Procès de Monique Olivier: Marie-Angèle Domèce et de Joanna Parrish, ces autres victimes de Fourniret

Procès de Monique Olivier: Marie-Angèle Domèce et de Joanna Parrish, ces autres victimes de Fourniret

Sa photo avait été placardée sur tout le territoire. Vingt ans après sa disparition, Estelle Mouzin est un visage bien connu des Français. Avant elle, d'autres jeunes filles ont croisé la route de Michel Fourniret. C'est le cas de Marie-Angèle Domèce et Joanna Parrish, les deux dernières victimes dont le tueur en série a avoué les meurtres. Deux disparitions moins médiatisées, mais tout aussi dramatiques.

Si Michel Fourniret n'aura pas l'occasion de répondre de ces trois crimes - l'homme étant décédé en mai 2021, à l'âge de 79 ans -, son ancienne épouse, en revanche, fera face à la justice. Monique Olivier est jugée, à partir de ce mardi 28 novembre, devant la cour d'assises des Hauts-de-Seine pour complicité dans l'enlèvement d'Estelle Mouzin et l'enlèvement, le meurtre et le viol de Marie-Angèle Domèce et de Joanna Parrish.

Une vingtaine de kilomètres d'écart

Le 8 juillet 1988, Marie-Angèle Domèce, 18 ans, quitte à pied son foyer pour handicapés de Fougerolles d'Auxerre (Yonne). Elle y a été placée par la Ddass alors qu'elle n'avait que quinze jours. La jeune femme veut rendre visite à sa nourrice, qui habite à une vingtaine de kilomètres de là, à Migennes. Mais sur le chemin de la gare, elle se volatilise. Son corps ne sera jamais retrouvé.

À peine deux ans plus tard, le 17 mai 1990, le corps d'une jeune femme est découvert au petit matin dans une rivière de l'Yonne, à Moneteau. La jeune femme, dévêtue, porte des traces de liens aux poignets et aux chevilles. Son visage est couvert d'hématomes. Le corps est rapidement identifié comme étant celui de Joanna Parrish, une Britannique de 20 ans, assistante d'anglais au lycée Jacques-Aymot d'Auxerre. La veille au soir, deux de ses amis ont signalé sa disparition.

L'autopsie révèle que Jonna Parrish est morte de suffocation, dans la nuit du 16 au 17 mai, après avoir été étranglée, frappée au crâne et "probablement sodomisée". Son corps a ensuite été jeté à l'eau. Dans son sang, les médecins légistes retrouvent des traces d'alcool et de médicaments, notamment un antiallergique. La jeune fille ne consomme ni alcool, ni médicament, mais la combinaison des deux provoque un état somnolent, pointent les enquêteurs. Une trace de piqûre est également relevée sur son bras.

Au fil des investigations, les policiers découvrent que Joanna Parrish avait passé des petites annonces dans un journal local pour donner des cours d'anglais. À cette époque, son petit ami se trouve en Tchéquoslovaquie et la jeune femme veut se faire un peu d'argent pour aller lui rendre visite. Un rendez-vous est fixé le 16 mai, vers 19 heures, avec un homme qui cherche des cours pour son fils, élève de cinquième. Le père de famille doit la récupérer pour l'emmener ensuite sur le lieu de la leçon. On ne retrouvera le corps de la jeune Britannique qu'au petit matin.

Des premiers aveux

Pendant de longues années, les familles des deux disparues supplient la justice de s'intéresser à Michel Fourniret, en vain. Ce n'est que quinze ans plus tard que le nom de l'Ogre des Ardennes est évoqué pour la première fois dans ces deux dossiers. Et c'est sa femme, Monique Olivier, qui fait des aveux, en février 2005, devant les enquêteurs belges.

Elle raconte qu'en 1988, alors "qu'elle était enceinte de sept mois de Selim", l'enfant qu'elle attend avec Michel Fourniret, ce dernier repère "une jeune fille de 18 ou 19 ans, blonde, le visage rond et pas très grande", à Saint-Cyr-les-Colons, où le couple réside à l'époque. Mais Michel Fourniret est "embêté qu'elle demeure dans le même village que lui car cela orienterait immédiatement les recherches en sa direction", explique Monique Olivier aux enquêteurs. L'homme se rend finalement compte qu'elle n'habite pas dans le village. Selon Monique Olivier, le couple la recroise "un jour". C'est à ce moment-là que son mari l'enlève, affirme-t-elle. Pour les enquêteurs, il pourrait s'agir de Marie-Angèle Domèce.

"Une autre fois", elle accompagne son mari "dans le but de mettre en confiance une éventuelle victime", explique-t-elle. Ils se rendent tous les deux à la gare d'Auxerre, repère "une jeune femme d'environ 18 ou 19 ans, pas très grande". Monique Olivier descend de la voiture "pour lui parler". La jeune fille, Joanna Parrish, accepte de les suivre et monte dans le véhicule. Sur la route, Michel Fourniret s'arrête et la viole à l'arrière de la voiture.

Selon Monique Olivier, la jeune fille refuse de se déshabiller. Michel Fourniret lui "a donc porté des coups, l'a déshabillée et ligotée aux poignets et aux chevilles", avant de la "violer alors qu'elle était inconsciente". Elle précise également que le tueur en série l'a "ensuite étranglée avant d'aller jeter le corps, entièrement dénudé dans le cours d'eau". Monique Olivier, elle, affirme qu'elle "est restée sur place pendant les faits, sans regarder ce qui se passait". Interrogé à l'époque, Michel Fourniret conteste.

