Pourquoi les vidéos des concerts de Mylène Farmer disparaissent-elles des réseaux sociaux?

Pour Matteo*, c'est une première. Ce Lillois de 24 ans, grand amateur de concerts, a eu droit à un rappel à l'ordre après avoir assisté à la tournée actuelle de Mylène Farmer: ses vidéos du show d'ouverture du 3 juin à Lille, filmées au smartphone et publiées sur sa chaîne YouTube, ont toutes été supprimées par la plateforme pour atteinte aux droits d'auteurs.

"J'ai assisté à des concerts de Harry Styles, Dua Lipa, Elton John, des Black Eyed Peas, d'Aya Nakamura, de Beyoncé, de Julien Doré...", énumère-t-il pour BFMTV.com. "Jamais on ne m'a supprimé de vidéos."

Après deux avertissements, Matteo a même été menacé de voir son compte désactivé, comme en témoignent des captures d'écran consultées par BFMTV.com. Et il n'est pas le seul: depuis le début de cette tournée des stades baptisée Nevermore 2023, qui se poursuit ce soir à Marseille et s'achèvera le 29 juillet prochain à Nice, de nombreux spectateurs s'agacent sur les réseaux sociaux de voir les extraits qu'ils y ont publiés systématiquement supprimés.

Différentes politiques selon les artistes

"Les équipes de Mylène Farmer ont signalé mon compte Twitter qui a été verrouillé parce que j’ai posté un tweet élogieux", s'agaçait ainsi un internaute sur le réseau social, quelques heures après le show nantais du 10 juin. Le tweet d'origine, toujours en ligne, montre que les trois vidéos et la photo du concert qu'il avait publiées ont été effacées.

Comme lui, la plupart des victimes de ces suppressions pointent du doigt les équipes de la chanteuse, qui n'ont pas communiqué sur le sujet. TS3, la société productrice de la tournée pour Fimalac, n'a pas souhaité répondre aux questions de BFMTV.com. Mais "si les vidéos ont été retirées pour des raisons de copyright, c’est forcément que la personne qui possède ces droits s’est manifestée", nous glisse-t-on à la communication de YouTube.

De quoi surprendre, tant il est courant de voir des extraits de concerts publiés par des spectateurs sur les réseaux sociaux. Les plus grands noms de la pop mondiale se prêtent au jeu: ces derniers mois, en particulier, les tournées mondiales de Beyoncé, Taylor Swift ou Harry Styles se sont répandues en extraits publiés par des fans après chaque date sur Twitter, YouTube ou TikTok. Ces images attirent parfois des dizaines de milliers de vues, offrant à ces shows une médiatisation virale et gratuite.

"Dans l’inconscient du public, diffuser des extraits sauvages de concerts, c'est normal", analyse pour BFMTV.com Pauline Auberger, directrice des affaires juridiques du Syndicat national du spectacle musical et de variété (Prodiss). "Je pense qu'avec le développement du numérique, les gens se sont habitués à ce que tout type de contenu puisse être véhiculé de manière libre. C'est une fausse croyance."

Et de rappeler une règle "assez simple": "En tant que spectateur, on n'a pas le droit de capter un morceau ou l'entièreté d'un spectacle et de le diffuser sur une quelconque plateforme. Le simple fait de filmer constitue la fixation d'une œuvre de manière illégale. On entre dans le domaine de la contrefaçon, un délit pénal prévu et encadré par le code de la propriété intellectuelle." Cette interdiction est d'ailleurs souvent rappelée dans les conditions générales de vente et sur les billets de concerts.

Amende salée

Selon l'article L335-2 de ce code, "Toute édition (...) de composition musicale (...) au mépris des lois et règlements relatifs à la propriété des auteurs est une contrefaçon et toute contrefaçon est un délit", punie de trois d'emprisonnement et de 300.000 euros d'amende.

"Ça, c'est dans l'éventualité où l'affaire prendrait un tour pénal", tempère cependant maître Emmanuel Leclercq, avocat membre du barreau de Paris et président de l'Association européenne des avocats mandataires d’artiste (AEDAMA). "Il s'agit de la peine maximum, et elle est rarement prononcée."

Le spécialiste explique à BFMTV.com que de nombreux droits entrent en jeu lorsque l'on parle de captations de spectacle vivant: "ceux de l'auteur des chansons, ceux du compositeur, du chorégraphe, de l'interprète..."

"En pratique, il faut obtenir le droit de la captation auprès du producteur du spectacle, qui a lui-même reçu l'autorisation de tous les gens qu'il produit. Il faut également préciser à quoi cet enregistrement va servir, sur quels territoires, et respecter l'usage annoncé."

Il y a cependant l'exception de la courte citation, qui autorise à diffuser un très court extrait d'une œuvre à des fins d'information, de critique ou de pédagogie. Mais il faut pour cela que les ayants droit aient autorisé la divulgation de l'œuvre (par le biais d'un film ou d'un DVD, dans le cadre d'un concert). En outre, le partage d'images par un fan ne répond pas à ces conditions.

Des outils dédiés à la chasse aux vidéos

À l'heure de la multiplication des réseaux sociaux et du nombre incalculable de vidéos éventuellement diffusées, la chasse aux contenus illégalement mis en ligne semble impossible. Mais des outils existent pour faciliter ce travail.

"Vu le volume (de contenus supprimés) et l'envergure de Mylène Farmer, il est quasiment certain que tout s'est passé sur Content ID", nous explique-t-on chez YouTube.

Cet outil développé dès 2007 par la plateforme de partage de vidéos permet aux ayants droit d'une musique de fournir une "empreinte numérique" de leur œuvre à YouTube. Le logiciel pourra alors traquer la présence de cette musique dans tous les téléchargements tierces: "Il peut s'agir d'une vidéo où la musique apparaît en fond musical, un replay du clip, ou un extrait de concert."

Lorsque le contenu est traqué par le logiciel, plusieurs options s'offrent aux ayants droit: laisser l'œuvre en ligne et obtenir des statistiques de visionnage, la laisser en ligne et la monétiser à leur propre bénéfice, ou bien la faire supprimer.

"Certains artistes souhaitent que leurs concerts soient vus du plus grand nombre"

Si la manipulation est aussi simple, pourquoi la plupart des artistes parmi les plus célèbres du monde laissent-ils les vidéos de leurs concerts proliférer aux quatre coins du web? "Seuls leurs managements peuvent répondre", indique Pauline Auberger, du Prodiss. "N'importe quelle personne qui voit ses œuvres diffusées sur une quelconque plateforme est autorisée à en interdire l’exploitation mais ça ne veut pas dire qu'il y aura des poursuites. Chaque titulaire de droit agit en son âme et conscience. Certains artistes souhaitent probablement que leurs concerts puissent être vus du plus grand nombre."

D'autant que certaines de ces célébrités se sont déjà montrées tout à fait capables de faire la chasse aux contenus qui leur déplaisent. En 2013, après avoir publié des photos particulièrement peu flatteuse de Beyoncé lors de sa prestation au Super Bowl, le média américain Buzzfeed avait reçu une demande de suppression de la part du management de la chanteuse. Quelques mois plus tard, elle interdisait tout bonnement les photographes de presse sur sa tournée mondiale Mrs Carter.

*Ce prénom a été modifié

Article original publié sur BFMTV.com