Pourquoi la nomination d'Éric Dupond-Moretti à la Justice suscite la colère des magistrats

Eric Dupond-Moretti le 29 janvier 2015 à Paris - Joël SAGET © 2019 AFP
Eric Dupond-Moretti le 29 janvier 2015 à Paris - Joël SAGET © 2019 AFP

Un avocat pénaliste comme garde des Sceaux, ce n'est pas une première. Après Robert Badinter dans les années 80, c'est au tour d'Éric Dupond-Moretti de s'installer à la Chancellerie. Le second assure que l'affaire Christian Ranucci, condamné à mort en 1976 pour le meurtre d'une fillette, a été un déclic pour se lancer dans le droit, un dossier emblématique pour les défenseurs de l'abolition de la peine de mort dont le premier a été l'artisan. Pourtant si le ministre mitterrandien est salué pour son action, l'annonce de la nomination de celui qui est surnommé "Acquitator" a été accueillie froidement du côté des magistrats.

"Nommer une personnalité aussi clivante et qui méprise à ce point les magistrats, c’est une déclaration de guerre à la magistrature", a réagi Céline Parisot. La présidente de l’Union syndicale des magistrats, syndicat majoritaire, pointe "un choix étonnant".

"Méthodes de barbouzes"

Dans les prétoires, Me Éric Dupond-Moretti n'hésite pas à aller au combat avec les juges. Lors du procès des époux Balkany en première instance, l'avocat avait par exemple demandé le remplacement du président du tribunal correctionnel dénonçant son "impartialité objective".

Plus tard, il s'en était pris aux deux procureurs du parquet national financier affirmant qu'ils rendaient "une justice d'exception" qui "se distingue par ses excès". La semaine dernière encore, il s'en prenait aux "méthodes de barbouzes" utilisées selon lui par ce même PNF dans l'affaire dite des "écoutes", qui a vu plusieurs magistrats et avocats découvrir que leurs factures téléphoniques détaillées avaient été épluchées à leur insu pour tenter d'identifier une "taupe".

"On s'interroge un peu par rapport à ses dernières déclarations sur le parquet national financier (PNF) et sur certains magistrats", a réagi lundi soir Lucille Rouet, secrétaire nationale du SM, le Syndicat de la magistrature, classé à gauche.

Des exemples de déclarations qui fait craindre une défiance du nouveau ministre, connu pour sa verve et ses déclarations fracassantes, envers les magistrats, c'est-à-dire les juges et les membres du parquet. En 2016, dans un livre Le dictionnaire de ma vie, le ténor du barreau appelait d'ailleurs à la suppression de l'École nationale de la magistrature qui, selon lui, est "incapable de former les futurs magistrats tant sur le plan professionnel que sur le plan humain".

Il dénonçait alors "l'entre-soi" et "l'alchimie" entre les juges et le procureur, excluant l'avocat.

Défenseur d'un "système de responsabilité des juges"

Plus récemment sur LCI, Eric Dupond-Moretti s'en prenait à nouveau aux juges. L'avocat expliquait que s'il était nommé garde des Sceaux, il opérerait une scission entre "le siège", les juges, et "le parquet", le ministère public, pour mettre en place une relation identique avec les avocats.

"Je fais un système de responsabilité des juges, parce que les juges ne sont pas responsables de ce qu'ils font aujourd'hui, avait-il ajouté. Ce sont les seuls dans notre société à ne pas être responsables".

Supprimer l'Ecole de la magistrature, il l'a annoncé il y a quelque temps, est-ce qu'il va le faire aujourd'hui? Il y a plus urgent, estime Olivier Cousi, le bâtonnier de Paris.

Au cœur de dossiers médiatiques

Avocat lors du procès Outreau, du frère de Mohamed Merah, de Jacques Viguier, un universitaire accusé du meurtre de sa femme ou encore de Jean Castela, accusé d'avoir commandité l'assassinat du préfet Erignac, le nom d'Eric Dupond-Moretti est également dans le dossier de défense de Jérôme Cahuzac ou plus récemment de Patrick Balkany.

"Je défends tous les hommes qui ont des difficultés avec la justice qu'ils soient innocents ou coupables, mais je ne défends pas les causes, je ne suis pas un avocat militant et je ne le serai jamais", expliquait-il en février dernier.

Mais son implication dans de nombreux dossiers médiatiques fait craindre des conflits d'intérêt. En cause, le système de nomination des représentants des parquets, les procureurs, qui le sont par décret présidentiel sur proposition du ministre de la Justice.

"Il est également plaignant à titre personnel dans plusieurs affaires et va gérer la carrière des magistrats du parquet?", s'interroge encore Céline Parisot.

La semaine dernière, il avait porté plainte contre X pour "violation de l'intimité de la vie privée et du secret des correspondaces", et "abus d'autorité" dans le cadre de l'affaire dite des "écoutes". Le parquet national financier est soupçonné d'avoir mis sur écoute plusieurs avocats pour tenter d'identifier la "taupe" qui aurait informé Nicolas Sarkozy et son avocat qu'ils étaient eux-mêmes sur écoute dans le cadre d'une autre affaire judiciaire portant sur des soupçons d'un financement libyen de la campagne de l'ex-président de la République.

Lundi soir, l'entourage d'Emmanuel Macron a sobrement annoncé qu'Eric Dupond-Moretti avait retiré cette plainte.

Article original publié sur BFMTV.com