Le projet de mine de lithium mené par Imerys dans l’Allier en dit beaucoup de l’« écologie à la française »

Un employé marche dans la mine de la multinationale française de minéraux industriels Imerys à Echassierres, dans le centre de la France, le 17 janvier 2024.
OLIVIER CHASSIGNOLE / AFP Un employé marche dans la mine de la multinationale française de minéraux industriels Imerys à Echassierres, dans le centre de la France, le 17 janvier 2024.

ENVIRONNEMENT - Faut-il ouvrir une toute première mine de lithium en France ? Voilà la question posée par un grand débat public lancé lundi 11 mars pour quatre mois à Échassières (Allier). L’industriel Imerys projette d’installer dès 2028 dans cette petite commune de 400 habitants, au cœur du Massif central, l’une des plus grandes mines de lithium d’Europe.

Une telle perspective inquiète certains riverains, mais l’exécutif soutient fermement le projet, qu’il voit comme une opportunité d’alimenter la chaîne de production de voitures électriques françaises, le lithium étant un composant essentiel des batteries. Cette mine permettrait en outre de réduire la dépendance de la France à la Chine, principal exportateur du précieux métal.

« Nous avons des mines de lithium en France et nous allons les développer grâce au nouveau code minier ; c’est clé pour notre souveraineté », déclarait ainsi aux Échos Emmanuel Macron fin 2022. Quelques jours plus tard, le ministère de l’Économie annonçait financer le projet d’Imerys à hauteur de 100 millions d’euros. Pour Bruno Le Maire, cette mine « contribuera à l’objectif fixé par le président de la République de produire 2 millions de véhicules électriques en France d’ici 2030 ».

« On a l’impression que tout est joué d’avance », se désole Patricia Laedrich, porte-parole de l’association de riverains Préservons la forêt des Colettes, opposée au projet. Un avis appuyé par l’association France nature environnement (FNE), qui fustige « l’art de vendre la peau d’un projet avant de l’avoir débattu ».

Des craintes pour la biodiversité, mais surtout pour l’eau

Les associations de défense de l’environnement réclament des précisions sur la gestion des déchets miniers du projet et pointent des risques de pollution de l’eau, des sols et de l’air. Le site en question, où une carrière de kaolin est déjà exploitée, se situe à deux pas d’une zone Natura 2000 et à proximité de plusieurs exploitations agricoles.

Plus encore, les habitants craignent que « l’histoire se répète à Échassières » et ne veulent pas d’une nouvelle mine chez eux. La commune « est encore victime de pollutions aux métaux lourds résultant de l’exploitation d’un de ses anciens sites miniers », déplore l’antenne locale de la FNE.

Au-delà des inquiétudes concernant la biodiversité, un problème bien plus important se pose : extraire du lithium mobilise de grandes quantités d’eau. Imerys assure que l’eau utilisée pour sa mine sera recyclée à 90 %, « ce qui en fait un projet lithium parmi les plus bas consommateurs d’eau au monde ». Le projet mobilisera tout de même 1,2 million de m3 par an, puisés pour moitié dans la rivière de la Sioule.

Or « depuis quatre ans, la commune a enchaîné les arrêtés sécheresse », rappelle Patricia Laederich. « On reproche aux agriculteurs de faire des bassines, mais Imerys va faire de même ! Ils vont prélever l’eau en hiver et la stocker dans des réservoirs pour l’utiliser toute l’année », poursuit la porte-parole, qui dénonce un accaparement de la ressource.

Produire du lithium français, donc plus écologique

L’entreprise rétorque que son projet est aussi vert que possible. En France, les conditions d’extraction sont plus exigeantes qu’ailleurs dans le monde : la mine sera souterraine, le lithium sera transporté par canalisations, puis par train jusqu’à son usine de conversion.

« On peut, en France, produire le lithium dans des conditions environnementales nettement plus performantes grâce à un cadre réglementaire avancé et si l’on se donne la peine d’une concertation transparente et à l’écoute des préoccupations exprimées par les populations les plus impactées par le projet », concède Jean-Philippe Hermine, directeur de l’Institut Mobilités en Transition (IMT) de l’Iddri. « Il est quelque part éthique de prendre notre part et de montrer que nous sommes capables de mettre en œuvre chez nous ce que nous exigeons ailleurs. »

À noter que ce lithium « exigeant » est logiquement plus cher à produire. « Il faut être prêt à en assumer les conséquences, par exemple, à mettre en place des politiques publiques pour lui garantir une place sur le marché », prévient Jean-Philippe Hermine. « Ce peut être au travers de dispositifs du type “écoscore” des véhicules mis sur le marché pour conditionner l’éligibilité au bonus écologique mis en œuvre par le gouvernement cette année », illustre-t-il.

Produire 700 000 voitures électriques par an ?

Au final, le projet incarne une forme d’« écologie à la française », comme l’évoque souvent Emmanuel Macron, qui allie croissance et solutions technologiques. Une vision qui se heurte toutefois à l’idée d’une transition fondée sur la sobriété. Pour de nombreux spécialistes de la transition écologique, les ressources minières ne sont pas renouvelables et ne doivent donc pas entretenir une course à la croissance.

Le projet d’Imerys promet de produire 34 000 tonnes d’hydroxyde de lithium par an, de quoi équiper, selon l’industriel, 700 000 véhicules électriques par an, soit un tiers des besoins du pays pour sa transition. « À quoi correspond ce chiffre de 700 000 véhicules par an calculé par Imerys ? », s’interroge toutefois l’association spécialiste de l’efficacité énergétique Negawatt. « Vraisemblablement à des voitures berlines, voire à des SUV », dénonce la structure, qui appelle la réduction des usages.

Or produire un SUV demande autant de lithium que cinq petites voitures électriques, selon une étude produite de l’IMT et de la WWF. « La transition écologique des quinze prochaines années s’accompagne nécessairement d’une maîtrise de la demande. C’est-à-dire une sobriété dans les usages ou en matière de taille de véhicule », souligne Jean-Philippe Hermine. « Entre un scénario de sobriété soutenu par une instrumentation réglementaire ou fiscale et le scénario qui suivrait la tendance actuelle, on observe une différence de 30 % du besoin en matériaux critiques à l’échelle de la France. »

Autrement dit, la transition écologique ne peut pas passer par la production de véhicules toujours aussi nombreux et volumineux. Dans ce contexte, produire du lithium français pour des raisons « écologiques » demande plus encore qu’une vigilance environnementale sur le site d’Échassières. En entretenant une vision consumériste de la voiture électrique, le projet passe jusqu’à présent à côté d’une appréhension globale et à long terme de la transition écologique.

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