Votre psy s’ennuie-t-il lorsqu’il vous écoute ? Les premiers concernés expliquent pourquoi ce n’est pas grave

Certains psys concèdent avoir déjà ressenti de l’ennui pendant une séance.
Certains psys concèdent avoir déjà ressenti de l’ennui pendant une séance.

PSYCHOLOGIE - Un psy qui pique du nez ? Cette scène paraît tirée d’un film. Pourtant, « ça peut arriver », admet la psychologue et psychanalyste Marie-Frédérique Bacqué. Elle n’en a cependant pas eu l’expérience : « Aucun patient ne m’a jamais tapé sur l’épaule. » Et s’ennuyer, c’est possible ? Pour en avoir le cœur net, Le HuffPost a contacté des psychologues, psychiatres et psychanalystes afin de leur poser la question. En espérant des réponses en toute franchise.

Si tous reconnaissent que décrocher, manquer d’attention ou faire preuve de confusion entre les patients et les histoires de chacun « peut arriver », le degré d’ennui semble varier en fonction de l’approche thérapeutique, de l’état de fatigue du praticien ou encore de la redondance du discours du patient.

Le psychanalyste Jean-Pierre Zobel estime qu’il est indissociable de la posture thérapeutique. A contrario du psychologue clinicien Georges Cognet qui assure ne jamais s’ennuyer. Mais il reconnaît : « C’est possible d’en ressentir. Je ne pense pas que l’on puisse faire ce métier si on a besoin d’être constamment stimulé.  »

L’attention flottante

Au cours d’une psychanalyse, le thérapeute alterne entre deux positions : l’écoute active et l’attention flottante. Selon Jean-Pierre Zobel, l’attention flottante est « une sorte de posture dissociée où on met notre cerveau en veille. Mais il reste attentif à ce qui est important cliniquement parlant ». Et le psychanalyste l’assure : s’il était constamment dans une position d’écoute active, il serait épuisé, car le cerveau a une capacité d’enregistrement limitée.

Adopter l’attitude de l’attention flottante peut ainsi provoquer un sentiment d’ennui chez le thérapeute. Un patient peut avoir des mécanismes de défenses très importants et contourner ses problèmes. Ce qui l’amène à répéter les mêmes histoires dans différentes situations… Pendant parfois un certain temps.

Ce qui est « un peu convenu et redondant pour le thérapeute », admet Jean-Pierre Zobel. « Un patient m’a parlé pendant six mois de ses carreaux de salle de bains qui venaient d’Italie… Il n’y a rien de palpitant, mais ça fait partie intégrante de la thérapie », raconte-t-il.

Mais les discours banals ou convenus lors d’une session ne sont pas forcément négatifs, selon Marie-Frédérique Bacqué. Ils indiquent que le patient se défend inconsciemment contre le processus analytique : « C’est un élément du diagnostic qui signifie que le patient n’est pas assez avancé pour associer librement ses pensées avec confiance. »

C’est même derrière des choses qui n’ont pas forcément d’intérêt que l’on décèle les détails importants qui permettent à la thérapie d’avancer. « Ne pas adopter la posture d’attention flottante, c’est prendre le risque de passer à côté de l’essentiel », estime Jean-Pierre Zobel.

Fatigue, redondance, histoire personnelle…

L’ennui peut arriver dans d’autres circonstances : en fonction de la fatigue du psy, de la longueur de la journée et de l’enchaînement des patients… Mais aussi à cause des expériences personnelles du praticien. « Ça peut être une posture défensive lorsque le patient raconte des séquences de vie qui renvoient à celles du thérapeute qu’il n’a pas suffisamment élaborées », selon Jean-Pierre Zobel.

Les thérapeutes peuvent aussi décrocher, manquer d’attention ou faire preuve de confusion. « Ça m’est arrivé de confondre les prénoms de membres de la famille d’un patient. C’est pour cela que je conseille de prendre des notes à la fin des séances. Les confusions doivent cependant être analysées car elles peuvent aussi montrer des défenses de l’analyste », rapporte Marie-Frédérique Bacqué.

Quid d’un patient qui serait particulièrement ennuyeux ? Le psychologue Georges Cognet, spécialiste des enfants et adolescents, s’efforce de prendre chaque histoire avec le même intérêt. « Ce que va me raconter une jeune actrice, par exemple, peut paraître beaucoup plus intéressant que ce que nous dit un ado dépressif, parce que son histoire est loin de nous, concède-t-il. Mais on doit lutter contre la curiosité mal placée et ne pas vivre des expériences par procuration.  »

Comment réagir ?

Ne pas laisser paraître ce sentiment d’ennui est d’autant plus important qu’un patient peut le remarquer. Ce qui peut mettre en péril le lien thérapeutique et la confiance qui unit l’unit avec le psy. Dans ces cas-là, certains thérapeutes conseillent la sincérité.

« On peut dire au patient qu’on a du mal à se concentrer. On peut aussi lui expliquer ce que l’on fait pour ne pas donner l’impression que l’on est distrait », détaille George Cognet qui conseille également de bien définir ses objectifs thérapeutiques pour éviter l’ennui.

Quand il survient malgré tout, certains essayent de s’en servir comme un indice afin de progresser dans la thérapie. Si le psychiatre Nicolas Neveux assure lui aussi ne pas s’ennuyer pendant ses séances (d’une durée d’une demi-heure), il éprouve régulièrement des pointes de manque d’intérêt dont il se sert comme des signaux d’alarme. Il se demande alors ce que révèle ce sentiment et agit en conséquence.

« Par exemple, si le patient est redondant, il est peut-être dans des mécanismes d’évitement. Je peux éventuellement changer ma manière d’aborder les choses, réorienter le sujet, ou le confronter… Si la monotonie du ton est fréquente, c’est peut-être le signe que la personne ne va pas bien », détaille-t-il.

Pour lui, un psy doit essayer de s’efforcer de masquer ses émotions et ne pas montrer un éventuel ennui. Le danger ? Que le patient s’imagine que le thérapeute se fiche de ce qu’il lui raconte. « S’il est déprimé, qu’il pense déjà que personne ne l’aime, ça ne va pas l’aider…  » Alors rassurez-vous : si votre psy peut paraître distrait, il cherche au même moment les clefs pour votre bien-être. Même si son attitude peut laisser penser le contraire.

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