Tout ce qu'il faut savoir sur la production agricole dans l'Union européenne
Parmi leurs plaintes, les agriculteurs dénoncent la crise du coût de la vie, les taxes sur les carburants, la réglementation environnementale, la lourdeur de la bureaucratie, la concurrence déloyale et les accords de libre-échange.
Ce mouvement apparemment coordonné, qui a déjà atteint des pays comme l'Allemagne, la France, l'Italie et l'Espagne, a pris Bruxelles au dépourvu et soumis le "Green Deal" à une forte pression politique à l'approche des prochaines élections au Parlement européen.
Ursula von der Leyen, à l'initiative du Green Deal, a réagi en clamant publiquement des hymnes aux agriculteurs, louant leur force d'âme, leur dévouement et leur contribution économique, et promettant d'accorder une plus grande attention à leurs préoccupations.
Les agriculteurs "travaillent dur chaque jour pour produire les aliments de qualité que nous mangeons. Pour cela, je pense que nous leur devons reconnaissance, gratitude et respect", a déclaré la présidente de la Commission européenne au début du mois, tout en annonçant le retrait d'une loi controversée sur les pesticides.
"Les problèmes se sont aggravés ces dernières années. Nos agriculteurs méritent d'être écoutés. Je sais qu'ils sont inquiets pour l'avenir de l'agriculture et pour leur avenir en tant qu'agriculteurs."
Un secteur petit mais vital
L'agriculture est l'un des plus anciens modes de production au monde. Elle remonte à 12 000 ans, lorsque les civilisations préhistoriques sont passées de la chasse et de la cueillette nomades à l'agriculture dans des établissements permanents. Au cours des millénaires qui ont suivi, l'agriculture a joué un rôle majeur dans le progrès et a contribué au développement de nombreuses villes européennes que nous connaissons aujourd'hui.
Mais avec l'avènement de la révolution industrielle, l'agriculture a commencé à perdre progressivement de son importance, les pays s'orientant massivement vers l'industrie manufacturière et, plus tard, vers les services.
Aujourd'hui, le secteur représente une part infime de l'économie de l'UE : selon Eurostat, l'agriculture a contribué à hauteur de 215,5 milliards d'euros au produit intérieur brut (PIB) de l'Union en 2022. En termes relatifs, cela représente 1,4 % du PIB total, une proportion qui est restée stable au cours des 20 dernières années.
Après avoir vendu ses nombreux produits sur les marchés, le secteur a récolté plus de 537 milliards d'euros en 2022, dont 287,9 milliards d'euros provenant des cultures, telles que les céréales, les légumes, les fruits, le vin et les pommes de terre, et 206 milliards d'euros provenant du lait, des porcs, des bovins, de la volaille et des œufs.
La France a été le plus gros vendeur cette année-là, avec 97,1 milliards d'euros, suivie de l'Allemagne (76,2 milliards d'euros), de l'Italie (71,5 milliards d'euros), de l'Espagne (63 milliards d'euros) et de la Pologne (39,5 milliards d'euros).
Les coûts de production ont été élevés, atteignant 316,7 milliards d'euros en 2022, soit une augmentation de près de 22 % par rapport à l'année précédente. Cette hausse est principalement due à l'invasion de l'Ukraine par la Russie, qui a fait grimper les prix de l'énergie et des engrais à des niveaux record.
Forte concentration
On estime que 8,6 millions de personnes travaillent dans le secteur agricole, ce qui représente 4,2 % de l'emploi dans l'UE. La Roumanie (1,76 million) et la Pologne (1,46 million) sont de loin les plus gros employeurs. Toutefois, ces chiffres ne donnent pas une image complète de la situation, car la récolte est une activité saisonnière qui emploie de nombreuses personnes dans le cadre de contrats temporaires et à temps partiel. Si l'on tient compte de ces particularités, Eurostat estime la main-d'œuvre à 17 millions de personnes, soit plus du double du chiffre global.
Le secteur est masculin et vieillissant: la grande majorité des chefs d'exploitation sont des hommes (68,4 %) et ont plus de 55 ans (57,6 %). Les Pays-Bas présentent le déséquilibre le plus prononcé entre les sexes, avec seulement 5,6 % d'agricultrices, tandis que la Lettonie et la Lituanie sont les pays les plus proches d'un ratio de 50-50.
Tous ces agriculteurs travaillent sur 157 millions d'hectares de terres agricoles, elles-mêmes divisées en 9,1 millions d'exploitations. Mais cette répartition est extrêmement inégale : environ 52 % des terres agricoles sont contrôlées par 4 % de toutes les exploitations, celles qui ont une superficie supérieure à 100 hectares. En revanche, les petites exploitations, celles de moins de 5 hectares, n'utilisent que 6 % de toutes les terres disponibles, bien qu'elles représentent 40 % de toutes les exploitations.
Cette forte concentration des terres reflète l'industrialisation de l'agriculture, où quelques entreprises ont les moyens de déployer des technologies, des machines et des méthodes de pointe pour produire des cultures à grande échelle et les vendre au niveau mondial.
Des milliards de subventions
L'agriculture est une activité risquée, à la merci des aléas climatiques, de la volatilité de la demande et de la concurrence étrangère, ce qui rend difficile la réalisation de bénéfices et l'attraction d'investissements. Cela explique pourquoi l'agriculture est l'un des secteurs les plus lourdement subventionnés de l'UE, malgré sa contribution minime à la croissance économique.
