Pourquoi le « supraconducteur » révolutionnaire LK-99 commence à refroidir les physiciens

Vidéo de l’université de Wuhan répliquant LK-99.
Vidéo de l’université de Wuhan répliquant LK-99.

ÉNERGIE - L’affaire n’est pas encore pliée, mais cela commence à sentir le roussi. Fin juillet, une équipe sud-coréenne révélait avoir touché du doigt l’impossible : créer un matériau supraconducteur, baptisé « LK-99 », qui n’oppose donc aucune résistance au passage de l’électricité, tout en ayant ces propriétés si précieuses à des températures banales.

Autrement dit : plus besoin, comme c’est le cas pour les rares supraconducteurs utilisés aujourd’hui, de les plonger dans une atmosphère à -275 Celsius. Pour la conservation et le transport de l’énergie, l’absence de refroidissement est un saut vers le futur. Rappelons que RTE, la régie française en charge du transport de l’électricité, estime ses pertes dans les câbles de cuivre (un matériau « simplement » conducteur) allant jusqu’à 15 % de l’électricité transportée. Remplacés par un matériau supraconducteur, le chiffre descendrait tout simplement à 0 %.

Sans compter d’autres applications concrètes fascinantes : les processeurs de nos ordinateurs, dont la montée en température parallèle à la puissance freine les capacités, n’auraient plus ce problème. Enfin, les supraconducteurs ont la propriété de léviter lorsqu’ils sont placés au-dessus d’un aimant. La résultante de deux forces opposées, qui peut exciter l’imagination de bien des rêveurs, physiciens compris. Ce fut peut-être leur première erreur.

Le pétard mouillé de Wuhan

« Il y a une fascination, notamment avec cette vidéo qui montrait un objet en lévitation », a expliqué au HuffPost Julien Bobroff, physicien à l’Université Paris-Saclay. « Mais plein d’objets peuvent léviter sans être supraconducteurs. » Or, si l’équipe sud-coréenne avait également rendu publics deux preprints, c’est-à-dire des études encore non relues par une revue à comité de lecture, il est vrai que leur vidéo est pour beaucoup dans l’emballement, non seulement des physiciens, mais aussi d’enthousiastes amateurs, pour reproduire l’expérience.

Il y eut certes une confirmation dès le 5 août, mais en forme de pétard mouillé, de la Huazhong University of Science and Technology de Wuhan, en Chine. Avec une vidéo à l’appui, encore une fois, mais un manque de transparence total, suivi d’un rétropédalage suspect qui a presque entièrement terni ce succès. Le preprint devra d’ailleurs encore être vérifié pour faire toute la lumière sur cette expérience.

Et depuis… patatras, mais en douceur. Tous les physiciens en course n’ont pas encore rendu leurs conclusions, loin s’en faut, mais certains faisant autorité ont déjà rendu leur verdict. La National Taiwan University expliquait ainsi dès le 6 août avoir échoué dans ses tentatives de réplication. Deux jours plus tard, une équipe du département de physique de l’université du Maryland, aux États-Unis, publiait une série de tweets expliquant sans ambiguïté pourquoi les conclusions sud-coréennes tenaient de l’erreur d’analyse.

« Ce n’est PAS un supraconducteur. C’est un matériau à haute résistance et de piètre qualité », a tranché l’équipe américaine, sans laisser de place au doute. Tout espoir est-il perdu ? Pas sûr. D’abord, toutes les équipes ne travaillent pas avec la recette exacte des pionniers sud-coréens. Certaines ont choisi de varier un peu la méthode.

Le temps des réseaux sociaux contre celui des scientifiques

Ensuite, des simulations mathématiques (et non pas des réplications tangibles) ont confirmé, par deux fois, que le matériau pouvait bel et bien exister avec ces propriétés sans violer de principes physiques. Attention, il s’agit une nouvelle fois de preprints, donc d’études non vérifiées par des physiciens n’appartenant pas à l’équipe.

Loin des universités, du côté des amateurs lancés dans la course, le cas d’Andrew McCalip, un des premiers à s’être publiquement lancé dans la course au fameux matériau, est assez emblématique. Après plusieurs essais, l’américain a fait analyser le produit de sa tentative par un laboratoire : celui-ci a certes des propriétés ferromagnétiques qui expliquent sa capacité à léviter au-dessus d’un aimant, mais ce n’est pas un supraconducteur.

S’il n’y a donc pas encore de conclusion à l’histoire de LK-99, le thermomètre s’est largement refroidi en quelques jours, tant les premiers retours d’expériences penchent presque tous du mauvais côté de la balance. Pour une réponse définitive, il faudra sans doute attendre l’étape qui, pour l’instant, manque cruellement : une expérience dont le bilan sera publié dans une revue à comité de lecture, donc un panel de physiciens indépendant.

Mais en face d’un tel potentiel, l’époque n’est pas à la patience. Et la viralité version 2023 n’arrange rien. Comme le résume Julien Bobroff, « le temps de la confirmation scientifique, les réseaux sociaux ne le donnent pas forcément ».

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