Trop progressiste ou pas assez, François, un pape qui "déconcerte un certain nombre de catholiques"

"J'ai beaucoup d'estime pour le pape, mais je n'irai pas le voir à Marseille." Si René Poujol, ancien rédacteur en chef du magazine Pèlerin, assure être un "inconditionnel" du pape François - "c'est le pape dont l'Église a besoin", ajoute-t-il - hors de question pour lui de se rendre en cette fin de semaine dans la cité phocéenne à l'occasion de la visite pontificale.

"Le discours du Vatican qui consiste à dire que le pape vient à Marseille mais pas en France, je ne peux pas l'accepter", explique-t-il à BFMTV.com.

Le pape a en effet indiqué qu'il se rendrait à Marseille, "pas en France", signifiant ainsi que son déplacement n'aurait pas valeur de visite d'État mais serait consacré à la question migratoire - son déplacement se tenant dans le cadre des Rencontres méditerranéennes.

"Je ne peux pas faire comme si la venue du pape était une parenthèse, comme s'il ne venait pas dans un pays où le catholicisme souffre, où des personnes ont eu à souffrir de l'Église", continue René Poujol.

"J'en veux au pape"

Ce catholique reproche notamment au pape d'avoir reçu au printemps dernier une délégation de la Communauté des béatitudes - communauté mise en cause pour des dérives sectaires et dont certains membres sont accusés de violences sexuelles. Un sujet sur lequel René Poujol aurait d'ailleurs souhaité une prise de position plus ferme du pape.

"En parler dix minutes aurait suffi", pointe-t-il. "Qu'il parle."

Lui qui se présente d'ailleurs comme un "observateur engagé de la vie de l'Église" évoque encore sa "colère", "à la hauteur de mon attachement pour l'Église".

"J'en veux au pape de ne pas avoir reçu le président de la Ciase (la commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Église, NDLR)", déplore encore René Poujol. "C'est une forme de désaveu pour les évêques qui ont entendu la Ciase et une gifle pour les victimes. Quand le Vatican va-t-il intervenir?"

"Je me suis senti incompris"

Si pour certains, le pape est trop conservateur, pour d'autres, il ne l'est pas assez. C'est le cas de Rémi, un catholique de 28 ans de la région Paca, qui a notamment été "chagriné" par les propos du pape François sur la messe en latin. En 2007, Benoît XVI avait autorisé la célébration de la messe tridentine - célébrée selon l'ancien rituel avec davantage de textes et de prières en latin, dite aussi messe selon le missel de 1962 ou forme extraordinaire. Mais en 2021, François a décidé de limiter fortement ces messes.

"Je n'ai pas compris", confie à BFMTV.com ce jeune homme qui apprécie les messes en latin. "Ça m'avait un peu ébranlé, interrogé. Je me suis senti incompris."

Quant aux propos du pape François sur "l'arrièrisme", condamnant "la réaction contre la modernité" et la "maladie nostalgique", Rémi a préféré faire comme s'ils ne s'adressaient pas à lui. "En France, la messe ordinaire et la messe extraordinaire cohabitent bien et ça m'a rassuré de voir que les évêques avaient bien réagi."

"Les jeunes qui se tournent vers la messe en latin ne sont pas arriérés, ce n'est pas le côté vieillot qui les intéresse. Peut-être qu'ils ne s'y retrouvent tout simplement pas dans la messe ordinaire. Et puis, il en faut pour tous les goûts."

"Le pape François est plus clivant"

"Ce pape est déstabilisant", reconnaît pour BFMTV.com Sylvaine Landrivon, co-présidente du Comité de la jupe, une association qui promeut la place des femmes dans l'Église catholique. "Il critique le cléricalisme, veut réformer l'Église, se met les traditionalistes à dos mais en même temps, il ne va pas assez loin dans ses réformes progressistes."

Cette théologue se souvient notamment de ses déclarations sur l'homosexualité. Le pape avait affirmé "ne pas juger" les homosexuels tout en condamnant "le lobby gay". Le souverain pontife avait également déclaré qu'être homosexuel n'était "pas un crime" mais "un péché". S'il s'était aussi déclaré favorable aux unions civiles pour les couples homosexuels, le Vatican avait finalement fait marche arrière.

"C'est comme s'il restait à mi-chemin", observe Sylvaine Landrivon.

Cette théologue, auteure des Leçons de Béthanie - De la théorie à la pratique, met également en évidence les contradictions du pape sur le mariage des prêtres - il a autorisé certaines communautés catholiques à disposer de prêtres mariés. "On pensait que ça allait bouger, et finalement pas du tout."

"Benoît XVI s'était mis à dos tous les progressistes, mais au moins, c'était clair. En ce sens, le pape François est plus clivant."

Du "rejet" à "l'aversion"

"Il déconcerte un certain nombre de catholiques", abonde pour BFMTV.com Charles Mercier, maître de conférences en histoire contemporaine à l'Université de Bordeaux. En 2018, un sondage BVA-Le Figaro avait montré que la popularité du pape avait baissé auprès des catholiques français. Il recueillait ainsi quelque 87% d'opinions favobrables en 2015, contre 78% trois ans plus tard, perdant ainsi neuf points.

"Pour certains catholiques conservateurs, le message du pape sur l'écologie est vu comme un nouveau mantra, un impératif moral au détriment des évangiles."

"Certains prêtres appellent même ça 'de la moraline'."

Mais l'un des principaux sujets clivants reste l'immigration. "Pour toute une partie des catholiques les plus à droite, son discours est trop angélique", analyse encore Charles Mercier, également auteur de L'Église, les jeunes et la mondialisation. Une histoire des JMJ.

Si, chez la grande majorité des catholiques, les prises de position du pape peuvent simplement susciter des interrogations voire une forme d'incompréhension, au sein de cette marge, son message peut aller jusqu'au "rejet", au point de susciter de "l'aversion".

"Un rapport très ambivalent"

Mais cet historien précise que "tous les papes ont été clivants à leur manière". Particularité de la situation actuelle: les catholiques français sont devenus plus conservateurs ces dernières années. "Le pape François apparaît ainsi à contre-courant de la sensibilité majoritaire."

Par comparaison, Jean-Paul II (qui a été pape de 1978 à 2005) - plus conservateur - semblait ainsi en décalage d'un catholicisme français à l'époque globalement plus progressiste.

"Mais au sein de ce courant très à droite du catholicisme français, il existe une sorte de dissociation", note Charles Mercier. "Ils vivent dans un dualisme: ils peuvent tout à fait entendre ce que dit le pape tout en votant Zemmour."

"Ils ne vont pas pour autant devenir anti-François. C'est un rapport très ambivalent."

Article original publié sur BFMTV.com