Qu'est-ce que l'apologie du terrorisme, dont Mathilde Panot est accusée ?

La police judiciaire entendra début mai la présidente du groupe LFI à l'Assemblée nationale, mais que lui reproche-t-elle exactement ?

Mathilde Panot convoquée dans une enquête pour apologie du terrorisme (Photo : JULIEN DE ROSA / AFP)

La députée du Val-de-Marne dénonce une "instrumentalisation grave de la justice visant à bâillonner des expressions politiques". Ce mardi 23 avril, Mathilde Panot a été informée par la police judiciaire de Paris qu'elle faisait l'objet d'une convocation début mai, dans le cadre d’une enquête pour "apologie du terrorisme".

La présidente du groupe La France Insoumise à l'Assemblée nationale est mise en cause pour un communiqué de son groupe parlementaire, qui avait été publié le 7 octobre, jour de l’attaque terroriste menée par le Hamas contre Israël. Les enquêteurs estiment donc que ce texte est susceptible de contenir des éléments d'apologie du terrorisme, mais en quoi consiste exactement ce délit ?

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Depuis le 15 novembre 2014, la loi française punit, via l'article 421-2-5 du Code pénal, "le fait de provoquer directement des actes de terrorisme ou de faire publiquement l'apologie de ces actes". La sanction initiale est fixée à cinq ans d'emprisonnement et à 75 000 € d'amende.

Le texte précise que "les peines sont portées à sept ans d'emprisonnement et à 100 000 € d'amende lorsque les faits ont été commis en utilisant un service de communication au public en ligne", par exemple un réseau social. En vigueur depuis moins de dix ans, cette disposition est donc relativement nouvelle dans la loi française, mais elle a en fait élargi le cadre d'une loi beaucoup plus ancienne.

Comme l'indique l'avocat Emmanuel Pierrat, "cette infraction était jusqu’alors visée au sein de la célèbre loi du 29 juillet 1881", relative à la liberté de la presse. Dans une période de forte contestation sociale, matérialisée notamment par plusieurs attentats anarchistes, le gouvernement de Jules Ferry fit voter toute une batterie de lois restreignant les droits de la presse, les fameuses "lois scélérates".

Parmi les dispositions adoptées à cette occasion, l'article 24 introduit le délit d'apologie, qui s'applique aux atteintes volontaires à la vie et à l'intégrité d'une personne, aux destructions, dégradations et détériorations volontaires dangereuses pour les personnes, mais aussi aux crimes de guerre et aux crimes contre l'humanité. Le texte prévoit une peine de prison et une amende pour les journalistes et éditeurs de presse se rendant coupable de ce délit.

Pendant plus d'un siècle, le délit d'apologie du terrorisme a donc exclusivement concerné les organes de presse, jusqu'à ce que le gouvernement du Premier ministre Manuel Valls ne décide en 2014 de l'étendre à l'ensemble de la population. Au moment de présenter la loi à l'Assemblée, le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve annonce ainsi que "l’apologie et la provocation au terrorisme ne relèveront plus du délit d’opinion, et donc de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, mais du droit commun".

Dans son propos liminaire, tenu le 15 septembre 2014 à l'Assemblée (avant, donc, les attentats de 2015 et 2016), le ministre justifie cette nouvelle législation par "la menace que constitue pour la sécurité publique la présence de nombreux citoyens français, ou d’étrangers résidant habituellement sur le territoire national, parmi les combattants enrôlés dans les groupes terroristes en Syrie, et désormais en Irak".

À partir de la mise en application de cette loi en janvier 2015, le nombre de condamnations pour apologie du terrorisme a littéralement grimpé en flèche. D'après Mediapart, 14 condamnations avaient été recensées entre 1994 et 2014. En 2015, année des attentats de Charlie Hebdo, de l'Hyper Casher et du 13 novembre, la justice a prononcé pas moins de 332 condamnations pour apologie du terrorisme.

Le nombre de condamnations a ensuite encore augmenté en 2016 (495), avant de décroître lors des trois années suivantes (329 condamnations en 2017, 246 en 2018 et 212 en 2019), sans doute en lien avec une menace terroriste de moins en moins vive. Mediapart précise que le ministère de la Justice n'a pas été en mesure de lui fournir les données pour les années suivantes.

Depuis son introduction dans le code pénal, ce durcissement de la législation antiterroriste a été la cible de nombreuses critiques. Amnesty International a ainsi rapidement dénoncé des "arrestations arbitraires" et de nombreux autres organismes et personnalités ont alerté sur le danger d'une restriction de la liberté d'expression, à l'instar de l'ancien Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, Dunja Mijatovic.

"Certes, l’apologie du terrorisme est répandue, en particulier sur internet, et doit être combattue, a ainsi écrit ce dernier dans un article publié en 2018 (alors qu'il était en poste). Mais la législation antiterroriste risque de devenir un outil dangereux pour la liberté d’expression si elle sert à restreindre ou supprimer l’information ou les critiques légitimes. Elle peut aussi être problématique si les infractions ne sont pas définies de manière assez claire et précise, ce qui peut entraîner une limitation injustifiée ou disproportionnée du droit à la liberté d’expression."