Pourquoi y a-t-il plusieurs dates pour commémorer l’esclavage en France ?

HISTOIRE - Ce n’est pas une commémoration bien connue en France hexagonale et pourtant elle est importante outre-mer. Le 10 mai correspond à la journée nationale de commémoration des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leur abolition… ou du moins surtout en métropole.

Car chaque département région d’outre-mer a sa propre date, ce qui peut créer une certaine cacophonie, comme nous l’expliquons dans la vidéo en tête d’article.

À chaque territoire son histoire

Le 27 avril 1848, le décret d’abolition de l’esclavage est signé en France, pour la seconde fois. Une première tentative avait été opérée durant la Révolution française en 1794, mais Napoléon Bonaparte avait fini par rétablir l’esclavage en 1802 notamment en Guadeloupe et en Guyane. Il faudra donc attendre 46 ans pour que son abolition soit définitivement promulguée, mais celle-ci ne sera pas effective au même moment sur les différents territoires. C’est pour cette raison que chaque DROM a une date différente.

Retour en 1848. Depuis le 4 mars, le gouvernement travaille sur le décret d’abolition de l’esclavage. La nouvelle se répand aux Antilles et s’accompagne d’une attente extraordinaire autour de la liberté à venir. Mais les tensions s’accentuent également car les esclaves craignent que ce décret ne soit que des paroles en l’air. Le 22 mai, ils se soulèvent et l’abolition de l’esclavage est promulguée dès le lendemain.

En Guadeloupe, de peur que la révolte martiniquaise ne se propage, le gouverneur promulgue l’abolition de l’esclavage le 27 mai. Ce sont ces deux dates, celle du 22 mai pour la Martinique et du 27 pour la Guadeloupe, qui sont alors retenues pour les commémorations aux Antilles. En Guyane, elles ont lieu le 10 juin, date à laquelle le commissaire Pariset promulgue l’abolition de l’esclavage sur le territoire en 1848, bien que celle-ci n’ait été effective que deux mois plus tard, soit le 10 août 1848.

Les îles de Mayotte et de La Réunion ont également une histoire particulière. La première va connaître l’abolition de l’esclavage avant toutes les autres colonies françaises puisqu’elle est promulguée dès 1846. « Mayotte est considérée comme une sorte de laboratoire, il s’agissait de voir ce qu’il se passerait si on abolissait l’esclavage dans une colonie », précise Myriam Cottias, directrice du Centre International de Recherches sur les esclavages et post-esclavages.

Quant à La Réunion, malgré le décret du 27 avril 1848, « les colons vont résister à cette abolition. Finalement, à force de tensions et de négociation, l’abolition de l’esclavage sera promulguée le 20 décembre ». À Mayotte, on a donc gardé la date officielle du 27 avril pour la commémorer, alors qu’à La Réunion, c’est le 20 décembre.

Vous êtes perdus entre toutes ces dates ? C’est normal. « Ça crée une sorte de disjonction dans l’ensemble national, explique Myriam Cottias. Chaque territoire a sa date et la date du 10 mai n’est quasiment pas fêtée dans les outre-mer. Elle n’est pas considérée comme une date importante alors que c’est cette date-là qui devrait fédérer toutes les forces qui ont œuvré à l’abolition de l’esclavage. Et elles ont été nombreuses ces forces. Ce n’était pas seulement les abolitionnistes, loin de là, c’était aussi les esclaves eux-mêmes qui se sont révoltés et qui se sont battus en permanence tout au long du XIXe siècle. »

Une date unique envisagée mais jamais discutée

Au niveau national également, la date de commémoration n’a pas toujours été la même. Initialement, c’est le 27 avril, jour de la signature du décret de 1848, qui avait été choisi. Mais en 2006, Jacques Chirac, alors président de la République, change la date pour le 10 mai sur proposition du Comité national pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage (CNMHE) alors dirigé par l’écrivaine Maryse Condé. Le 10 mai correspond à la date d’adoption définitive par le Parlement de la loi Taubira de 2001, qui reconnaît la traite et l’esclavage comme un crime contre l’humanité. Ce mercredi, Élisabeth Borne présidera les cérémonies qui auront lieu, comme chaque année, dans les jardins du Luxembourg.

Mais une différence continue de subsister entre l’Hexagone et les DROM où les dates de commémoration propres aux territoires sont fériées. « Autant outre-mer, c’est une histoire extrêmement présente, autant en Hexagone c’est une histoire plus diluée, ce qui fait que le CNMHE a préféré ne pas porter cette revendication de jour chômé, pour en faire une journée de connaissance et de diffusion de la connaissance », précise Myriam Cottias.

Afin de s’y retrouver parmi toutes ces dates et pour une meilleure reconnaissance de l’histoire de l’esclavage, le député LFI de La Réunion, Jean-Hugues Ratenon, avait proposé en 2018 de n’inscrire qu’une seule date fériée pour tous : celle du 4 février, qui correspond à la première abolition. La proposition de loi a été renvoyée à la Commission des affaires sociales qui n’a toujours pas donné suite.

Mais pour Myriam Cottias, l’enjeu va bien au-delà d’un jour chômé. « L’enjeu, qui n’est pas encore atteint, c’est de faire accepter l’Histoire de l’esclavage comme histoire de France. C’est-à-dire que ce n’est pas une histoire parallèle, c’est une histoire qui fait totalement partie de l’histoire de France », insiste-t-elle. « La faire accepter c’est aussi montrer les héritages en termes de discrimination, de racisme de représentations négatives qui continuent à irriguer la société française et qui continuent à être portées par un personnel politique. »

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