Qu'est-ce que le régiment d'Azov, ces néonazis de l'armée ukrainienne que Moscou pointe du doigt?

Des hommes du régiment d'Azov en 2019.  - Evgeniya MAKSYMOVA / AFP
Des hommes du régiment d'Azov en 2019. - Evgeniya MAKSYMOVA / AFP

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Le 24 février, à l'aurore, Vladimir Poutine a stupéfié le monde en lançant ses troupes à l'assaut de l'Ukraine. Ses mots au moment de motiver cette agression n'étaient pas moins sidérants. Fixant ses objectifs, le patron du Kremlin a ainsi dit vouloir "démilitariser et dénazifier" son voisin.

Une entreprise de "dénazification" qui a alors paru tomber du ciel ou de nulle part, d'autant plus que le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, triomphalement élu au second tour en 2019 avec 73% des suffrages exprimés, est lui-même d'ascendance juive, bien qu'issue d'une famille non-pratiquante.

Mais ce jeudi, à l'heure de justifier le bombardement d'un hôpital pédiatrique de Marioupol et sa maternité, l'exécutif russe a pourtant creusé ce même sillon. Sergueï Lavrov, le ministre des Affaires étrangères russe, a ainsi assuré que l'édifice servait en fait de quartier général à des "radicaux" nationalistes. Il a bientôt désigné l'ennemi, tandis que Vladimir Poutine s'était contenté d'une allusion: "Cette maternité a été reprise depuis longtemps par le bataillon Azov".

Ce "bataillon", d'ailleurs érigé en régiment, est régulièrement cité par la communication russe. Pour elle, il illustre le ferment ultra-nationaliste censé se dissimuler au coeur même de l'armée ukrainienne, et constituer un défi perpétuel à la paix dans la région. Si cette formation paramilitaire existe bel et bien et est effectivement rattachée à l'appareil d'Etat ukrainien, son influence semble toutefois réduite. Pour mieux cerner sa nature et ses contours, il faut remonter sept ans en aval.

Fils de la révolution de 2014

À l'orée du printemps 2014, des émeutes forcent le président ukrainien Ianoukovitch à abandonner le pouvoir. Celui-ci échoit à un gouvernement pro-européen. L'affaire trouve alors un écho dévastateur dans l'Est du pays où des républiques sécessionnistes se forment dans un Donbass favorable à la Russie. Au mois de mai, la péninsule de Crimée est par ailleurs annexée par le puissant voisin. C'est dans cette ébullition, et pour tenter de s'opposer au démembrement de l'Ukraine sur son flanc oriental qu'est crée, le 5 mai 2014, le bataillon d'Azov.

Celui-ci a rapidement été intégré, à l'automne suivant, dans la Garde nationale ukrainienne. Il n'est pas pour autant rentré dans le rang et n'a pas disparu non plus dans les livres d'histoire: le régiment est toujours sous la tutelle du ministère de l'Intérieur. Et, comme le signale ici Libération, l'activité du groupe sur la messagerie Telegram le montre à l'action face à l'invasion russe. En 2014, déjà, c'est près de cette mer dont il a pris le nom qu'il s'était fait connaître, en chassant les dissidents pro-russes de Marioupol.

Sombre écusson

L'obédience politique du régiment ne laisse aucune place au mystère. Son écussion officiel, qui bombe le bras de ses soldats, est d'azur et d'or, une surface sur laquelle se croisent deux éclairs, dans une référence transparente à l'imagerie de la Waffen-SS. Interrogé à ce sujet par CheckNews, l'historien ukrainien Viatcheslav Likhatchev a confirmé cette matrice idéologique: "Azov a été créé en partie par des personnes ayant un passé néonazi, en partie issu des hooligans de football." "Les personnes ayant des opinions radicales de droite constituaient une masse critique dans Azov, le noyau disons. Les nouvelles recrues étaient endoctrinées", poursuit-il.

Auprès du même média, Adrien Nonjon, spécialiste de la région à l'Inalco, a toutefois assuré que ce trait s'était dilué avec le temps: "Leurs rangs ont grossi avec des Ukrainiens dépolitisés simplement admiratifs de leurs réussites au combat".

La figure de son fondateur

Il n'empêche: le profil de son fondateur le maintient solidement dans son orbite originel. Dépeint ici par Le Soir, Andriy Biletsky, ancien repris de justice, a été député entre 2014 et 2019, date qui l'a vu perdre son fauteuil, siégeant à l'extrême droite de la Rada, le Parlement national.

Une citation, exhumée par le journal britannique The Telegraph et traduite par le média belge, en dit plus long sur son orientation politique. Une phrase qu'Andriy Biletsky a formulée en 2010:

"La mission historique de notre nation en ce moment critique est de mener les races blanches du monde dans une ultime croisade pour leur survie. Une croisade contre les Untermenschen ("sous-hommes" en allemand, une terminologie employée à satiété par les nazis et leurs néo-successeurs, NDLR) dirigés par des Sémites".

Échec politique et marginalisation

En 2016, il lance une autre formation, un mouvement entièrement politique cette fois, Corps national. Mais celui-ci, adossé à sa réputation personnelle et au régiment d'Azov, a échoué à lui servir de marchepied vers le pouvoir. Non seulement, Andriy Biletsky a dû renoncer à se présenter à l'élection présidentielle en 2019 - bien qu'il a quitté la tête de son régiment pour favoriser sa carrière électorale - mais l'attelage soutenu par l'extrême droite à ce scrutin a plafonné autour des 2%. Corps national n'est pas parvenu non plus à se frayer un chemin à la chambre des députés.

Il faut dire que sa racine paramilitaire l'entoure d'une odeur de soufre. En 2016, un raport des Nations Unies a ainsi accusé le régiment d'Azov de s'être livré à des "viols et tortures" sur des civils deux ans auparavant.

Marginalisé et dénoncé sur la scène internationale, sans débouché politique, le régiment d'Azov voit aussi son influence diminuée au volet militaire: on évalue son effectif actuel à une fourchette dont les dents oscillent entre 3500 et 5000 soldats. Un contingent certes important mais qui pèse peu au regard du total de 250.000 militaires affiché avant la guerre par les forces armées ukrainiennes.

Article original publié sur BFMTV.com