Projet de loi immigration : ce qu’il faut savoir sur le texte qui arrive au Sénat

Alors que Gérald Darmanin s’apprête à défendre la réforme au Parlement, « Le HuffPost » fait le point sur le contenu du texte, ses enjeux politiques et les risques pour l’exécutif.

L’hémicycle du Sénat photographié le 3 octobre (illustration)
THOMAS SAMSON / AFP L’hémicycle du Sénat photographié le 3 octobre (illustration)

POLITIQUE - Nous y sommes. Maintes fois reporté, le projet de loi (PJL) immigration, sur lequel le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin est attendu au tournant, entre (enfin) dans le vif du sujet, avec l’examen en séance au Sénat à compter de ce lundi 6 novembre. Un texte sulfureux qui arrive dans un contexte particulièrement difficile, marqué notamment par l’attentat d’Arras impliquant un terroriste se trouvant en situation irrégulière, mais pas expulsable pour autant.

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Sur le plan purement politique, ce texte qui divise la majorité relative pourrait avoir de lourdes conséquences, puisque rien ne sera possible sans l’aval des Républicains. Ces derniers n’hésitent d’ailleurs pas à brandir la menace d’une motion de censure s’ils n’obtiennent pas satisfaction, à l’heure où le parti d’Éric Ciotti partage quasiment 100 % des propositions du Rassemblement national sur le sujet. Alors que l’examen démarre officiellement ce lundi, voici tout ce qu’il faut savoir sur ce texte.

Ce qu’il contient

Depuis que le projet est dans les tuyaux, Gérald Darmanin utilise une formule pour en résumer l’esprit. Selon lui, il s’agit « d’être gentil avec les gentils, et méchant avec les méchants ». Ce qui, concrètement, consiste à faciliter les expulsions des étrangers délinquants en situation irrégulière, tout en portant un « volet intégration » concernant « ceux qui travaillent ». Une sorte d’« en même temps » macroniste chimiquement pur, qui passe par plusieurs dispositions.

Sur l’aspect répressif, le texte entend faciliter les éloignements des étrangers ayant commis des actes criminels ou délictuels passibles d’au moins dix ans d’emprisonnement (cinq ans pour les récidivistes). Et ce, même s’ils sont en France depuis longtemps. Dans le même esprit, ce PJL prévoit de supprimer les protections d’éloignement, notamment pour ceux arrivés en France avant l’âge de 13 ans, en cas de « menace grave pour l’ordre public ».

Accélération de l’instruction des demandes d’asile, délivrance d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF) dès le rejet en première instance, division par trois du nombre de recours possibles, décentralisation de la Cour nationale du droit d’asile… Le gouvernement prône une « réforme structurelle » qui vise un double objectif : traiter plus rapidement les demandes et faciliter les expulsions.

Dans ce même objectif de faire baisser l’immigration, la commission des Lois du Sénat a introduit une mesure visant à « resserrer les critères du regroupement familial », en renforçant notamment les conditions de séjour et de ressources d’un demandeur. Autre tour de vis, la transformation de l’Aide médicale d’État (AME) en Aide médicale d’urgence. Une option que ne désavoue par Gérald Darmanin. En commission, les sénateurs ont également ajouté un système de « quotas en matière migratoire », qui permettrait au Parlement de fixer annuellement le nombre de titres à délivrer.

Concernant l’aspect intégration, le PJL entend « conditionner la délivrance de la carte de séjour pluriannuelle à la maîtrise d’un niveau minimal de français », ce qui pourrait passer par un examen. Ce sont surtout les articles 3 et 4 du texte qui visent à équilibrer un texte qui penche (beaucoup) à droite. Ils visent à régulariser les travailleurs sans papiers dans les métiers en tension et autoriser les demandeurs d’asile des pays à risque à travailler dès leur demande d’asile.

Point d’achoppement

Et ce sont justement ces deux mesures qui sont les plus risquées pour l’exécutif, notamment l’article 3 qui, selon un sondage YouGov pour Le HuffPost, n’emballe pas les Français. Pour faire passer son texte sans recours au 49.3 (qui pourrait entraîner une motion de censure fatale si l’on se fie aux menaces de la droite), le gouvernement doit pouvoir compter sur les votes LR. Or, les parlementaires de droite ont fait de l’article 3 une ligne rouge. Dans le même temps, l’exécutif doit aussi composer avec l’aile gauche de sa propre majorité relative, qui tient à cette mesure d’équilibre.

Contraint de donner de gages à chaque partie pour faire adopter son texte, Gérald Darmanin a fait savoir qu’il « tenait » à ce dispositif, mais qu’il souhaitait trouver un « compromis ». L’idée, pour l’exécutif, serait donc de bouger sur la forme pour ne pas froisser la droite tout en apaisant les craintes de son aile gauche. « Je pense que le titre de séjour avec l’article 3 est une bonne méthode mais si une autre solution émerge du débat parlementaire, pourquoi être fermé ? », s’est interrogé sur France 3 le ministre du Travail Olivier Dussopt. À défaut de figurer dans la loi, l’article 3 pourrait être transformé en circulaire ou en décret, comme l’a évoqué Gérald Darmanin dans Le Journal du Dimanche le 22 octobre.

Une solution qui crispe moins la droite. « Certains sénateurs disent : “est-ce qu’on ne pourrait pas mettre dans la loi une disposition permettant au préfet, de manière toujours exceptionnelle, de régulariser ces personnes sans forcément créer un nouveau titre de séjour ?” », a résumé Olivier Dussopt. Suffisant pour l’aile gauche de la Macronie ? À voir, car des députés de la majorité, comme Caroline Janvier, font déjà savoir qu’ils ne voteraient pas le texte en cas de retrait de l’article 3. D’autant qu’il est difficile de savoir quelle sera la position définitive des Républicains, déjà accusés par le Rassemblement national d’être « des résistants d’opérette » sur le sujet.

Reste que, pour l’heure, l’hypothèse d’une adoption sans vote par l’utilisation de l’article 49.3 est dans toutes les têtes. Avec, comme principale inconnue, le vote (ou non) d’une motion de censure par les députés LR qui ferait tomber Élisabeth Borne et déboucherait, selon toute logique, sur une dissolution de l’Assemblée nationale et la convocation d’élections législatives. Mais avec 58 élus au Palais Bourbon, le parti d’Éric Ciotti peut-il (vraiment) se le permettre ?

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