Créée en 1962, la politique agricole commune (PAC) est un vaste programme d'aides d'État qui vise à garantir aux agriculteurs européens un revenu minimum et stable et à leur permettre d'être compétitifs au-delà des frontières. Pendant des décennies, la PAC a été la raison d'être du budget commun, absorbant plus de 60 % de l'ensemble des dépenses. Aujourd'hui, elle n'en représente plus qu'un tiers.
La PAC alloue 264 milliards d'euros pour la période 2023-2027, principalement consacrés à deux lignes d'action : 189,2 milliards d'euros pour l'aide au revenu, les paiements directs qui compensent les agriculteurs, et 66 milliards d'euros pour le développement rural afin de relever les défis des zones défavorisées.
Il est essentiel que les paiements directs ne soient pas liés à la quantité de récoltes produites par les agriculteurs. Bruxelles estime que ce lien inciterait à la surproduction pour obtenir une plus grande part des subventions et bouleverserait le marché. Au lieu de cela, les paiements sont distribués en fonction des hectares (terres cultivées) et du respect de la biodiversité, du bien-être des animaux et des règles sanitaires.
La PAC est l'un des éléments les plus discutés de la politique de l'UE et a fait l'objet de critiques constantes, notamment en raison de sa répartition déséquilibrée (environ 80 % du budget finit dans les mains de 20 % des agriculteurs), de son efficacité douteuse (les revenus des agriculteurs restent inférieurs de 40 % au salaire moyen de l'UE) et des distorsions commerciales causées vis-à-vis de l'Organisation mondiale du commerce (OMC).
Profusion de méthane
Un autre reproche récurrent adressé à la PAC est la faible application des normes environnementales. En effet, l'agriculture est un important facteur de pollution, représentant plus de 10 % des émissions de gaz à effet de serre de l'UE.
L'Agence européenne pour l'environnement (AEE) attribue ces émissions à trois sources :
CH4 (méthane) provenant de la fermentation entérique, c'est-à-dire du processus digestif des animaux ruminants tels que les bovins, les ovins et les caprins.
N2O (oxyde nitreux) provenant principalement de l'utilisation d'engrais synthétiques à base d'azote.
CH4 (méthane) provenant de la gestion et de l'élimination du fumier.
Bien que le secteur agricole soit soumis à l'objectif global de l'UE de réduire progressivement les émissions de gaz à effet de serre et d'atteindre la neutralité climatique d'ici 2050, la réduction obtenue jusqu'à présent a été extrêmement limitée.
En fait, entre 2005 et 2021, l'AEE estime que les émissions agricoles ont augmenté dans 13 États membres, l'Estonie dépassant même la barre des 30 %. Sur la base des projections actuelles, l'agence prévoit une baisse modeste de 4 % d'ici à 2030 par rapport aux niveaux de 2005, qui pourrait atteindre 8 % si des mesures climatiques supplémentaires sont mises en place.
Cette lenteur est d'autant plus inquiétante qu'au moins 25 % du réchauffement climatique est dû au méthane, un gaz inodore qui est 80 fois plus nocif que le CO2 dans les 20 premières années suivant sa libération dans l'atmosphère. Par ailleurs, les pesticides chimiques couramment utilisés pour maintenir le rendement des cultures sont à l'origine de la perte de biodiversité, de la mauvaise qualité de l'eau, de la dégradation des sols et de la résistance des parasites, et ont été associés à des maladies chroniques.
La voie de l'autosuffisance
En réaction à la pandémie de COVID-19, à la guerre en Ukraine et à la crise énergétique, la Commission européenne a adopté l'"autonomie stratégique" comme philosophie directrice afin de réduire les dépendances coûteuses à l'égard de fournisseurs peu fiables.
Heureusement pour Bruxelles, l'agriculture est un secteur bien avancé à cet égard.
L'UE a acquis l'autosuffisance (c'est-à-dire qu'elle peut satisfaire tous ses besoins nationaux grâce à sa propre production) pour un large éventail de produits que nous consommons quotidiennement, tels que le blé, l'huile d'olive, les tomates, les pommes, les pêches, le fromage, le beurre, le bœuf, le porc et la volaille. (Pour d'autres, comme le riz, le sucre, les graines oléagineuses et l'huile végétale, les importations sont encore très nécessaires).
Cela a permis à l'Union de devenir une puissance commerciale sur les marchés mondiaux : en 2022, l'Union a exporté pour 229,1 milliards d'euros de produits agricoles et en a importé pour 195,6 milliards d'euros, soit un excédent confortable de 33,4 milliards d'euros. Les boissons et les spiritueux, avec 39 milliards d'euros, sont les produits les plus exportés par l'UE.
Cela ne signifie pas pour autant que l'UE soit totalement tirée d'affaire.
Les phénomènes météorologiques extrêmes et la hausse des températures constituent une menace sérieuse pour la sécurité alimentaire et pourraient entraîner une augmentation de certaines importations à long terme. Dans le même temps, certains clients de l'Union développent des stratégies d'autosuffisance et pourraient, à l'avenir, ne plus acheter autant de produits alimentaires fabriqués dans l'UE qu'ils ne le font aujourd'hui.
Un rapport récent de la Commission européenne a averti que le ralentissement économique observé en Chine, qui devrait s'aggraver en raison du vieillissement rapide de la population du pays, pourrait sérieusement limiter les exportations mondiales de blé tendre, de maïs, d'orge, de bœuf, de porc et de la plupart des produits laitiers.