Présidentielle : ce qui se cache derrière la volonté de Macron de changer "Pôle Emploi" en "France Travail"

Photo d'illustration (Philippe LOPEZ / AFP)

Lors de la présentation de son programme, Emmanuel Macron a annoncé vouloir changer le nom de "Pôle emploi" en "France Travail". Un changement pas si anodin, nous expliquent plusieurs spécialistes.

C'est l'une des annonces du programme d'Emmanuel Macron qui a le plus été moquée : changer le nom de Pôle emploi en France Travail. Une idée qui a d'ailleurs largement inspiré les internautes, comme le relaient nos confrères du HuffPost.

Mais ce changement, qui prête à sourire, n'aurait pourtant rien d'anodin. "C'est symboliquement fort. Le mot "emploi" ouvre sur des droits, sur le fait d'être rémunéré pour subvenir à ses besoins. C'est une activité encadrée par la loi. Le mot "travail" est plus vague, et renvoie à l'utilité sociale en contribuant à satisfaire les besoin d'autrui, mais aussi à la dépense d'énergie, à l'usure, à l'idée de donner de sa personne", nous explique Danièle Linhart, sociologue, directrice de recherche émérite au CNRS.

"D'un imaginaire du passif à un imaginaire de l'actif et de l'autonomie"

Au-delà du symbole du changement de mot, certains spécialistes voient également une volonté de changer le comportement des demandeurs d'emploi. "Le fait de passer d''emploi' à 'travail' valorise une dynamique plus 'active'. On passe d'un imaginaire de "demandeurs d'emploi", un imaginaire du passif, à celui de 'travailleurs', un imaginaire de l'actif et de l'autonomie", prolonge Elodie Laye Mielczareck, sémiolinguiste et autrice de "Anti Bullshit / Post-vérité, nudge, storytelling : quand les mots n’ont plus de sens".

"Derrière ce changement de nom, il y a du marketing public basé sur le "nudge", c'est-à-dire qu'on veut modifier le comportement, l'attitude, indirectement, en faisant passer le message qu'il faut travailler pour avoir des aides", prolonge Philippe Moreau Chevrolet, spécialiste de communication politique.

"Utiliser le mot travail c'est dire, allez, ne soyez pas paresseux !"

Le "nudge", c'est une technique issue de l'économie comportementale qui se propose d'influencer nos comportements, pour les influencer dans un sens qui correspondrait mieux à leur propre intérêt ou à l’intérêt général. Une technique appliquée par exemple avec le pass vaccinal, qui a eu pour but d'inciter les gens à se faire vacciner, sans les y contraindre.

"Utiliser le mot travail à la place d'emploi c'est l'idée de dire "allez au travail ne soyez pas paresseux. Cela s'inscrit dans la volonté de réhabiliter la valeur travail", poursuit Danièle Linhart.

"Une volonté de stigmatiser les chômeurs"

L'annonce du changement de nom en suit une autre : celle de vouloir conditionner le versement du Revenu de solidarité active (RSA) à un minimum de 15 à 20 heures d'activité. "Tout cela traduit une volonté de stigmatiser, de faire comme si les chômeurs n'avaient pas l'envie de travailler, ce qui est irrespectueux de la relation que les Français ont au travail", détaille la sociologue spécialisée sur l'évolution du travail et de l'emploi.

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"Les devoirs avant les droits", martèle l'exécutif depuis plusieurs mois. "C'est le glissement vers un modèle à l'anglo-saxonne, où on sanctionne l'échec, et on récompense le travail. Le message, c'est "si tu veux des aides, il faut travailler, qui remplace l'aide à trouver un emploi. On passe du droit à des aides au devoir de travailler", décrypte Philippe Moreau-Chevrolet.

"La volonté de dire 'chez nous en France, on travaille""

Dans ce changement de nom, au-delà du remplacement du mot "emploi" par le mot "travail" qui n'a rien d'anodin, il y a également l'utilisation du mot "France", déjà déployée avec l'arrivée de France Stratégie ou de "France Relance".

L'utilisation à toutes les sauces de "France", une volonté sous le quinquennat Macron "des communications gouvernementales de laisser une empreinte dans les esprits, comme s'il s'agissait de produits à vendre", analyse Elodie Laye Mielczareck.

"Un message conservateur voire populiste"

Pour Philippe Moreau-Chevrolet, il y a l'envie de "créer une marque 'France' à l'internationale", mais aussi une lecture plus politique. "Dans un contexte nationaliste, ce n'est pas anodin", poursuit l'expert en communication politique, qui voit aussi dans l'association entre 'France' et 'travail' "un message conservateur voire populiste de dire, '"chez nous en France on travaille".

Un changement de nom a priori anodin qui en dit peut être beaucoup sur l'importance qu'accordera Emmanuel Macron à la valeur travail en cas de réélection.

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