Poutine se tourne vers Ankara pour négocier la paix en Syrie

Vladimir Poutine a annoncé vendredi son intention de travailler avec la Turquie à la tenue de nouveaux pourparlers de paix sur la Syrie, en tenant les Etats-Unis et les Nations unies à l'écart du processus. /Photo prise le 16 décembre 2016/REUTERS/Tomohiro Ohsumi

par Andrew Osborn et Nick Tattersall MOSCOU/ISTANBUL (Reuters) - Vladimir Poutine a annoncé vendredi son intention de travailler avec la Turquie à la tenue de nouveaux pourparlers de paix sur la Syrie, en tenant les Etats-Unis et les Nations unies à l'écart du processus. Au risque de froisser Washington, le président russe a souligné que cette initiative était du seul ressort de Moscou et Ankara. Il a néanmoins précisé que ces pourparlers, s'ils devaient avoir lieu, s'ajouteraient à ceux qui se tiennent par intermittence à Genève sous l'égide des Nations unies. Ces négociations ne seront pas concurrentes, a-t-il dit, mais "complémentaires". "La prochaine étape est de parvenir à un accord sur un cessez-le-feu total dans toute la Syrie", a déclaré Vladimir Poutine, qui se trouvait en visite à Tokyo. "Nous menons des négociations très actives avec les représentants de l'opposition armée, par l'entremise de la Turquie." Ces pourparlers, proposés au gouvernement syrien et à l'opposition, se tiendraient au Kazakhstan, un allié de la Russie, vraisemblablement dans la capitale, Astana. Cette annonce surprise est une nouvelle illustration du rapprochement en cours entre Moscou et Ankara après la crise de l'an dernier entre les deux pays quand un Soukhoï de l'armée de l'air russe avait été abattu par la Turquie. Cela montre aussi la volonté de la Russie d'asseoir son influence au Proche-Orient mais aussi sur la scène internationale. La Russie n'a pas caché s'être lassée des négociations de Genève avec l'administration démocrate de Barack Obama, qui n'ont rien donné. Le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov les a qualifiées d'infructueuses et estimé qu'Ankara pourrait se révéler un partenaire plus efficace sur la Syrie. REPOUSSER LES KURDES, PRIORITÉ D'ANKARA Andreï Kéline, un responsable du ministère russe des Affaires étrangères, a déclaré cette semaine qu'il avait été "plus simple" de traiter avec la Turquie sur Alep qu'avec les Etats-Unis. L'initiative russe risque toutefois de heurter l'émissaire spécial des Nations unies en Syrie, Staffan de Mistura. Celui-ci a déclaré jeudi à Paris qu'il était temps pour toutes les parties de retourner à la table des négociations et qu'elles devraient se faire sous l'égide de l'Onu pour être légitimes. L'alliance entre Moscou et Ankara peut sembler étrange à première vue. La Russie est l'un des alliés les plus proches du président syrien Bachar al Assad, alors que la Turquie, membre de l'Otan, veut qu'il soit démis de ses fonctions. Mais la Turquie pourrait accepter une période de transition pendant laquelle Bachar al Assad serait présent, pour peu qu'elle soit assurée qu'il quitte le pouvoir par la suite. La priorité de la Turquie, sur laquelle elle voudra au moins un accord tacite de la Russie, est d'empêcher les groupes kurdes de s'emparer de territoires supplémentaires en Syrie le long de sa frontière. Le gouvernement d'Ankara est mécontent de la politique américaine en Syrie et notamment du soutien de Washington aux combattants kurdes. L'opération "Bouclier de l'Euphrate" lancée par Ankara en août, vise aussi bien à repousser l'Etat islamique d'une portion de territoire frontalier de 90 km de long que d'empêcher les groupes kurdes de s'emparer de ces territoires dans la foulée. Un des vice-Premiers ministres turcs, Nurettin Canikli, a reconnu il y a deux semaines que la Turquie n'aurait pas "manoeuvré aussi à l'aise" sans le rapprochement avec la Russie, qui, de fait, contrôle certaines parties de l'espace aérien du nord de la Syrie. La Turquie veut maintenant que les rebelles qu'elle soutient s'avancent plus au sud en Syrie et reprennent à l'Etat islamique la ville d'al Bab, située à une quarantaine de kilomètres au nord-est d'Alep. Il s'agit pour le président Erdogan de prendre de vitesse les milices kurdes. (Avec Katya Goloubkova à Tokyo et John Irish à Paris; Danielle Rouquié pour le service français, édité par Jean-Stéphane Brosse)