Les deux dossiers disjoints

Mais en mai 2006, coup de théâtre. Après avoir confirmé ses aveux une seconde fois en juin 2005, Monique Olivier revient finalement sur ses déclarations, affirmant qu'elles lui ont été "extirpées". Le tueur en série, lui, continue de nier, invoquant "les délires de Monique".

Pourtant, les enquêteurs belges sont persuadés que le couple est impliqué dans ces deux disparitions et celle d'Estelle Mouzin, tant les modes opératoires sont "similaires". Le 11 mars 2008, Michel Fourniret et Monique Olivier sont mis en examen pour "enlèvements" et "assassinats" dans ces trois dossiers.

Mais fait rare, ces deux dossiers sont finalement disjoints de ceux jugés devant les assises des Ardennes en 2008, car trop "bancals", affirme le procureur de Charleville-Mézières. Car à cette époque, contrairement aux sept autres meurtres pour lequel il a reconnu son implication, Michel Fourniret n'a pas livré d'aveux. Pourtant, quelques mois avant son procès, le tueur demande lui-même dans une lettre "la jonction des affaires Domèce, Mouzin et Parrish". Mais la justice refuse.

Le 28 mai, le tueur en série est condamné à la perpétuité incompressible pour les meurtres de sept autres jeunes femmes ou adolescentes entre 1987 et 2001, précédés de viol ou tentative de viol, et les agressions de trois jeunes filles ayant réussi à lui échapper. Le 14 septembre 2011, la justice prononce un non-lieu dans la disparition de Joanna Parrish et de Marie-Angèle Domèce. C'est en juin 2012 que la cour d'appel de Paris relance ces deux affaires, en ordonnant aux juges de rouvrir l’instruction.

Il faudra attendre 2018 et l'arrivée de la juge Sabine Khéris pour que les aveux formulés par Monique Olivier en 2005 soient pris au sérieux. La magistrate reprend le dossier en main et réentend à plusieurs reprises le couple. Et son travail paye. Début février 2018, près de trente ans après la disparition de Joanna Parrish et Marie-Angèle Domèce, Michel Fourniret reconnaît avoir "croisé leur route". La semaine suivante, "l'Ogre des Ardennes" fait "des aveux circonstanciés et réitérés". Mais en dépit des nombreuses reconstitutions et fouilles, le corps de Marie-Angèle Domèce - tout comme celui d'Estelle Mouzin - ne sera jamais retrouvé.

"On regrette tout ce temps perdu"

À 74 ans, Monique Olivier va donc comparaître pour complicité dans l'enlèvement d'Estelle Mouzin et l'enlèvement, le meurtre et le viol de Marie-Angèle Domèce et de Joanna Parrish. Mais l'ancienne femme de Michel Fourniret ayant déjà été condamnée à la réclusion à perpétuité pour complicité de meurtres, l'enjeu de ce procès est tout autre pour Me Didier Seban, l'avocat des familles de Joanna Parrish et Marie-Angèle Domèce.

"Ce procès, c'est d'abord l'occasion de redonner un visage, de reparler de chacune d'entre elles, de leurs personnalités, de ce qu'elles auraient pu être. C'est aussi leur procès d'une certaine manière", estime Me Didier Seban auprès de BFMTV.com.

Quatorze jours d'audiences durant lesquelles, l'avocat espère obtenir des réponses précises de Monique Olivier sur les trois dossiers, sur la "localisation des corps d'Estelle et de Marie-Angèle", mais également sur "son rapport à Michel Fourniret".

"Est-ce qu'elle était soumise à lui ou est-ce qu'elle a sa responsabilité? Pour nous, elle aurait pu sauver Joanna et Marie-Angèle si elle avait refusé de monter dans la voiture, sachant ce qu'il allait leur faire. Elle a participé et elle a même suscité l'activité criminelle de Michel Fourniret", considère Me Didier Seban.

"J'ai coutume de dire qu'évidemment, sans elle, rien n'aurait été possible dans ces parcours meurtriers. Que ce sont des meurtres qui ont été commis à quatre mains. Elle sera seule face à ses responsabilités, elle ne pourra plus se replier derrière la parole de Michel Fourniret", ajoute l'avocat.

Mais ce procès, selon Me Didier Seban, c'est un peu aussi celui de la justice et de "ses ratés". "Il y a eu des dysfonctionnements majeurs", estime l'avocat. Pourquoi les policiers belges n'ont pas enquêté plus tôt sur le couple Fourniret? Pourquoi Monique Olivier est-elle revenue sur ses aveux en garde à vue? Pourquoi le procureur de Charlesvilles-Mézière a-t-il disjoint ces deux dossiers des autres? Pourquoi la lettre de Michel Fourniret, réclamant "la jonction des affaires Domèce, Mouzin et Parrish", n'a-t-elle pas été considérée ?

"Il a fallu que nous nous battions contre la justice pour obtenir que l'enquête soit reprise. On regrette tout ce temps perdu. Maintenant, Michel Fourniret n'est plus là pour répondre de ses actes", regrette Me Didier Seban. Le procès doit se tenir jusqu'au 15 décembre.

Article original publié sur BFMTV.com