Pourquoi la "veuve noire du Pas-de-Calais" restera une "éternelle innocente" aux yeux de la justice

Pour l'avocat Loïc Bussy, il reste de ce dossier une véritable "frustration". Le 25 octobre 2016, le pénaliste se retrouve face à la famille de Frédéric Butanowicz dont il défend les intérêts. Comment leur annoncer que Véronique Lardé, l'ex-femme de leur fils et de leur frère, ne sera jamais jugée pour le meurtre de ce dernier? L'accusée a été retrouvée pendue dans sa cellule au matin du deuxième jour de son procès.

En sortant du bureau du président de la cour d'assises qui vient de lui confirmer la nouvelle, Loïc Bussy "baisse les yeux". "Il n'y avait pas de mot pour la famille, ils avaient compris", détaille le pénaliste, évoquant "la double épreuve, celle de perdre leur fils et leur frère et celle de perdre l'espoir de voir sanctionner un coupable". "Il y avait une frustration qui me hantait", relève l'avocat. "Il y a des affaires qui vous marquent plus que d'autres. Je voulais qu'il reste quelque chose de Frédéric."

De cette "frustration", Loïc Bussy en a fait un livre. Il n'est pas question de faire le procès qui ne s'est pas tenu. Dans L'éternelle innocente, paru le 8 février 2024 aux éditions Michalon, l'avocat du barreau de Douai, revient, dans un récit pédagogique sur le fonctionnement de la justice, sur cette affaire si singulière.

Déjà car elle concerne une femme criminelle, "ce qui nous appelle à affronter des stéréotypes, à surmonter des préjugés ou à déconstruire des croyances", relève le psychiatre et expert auprès de la justice Daniel Zagury.

"On savait qu'elle avait une personnalité atypique, déjà car c'est une femme et une femme accusée d'avoir tuée, c'est rare", poursuit Me Loïc Bussy.

Aussi car l'affaire n'avait rien d'évident, il ne pesait à l'encontre de Véronique Lardé - présentée comme la "veuve noire du Pas-de-Calais" - qu'un "faisceau d'indices". "Il y aurait eu un vrai challenge, il y aurait eu du travail d'audience, il aurait fallu demander aux jurés d'aller creuser au fin fond de leur intime conviction." Mais il n'y aura jamais de verdict.

Un homme "fou amoureux"

Frédéric Butanowicz est découvert mort le 9 novembre 2011 dans un cimetière militaire à Courcelles-le-Comte (Pas-de-Calais), à quelques kilomètres au sud d'Arras. Le corps est dissimulé sous des branchages, en partie dénudé et en position fœtale. Difficile d'établir les causes de la mort qui remonte à un mois auparavant. Dans son organisme sont retrouvées deux substances médicamenteuses: un hypnotique, du Zelpidem, et un puissant analgésique, du Fentanyl.

Le corps de cet homme de 36 ans aurait pu ne jamais être identifié. C'est un appel à témoins évoquant un tatouage, le chiffre 53 gravé au poignet droit, qui s'avère déterminant. L'information interpelle un couple d'amis de Frédéric Butanowicz, qui s'inquiète de ne plus avoir de nouvelles de lui depuis un mois. Ils mettent les enquêteurs sur la piste de Véronique Lardé, l'ex-femme de la victime, dont il est resté très proche, malgré leur divorce sept ans plus tôt et la fermeture de leur bar-tabac.

Une succession de témoins dira de Frédéric Butanowicz qu'il était "fou amoureux" de cette femme remariée depuis avec son patron Jean-Michel, gérant d'une société de transport routier. Un homme "fou amoureux" qui versait la quasi totalité de son salaire à son ex-femme, le contraignant à vivre seul dans son camion.

Véronique semble se jouer de son nouvel époux, mais aussi de Frédéric et même de Dominique, un autre routier de l'entreprise. À son mari, elle fait croire que son ex la harcèle et la séquestre. À ce dernier, elle évoque un mariage forcé pour obtenir un contrat.

Des aveux circonstanciés

Rapidement placée en garde à vue, Véronique Lardé reconnaît avoir passé quelques jours avec Frédéric Butanowicz fin septembre. Il la contacte quotidiennement par téléphone, jusqu'au jour de sa disparition. Elle raconte que son ex-mari est parti en stop au Luxembourg pour trouver du travail, sans téléphone, sans papier, sans argent. Elle a conservé ses cartes bancaires, encaissé des chèques. Les enquêteurs ne croient pas à ses déclarations.

Au quatrième interrogatoire, Véronique Lardé finit par reconnaître avoir tué Frédéric Butanociwz. Sans le vouloir, alors que ce dernier tentait de la violer, dit-elle. Ses aveux sont circonstanciés, des éléments qu'elle livre ne sont connus que des enquêteurs.

Plus tard, après avoir changé d'avocat, elle se rétracte et met en cause son mari Jean-Michel, que l'enquête finit par dédouaner. Les investigations démontrent aussi que Véronique Lardé était une menteuse pathologique. À sa famille, et jusque sur son acte de mariage avec Frédéric, elle avait fait croire qu'elle était médecin. Un cursus qu'elle n'a jamais suivi.

La mère de famille est renvoyée pour assassinat devant la cour d'assises du Pas-de-Calais. Du côté de la défense, l'acquittement est envisageable. Car aucun élément matériel ne lie Véronique Larbé à la mort de Frédéric Butanowicz.

Une empoisonneuse en série?

Les trois jours d'audience prévus doivent servir à tenter de cerner la personnalité de l'accusée, à établir un mobile. Le premier mari de la quadragénaire est mort en 2000 dans des circonstances troubles. Lui aussi avait ingéré des substances médicamenteuses. Son actuel mari Jean-Michel a relaté des diarrhées qui ont disparu lors du départ de sa femme. Un ex-amant évoque des trous noirs au cours de leur relation.

Véronique Lardé est-elle une empoisonneuse en série? Lors du premier jour du procès, sa famille est appelée à témoigner. Son père ne lui adresse pas un regard. Ses sœurs l'accablent, disant la pensant capable d'avoir tué son ancien mari.

Son frère relate les doutes de leur mère sur Véronique la pensant capable d'empoisonner le repas familial. À la fin de son témoignage, il parle de sa sœur en ces termes: une "mythomane" qui "raconte n'importe quoi", qui "profite des gens".

"Quand elle n'en n'a plus besoin, elle les jette", conclut-il.

L'accusée repart de la cour d'assises du Pas-de-Calais avec ces témoignages en tête. Les experts ont également évoqué une personnalité à "l'intelligence adaptative", "qui se construit un monde" et qui est "incapable de vivre seule".

"Plus la possibilité de se dérober"

Est-ce cette solitude à venir qui l'a poussée à se suicider vers minuit? Est-ce l'impossible confrontation avec ses mensonges qui auraient été abordés lors des deux jours d'audience restant? Loïc Bussy a l'intime conviction qu'elle "n'a pas eu la force d'être confrontée à elle-même, dans le box, elle n'avait plus la possibilité de se dérober".

L'avocat estime qu'elle aurait dû être mieux surveillée en prison, alors que ce procès devant les assises constituait l'un des points marquants de la détention d'une accusée. La famille de Frédéric Butanowicz, comme la justice, n'aura jamais de réponse.

Article original publié sur BFMTV.com