pour les casser, il faut que le neutron les percute à une vitesse très précise. La clé du nouveau concept réside dans le recours à un modérateur insolite : la vapeur. En effet, la densité de la vapeur peut être contrôlée de manière très précise, ce qui permet de donner aux neutrons qui la traversent la vitesse exacte requise pour fractionner un atome d’uranium 238.
Le résultat est le même que d’habitude : un petit dégagement d’énergie, des neutrons et des noyaux plus petits. CAESAR a cela de particulier qu’il utilise les neutrons produits lorsque ces noyaux plus petits se fractionnent. Ces neutrons, qui se déplacent lentement, sont connus sous le nom de “neutrons retardés”. Dans un réacteur traditionnel, le modérateur les ralentit tellement qu’ils ne peuvent pas contribuer à la réaction nucléaire. Mais, lorsque la vapeur est utilisée comme modérateur, les neutrons retardés continuent à se déplacer jusqu’à ce qu’ils percutent un autre atome d’uranium 238. Il serait donc possible de faire durer une réaction en chaîne dans des barres de combustibles “usées” ne contenant que de l’uranium 238 pendant plusieurs dizaines d’années. Ce qui signifie que les matériaux traités à l’heure actuelle comme des déchets pourraient être utilisés comme combustible. Certes, ce système ne résout pas le problème de l’élimination du combustible usé, mais il a l’avantage de représenter une forme de stockage des déchets nucléaires qui produit de l’électricité.
CAESAR pourrait également jouer un rôle dans la lutte contre la prolifération nucléaire. En effet, le coeur des réacteurs en service à l’heure actuelle doit être accessible pour pouvoir y placer les barres de combustible et les enlever. Si l’on configure leur coeur d’une certaine manière, par exemple en changeant la position des blocs de graphite, presque tous les réacteurs civils peuvent produire du plutonium et donc des armes. [L’uranium peut se transformer en plutonium après des réactions de fission successives.] L’accès au coeur du réacteur ne serait pas nécessaire avec CAESAR car il serait capable de fonctionner pendant des dizaines d’années sans avoir besoin d’être réalimenté en combustible. Il pourrait donc être scellé. Les pays pourraient alors adopter ce système pour montrer que leurs intentions nucléaires sont exclusivement pacifiques.
Claudio Filippone a testé certains des aspects de son concept en utilisant le réacteur expérimental TRIGA à l’université du Maryland et dans des simulations par ordinateur. Mais, pour prouver qu’il marche, il doit démontrer qu’il est possible d’obtenir une réaction en chaîne dans l’uranium 238. Ce travail devrait s’étaler sur deux ans. Celle-ci devrait s’étaler sur deux ans et coûter environ 2 milliards de dollars. Avec un peu de chance, son nouveau système provoquera une réaction favorable.

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