Que se passe-t-il au Sénégal ? 5 questions pour comprendre la crise politique

La décision du président Macky Sall de reporter l’élection présidentielle du 24 février a été invalidée par le Conseil constitutionnel.

Des manifestants protestent contre la décision du président Macky Sall de reporter le scrutin du 25 février à Dakar, au Sénégal, le vendredi 9 février 2024. Les leaders de l'opposition et les candidats ont rejeté la décision, la qualifiant de
Des manifestants protestent contre la décision du président Macky Sall de reporter le scrutin du 25 février à Dakar, au Sénégal, le vendredi 9 février 2024. Les leaders de l'opposition et les candidats ont rejeté la décision, la qualifiant de "coup d'État". (AP Photo/Stefan Kleinowitz)

Une crise institutionnelle guette le Sénégal. Jeudi 15 février, le Conseil constitutionnel a finalement invalidé le décret présidentiel du 3 février qui annonçait le report de l'élection présidentielle prévue le 24 février. La décision, pourtant entérinée par le Parlement, avait déclenché un élan de protestation dans le pays, considéré jusqu’ici comme un exemple de stabilité en Afrique de l’Ouest.

Les juges ont expliqué que reporter le scrutin au 15 décembre était contraire à la Constitution. D'autant que ce report conduisait à l'allongement du mandat du président Macky Sall, dont le terme est fixé au 2 avril 2024. Le Conseil a ordonné aux autorités de rétablir le processus électoral et d'organiser le scrutin dans "les meilleurs délais". Le président Macky Sall acceptera-t-il cette décision ?

Qui est Macky Sall, l’actuel président du Sénégal ?

Macky Sall est né le 11 décembre 1961 à Fatick, au Sénégal. Membre du Parti démocrate sénégalais (PDS), il a été ministre et Premier ministre d’Abdoulaye Wade, son mentor, avant de rompre avec lui en 2008. Il s’est notamment opposé à lui lorsque ce dernier a voulu briguer un troisième mandat, ce qui est contraire à la Constitution. Il a alors fondé son parti, Alliance pour la République (APR-Yaakaar). Élu président une première fois en 2012, puis réélu en 2019, il s’est engagé en 2023 à ne pas se présenter une troisième fois.

Pourquoi l'élection présidentielle au Sénégal a été reportée ?

Le président a décidé de reporter l'élection présidentielle du 24 février au 15 décembre 2024. Pour l'opposition, Macky Sall en a décidé ainsi pour s’arranger avec le calendrier. Le candidat de la majorité présidentielle, le Premier ministre Amadou Ba, n'avait en effet que très peu de chances de l’emporter. "Cette élection avait une configuration inédite, avec un président sortant qui ne se représente pas, vingt candidats retenus, et donc un scrutin assez ouvert qui suscitait l'intérêt des électeurs”, explique le politologue Etienne Smith à franceinfo.

De son côté, Macky Sall a justifié le report de la présidentielle par les farouches querelles suscitées par le processus de validation des candidatures. Il expliquait vouloir une élection incontestable pour éviter de nouveaux accès de violence.

Quelles sont les candidatures qui posent problème ?

Parmi les nombreuses candidatures, certaines n’ont pas été validées par le Conseil constitutionnel. C'est le cas de celle de Karim Wade, fils de l’ancien président Abdoulaye Wade. Sa candidature a été jugée irrecevable car il avait également la nationalité française au moment du dépôt de son dossier, ce qui n’est pas autorisé au Sénégal. Le décret de renonciation n’ayant été publié que trois semaines plus tard, il a été accusé de parjure au moment de sa profession de foi. Karim Wade a réagi en accusant deux membres du Conseil constitutionnel de corruption. Fait surprenant, le camp présidentiel a voté en faveur du recours de son opposant, souligne Le Monde, pour probablement gagner du temps et trouver un autre candidat qu’Amadou Ba.

L’autre candidature qui inquiète le gouvernement est celle de Bassirou Diomaye Faye, membre du parti de l’opposant antisystème Ousmane Sonko et soutenu par une grande partie de la population. Ce dernier, incarcéré et condamné pour "corruption de la jeunesse" en 2023, ne peut pas se présenter pour ces raisons. L’annonce de sa condamnation avait d’ailleurs déclenché une vague de manifestations au Sénégal. La candidature de Bassirou Diomaye Faye, également incarcéré, a cependant été validée parce qu’il n’a pas encore été jugé.

Peut-on parler de Coup d’État ?

Le report du scrutin, qui permettrait au président d’instaurer une situation qui lui serait plus favorable, est vécu par les opposants comme un coup d’État. "Cette décision ne se base sur aucune disposition constitutionnelle, relève Ousmane Diallo, enseignant-chercheur sur le Sénégal pour Amnesty International dans les colonnes de Libération. Ce devrait être du ressort des institutions judiciaires, le Conseil constitutionnel ou la Cour suprême, pas du président de la République." Les juges du Conseil constitutionnel ont finalement refusé le report.

Quel est le risque d'embrasement au Sénégal ?

Le risque d’embrasement est aujourd’hui réel, les partis d’opposition contestant la prorogation du mandat de Macky Sall au-delà du 2 avril. Une marche prévue le 13 février a par exemple été interdite par les autorités et internet a été suspendu sur les téléphones mobiles. De précédents défilés, lors desquels trois jeunes sont morts, ont été durement réprimés. Sur X (anciennement Twitter), Reporters sans frontières (RSF) s’est indigné du fait qu’au moins cinq journalistes aient été pris pour cible.

Le président Macky Sall va-t-il se plier à la volonté des juges ou s'entêter à repousser le vote ? L'avenir politique du Sénégal est entre ses mains.

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