Pourquoi l'adhésion de l'Ukraine à l'Otan divise autant?

"Je ne pense pas que l’Ukraine soit prête". Joe Biden s'est montré ferme dimanche sur la chaîne américaine CNN au moment d'évoquer la question de l'adhesion de Kiev à l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord. Le sommet de l'Otan qui se tient actuellement à Vilnius (Lituanie) a été l'occasion de relancer ce débat.

Si parmi les 31 membres - bientôt rejoints par la Suède -, il est acquis que la patrie de Volodymyr Zelensky ne rejoindra pas l'Alliance tant que le conflit avec la Russie est en cours, de nombreux pays y semblent néanmoins favorables. Mais alors pourquoi cette possibilité divise autant ?

La peur de l'escalade face à la Russie

Aux États-Unis et en Allemagne, le principal argument avancé contre l'adhésion de l'Ukraine est justement cette guerre qui l'oppose au Kremlin.

"Les États-membres s’engagent à défendre chaque pouce du territoire de l’Otan. Nous serions en guerre contre la Russie, si c’était le cas", a détaillé le président américain sur CNN.

Cette obligation est liée à l'article 5 du Traité régissant l'Alliance selon lequel toute attaque armée contre un ou plusieurs de ses membres sera considérée comme une attaque dirigée contre tous.

"En conséquence, les Parties conviennent que chacune d'elles, dans l'exercice du droit de légitime défense assistera la Partie ou les Parties attaquées en prenant aussitôt une action qu'elle jugera nécessaire, y compris l'emploi de la force armée, pour rétablir et assurer la sécurité dans la région de l'Atlantique Nord", précise le texte.

Pour Patrick Sauce, éditorialiste international et défense à BFMTV, l'adhésion de l'Ukraine "arrivera quand la guerre sera terminée".

"L'Otan est une alliance qui permet une solidarité extrême. Si l'Ukraine faisait partie de l'Otan, elle ferait partie d'une alliance nucléaire. On basculerait dans un conflit entre deux puissances dotées de l'arme nucléaire", ajoute le spécialiste.

Des réticences liées à de précédentes interventions

Mais selon la chercheuse Amélie Zima, il faut également y voir une "conséquence de l’intervention de 1999 au Kosovo où l’Alliance s’est brûlée les ailes en ne respectant pas le droit international". L'Otan avait alors bombardé des positions serbes sans mandat de l'ONU l'y autorisant.

"Cela a créé un précédant toujours utilisé par la propagande russe. À l’époque, l’Otan a évoqué des raisons humanitaires et actuellement, la Russie invoque la même chose quand elle intervient en Crimée ou au Donbass", détaille cette spécialiste de l'Otan pour TF1Info.

De quoi expliquer la prudence des Américains par rapport à la situation actuelle. De son côté, le Kremlin a par ailleurs déjà mis en garde l'Organisation sur les conséquences "très négatives" pour la sécurité européenne d'une adhésion de son ennemi.

Des pays estiment que cela faciliterait la fin du conflit

L'Otan va malgré tout tracer une "voie de réformes" pour l'Ukraine afin qu'elle puisse rejoindre l'Alliance atlantique, mais sans "calendrier", a affirmé mardi à Vilnius le conseiller à la sécurité nationale de la Maison Blanche, Jake Sullivan.

Une annonce qui n'a pas convaincue le président ukrainien Volodymyr Zelensky. En route pour Vilnius, le dirigeant a dénoncé mardi "l'indécision" et "la faiblesse" de l'Otan dont les hésitations sur cette démarche d'inclusion encouragent, selon lui, la "terreur" russe contre son pays.

Le chef de l' État ukrainien est par ailleurs soutenu par plusieurs pays baltes, nordiques et de l'Est de l'Europe.

"Ils estiment que l’Ukraine a payé le prix du sang pour défendre les valeurs occidentales", a analysé Olivier Schmitt, professeur de relations internationales au Centre d’étude sur la guerre de l’Université du Sud-Danemark, pour le HuffPost, alors que la contre-offensive connaît des difficultés.

"Il n'y aura pas de sécurité et de stabilité en Europe si l'avenir de l'Ukraine n'est pas clairement défini. Nous devons à l'Ukraine une voie claire vers l'adhésion à l'Otan", a déclaré le président lituanien Gitanas Nauseda.

Cité par l'AFP, Ian Brzezinski, du centre de réflexion Atlantic Council à Washington, regrette lui les réticences de la Maison Blanche à accorder à Kiev "une invitation et une feuille de route claire" vers cette intégration.

"Prendre cette décision est essentiel pour renforcer le moral des Ukrainiens à un moment décisif de la guerre et convaincre Moscou que ses ambitions hégémoniques sont vouées à l'échec, estime-t-il. Ce n'est pas seulement dans l'intérêt de l'Ukraine, mais pour le bénéfice stratégique de la communauté transatlantique."

La position de la France a évolué

C'est justement cette considération qui a poussé Emmanuel Macron à récemment revoir sa copie sur le sujet en comparaison avec le début du conflit ukrainien.

En décembre 2022, le président de la République avait estimé que la possibilité d’intégrer Kiev dans l’Otan n'était "pas le scénario le plus vraisemblable" dans une interview au Monde car cela aurait été "perçu par la Russie comme quelque chose de confrontationnel".

Le 28 juin dernier, le chef de l'Etat a pourtant souhaiter "définir un chemin pour concrétiser la perspective d’adhésion de l’Ukraine à l’Otan". Une idée déjà abordée lors de son discours de Bratislava fin mai où il s'était montré "favorable à lui donner des garanties de sécurité tangibles et crédibles".

D’après Olivier Schmitt, l'exécutif français a compris qu'il s'était "trompé sur l’invasion de l’Ukraine, sur les relations avec la Russie et ce qu’elle pouvait attendre de Moscou", perdant ainsi "en crédit et en capacité d’influence".

À Vilnius, le secrétaire général de l'Otan Jens Stoltenberg a annoncé mardi avoir "clairement indiqué" que les Alliés "inviteront l'Ukraine à les rejoindre quand ils seront d'accord et quand les conditions seront réunies", sans avoir recours à un traditionnel plan d'action pour l'adhésion. Reste à savoir combien de temps cela prendra.

Article original publié sur BFMTV.com