Le scandale d’Abou Ghraib a 20 ans, autant de temps à attendre la justice américaine pour ces trois ex-détenus
ÉTATS-UNIS - Une prison moins connue que Guantánamo, mais tout aussi redoutable pour les ennemis de l’Amérique. Près de 20 ans après la publication des photos choquantes des traitements infligés aux prisonniers de la prison d’Abou Ghraib, en Irak, trois ex-détenus font aujourd’hui face à la justice américaine pour faire reconnaître les sévices qu’ils disent avoir endurés dans ce complexe pénitentiaire au début des années 2000.
Dans cette affaire particulièrement embarrassante pour les États-Unis, ce sont essentiellement des membres de la CIA et des membres de l’armée américaine qui sont mis en cause pour des faits de violation des droits de l’homme entre 2003 et 2004 lorsque les États-Unis se sont servis de cette ancienne prison comme centre de détention et d’interrogatoire lors de la guerre en Irak.
Lors de ce procès qui s’ouvre ce lundi 15 avril, devant un tribunal de l’État de Virginie, les trois plaignants veulent surtout faire reconnaître les traitements particulièrement extrêmes qu’ils ont subis.
Dans le rapport d’Amnesty International daté de juin 2003 et qui avait permis de révéler cette affaire aux yeux du monde, le directeur du programme Moyen-Orient pour l’ONG rapportait des détentions sans conditions, au moins une exécution et plusieurs cas de blessures. Les semaines suivantes, les rapports d’Amnesty International étaient devenus encore plus explicites grâce aux témoignages d’ex-prisonniers qui évoquaient de multiples humiliations, de la torture, et des conditions de détentions extrêmes, avec privations sensorielles et déshydratation volontaire par exemple.
Des techniques qui permettaient aux membres de l’armée américaine de « ramollir » les prisonniers pour qu’ils passent plus facilement aux aveux lors d’interrogatoires tout aussi problématiques du point de vue des droits de l’Homme.
Preuves gouvernementales
Mais dans cette action en justice menée par trois anciens prisonniers de la prison d’Abou Ghraib, le principal accusé se trouve être un recruteur d’une société militaire privée américaine, la CACI. Cet homme était ainsi chargé de trouver du personnel pour mener les interrogatoires avec les détenus.
Pourtant, la CACI reste fermement campée sur ses positions depuis la révélation du scandale, affirmant que toutes les accusations sont fausses, mais surtout qu’aucun de ses membres n’a été à l’origine de mauvais traitements sur les prisonniers. Comme le remarque Associated Press, l’entreprise américaine rejette plutôt la faute sur l’armée américaine, estimant que ses employés n’étaient pas autorisés à donner des ordres aux militaires. Une question clé qui devra être explorée lors de ce procès.
D’autant plus que cette affaire traîne depuis de nombreuses années, la société privée américaine tentant depuis seize ans de s’en tirer, jusqu’à ce que la Cour suprême finisse par s’en mêler en 2021. La plus haute juridiction américaine a ainsi rejeté le dernier recours possible de l’entrepreneur militaire, l’obligeant à faire face à ce tribunal de Virginie, où l’entreprise est domiciliée.
Les plaignants ont pour objectif de faire reconnaître la responsabilité de cette entreprise, qui a, selon eux, favorisé les conditions de torture et de mauvais traitements. Pour ce faire, l’avocat du Centre pour les droits constitutionnels représentant les trois plaignants compte brandir des preuves gouvernementales selon lesquelles les sous-traitants de la CACI ont demandé aux forces militaires d’« adoucir » les détenus avant les interrogatoires.
Timides condamnations
Avant ce procès inédit pour les trois plaignants qui ont survécu aux conditions de détention de cette prison (à la réputation déjà sordide du temps du règne de Saddam Hussein en Irak), d’autres condamnations ont déjà eu lieu pour le scandale d’Abou Ghraib. Selon une archive de RFI datée de 2005, le général américain Janis Karpinski est la principale membre de l’armée américaine condamnée pour « manquements graves à ses devoirs », même si cette dernière a échappé aux poursuites pénales.
Dans un témoignage réalisé en 2005, celle qui dirigeait trois prisons irakiennes au moment des faits, reste persuadée que les sévices et les abus ont été effectués par des civils employés par l’armée, formés par un certain Donald Rumsfeld, ex-secrétaire américain à la Défense sous George W. Bush.
Malgré l’ampleur du scandale, seuls quelques soldats américains présents sur les photos dévoilées par la presse ont été poursuivis et condamnés. Parmi eux, Charles Graner (10 ans de prison), Lynndie England (3 ans de prison) et Sabrina Harman (6 mois de prison).
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