Procès du 13-Novembre: "la peine de mort sociale" combattue par les avocats de Salah Abdeslam

Procès du 13-Novembre: "la peine de mort sociale" combattue par les avocats de Salah Abdeslam

Salah Abdeslam mérite-t-il la réclusion criminelle à perpétuité incompressible? Pour sa défense, la réponse est clairement non. "Si vous suivez le parquet, c'est le terrorisme qui a gagné", a martelé Me Olivia Ronen après avoir tenté de démonter un à un les arguments mis en avant par le parquet national antiterroriste lors de ses réquisitions. Pour elle, la peine maximale du code pénal, prononcée à l'encontre de seulement quatre accusés "tous des psychopathes au terme médical du terme", revient "à faire une croix sur l'échelle des peines, sur le fait qu'il parle ou ne parle pas".

Par cette peine, Me Martin Vettes, l'autre avocat de Salah Abdeslam qui a plaidé ce vendredi, estime que "l’accusation vous demande de neutraliser définitivement un ennemi en le condamnant à la peine de mort sociale". "Une mort blanche" pour sa consoeur, qui réclame une peine juste et surtout laisser un espoir de liberté à son client, placé à l'isolement strict depuis six ans, rappelant que lui "n'a tiré sur aucune victime".

"Bien entendu que nous nous attendons à une sanction lourde, il a apporté son aide à l'Etat islamique et il le reconnaît, il a accepté de faire partie du commando, il a déposé trois hommes avant de s'enfuir. Bien sûr qu'on s'attend à une sanction lourde mais nous avons l'impression qu'on a perdu tout sens de la mesure, qu'il n'y a plus d'échelle de peines, plus de mesures".

"S'il avait su..."

Pour éviter la réclusion criminelle à perpétuité incompressible à leur client, les deux avocats se sont attachés à démonter les arguments du parquet antiterroriste. Déjà les arguments juridiques: cette peine ne peut être prononcée que pour les crimes les plus graves, ceux qui concerneraient Salah Abdeslam sont ceux de tentative de meurtre contre les policiers de la BRI intervenus lors de l'assaut final au Bataclan le soir du 13 novembre 2015.

"Fort d'un don d'ubiquité, il  va être condamné parce que des attaques sont commises en même temps et que les assaillants ont un objectif commun, semer la terreur", déplore l'avocate, qui dénonce avec force la volonté du parquet de faire condamner son client comme "co-auteur".

Pour son confrère Me Vettes, Salah Abdeslam n'est pas "une boîte noire qui sait tout depuis le départ". "D'ailleurs, si Salah Abdeslam "avait su dès le départ", "il ne se serait pas retrouvé avec un gilet explosif le 13 novembre, poursuit l'avocat, très clair tout au long de sa plaidoirie. Me Ronen défend elle l'idée d'un terroriste recruté au dernier moment pour faire face au désistement de Mohammed Abrini. A l'inverse des autres membres des commandos, lui n'a pas de "kunya", le surnom en arabe donné aux combattants jihadistes, et il n'a pas fait de vidéos de revendication.

"Il n'était pas prévu pour le 13-Novembre. Je sais que ce n'est pas simple à croire ce recrutement, qu'on fasse un terroriste en 24 heures, reconnaît Me Olivia Ronen.

La version d'Abdeslam crédible pour sa défense

D'ailleurs, l'avocate tend à démontrer que la version livrée par Salah Abdeslam lors du procès est crédible. En mars dernier, il avait expliqué être prévu pour se faire exploser dans un bar du 18e arrondissement. Après être entré dans ce bar, il disait avoir "renoncé" par "humanité". L'accusation avait demandé lors de ses réquisitions à ne pas tenir compte de ces déclarations estimant qu'elles ne changeaient rien concernant la peine encourue.

Me Olivia Ronen a rappelé que l'accusation, lors de ses réquisitions et seulement à ce moment, a aussi évoqué que les cafés visés par les terroristes étaient tous situés à des angles. En mars dernier, Salah Abdeslam avait admis avoir renoncé à se faire exploser dans un café situé "à un coin". Par ailleurs, Mohammed Amri, l'un des hommes venus chercher Salah Abdeslam au soir des attentats, a déclaré dans le cadre d'une autre procédure en 2016 que le jihadiste lui avait confié lors du retour de Paris "qu'il était rentré dans un café qu'il devait se faire exploser".

Concernant la ceinture explosive abandonnée par Salah Abdeslam à Montrouge, Me Olivia Ronen note que son client a pris le soin de retirer le bouton-poussoir afin de la rendre inutilisable. "Si Salah Abdeslam cherche à diminuer la dangerosité de sa ceinture explosive en enlevant le bouton pressoir et la pile quand il l'abandonne, c'est qu'il ignore qu'elle ne fonctionne pas", plaide-t-elle. Les analyses sur la ceinture ont permis d'établir qu'elle était défectueuse mais aucun élément ne peut certifier qu'elle a été ou non actionnée.

La parole aux accusés lundi

Enfin, reste l'épineuse question de la déradicalisation. Pour l'accusation, Salah Abdeslam n'en a pas encore pris le chemin. "Salah Abdeslam serait incurable, il n'aurait exprimé aucun remord... Seriez-vous cyniques au point de penser que ce procès n'a eu aucune utilité?  Vous étiez où depuis septembre? N'avez-vous pas vu cette armure se fendiller?", s'est agacée l'avocate. Avec force, comme tout au long de sa plaidoirie, elle s'est attelée à rappeler les changements de son client qui, en septembre dernier, se déclarait "combattant de l'Etat islamique" et qui en avril dernier présentait ses excuses.

"J'étais inquiète de l'avoir mené trop loin, mais il y est allé seul. Il est sorti de sa carapace. Pendant six ans, il avait un seul costume dans son placard. Au terme de 9 mois, il avait trouvé de quoi s'habiller autrement", a insisté Me Ronen évoquant le chemin entrepris par son client. "Sortir de la radicalité, c'est comme apprendre à nager dans une piscine. Il se lâche mais ne s'éloigne pas trop du bord car s'il s'éloigne trop, il se noie."

Salah Abdeslam, masque sur le visage et rasé de près, a écouté attentivement ses avocats qui disent qu'ils ne se "seraient pas permis d'avoir autant d'espoir" à leur première rencontre avec leur client. Les bras croisés la plupart du temps, il a semblé gêné lorsque son avocate a évoqué cet aspect. Lundi, lui et les autres accusés auront une dernière fois la parole. La cour se retirera ensuite pour délibérer. Le verdict est attendu mercredi soir.

Article original publié sur BFMTV.com