Pourquoi l’anime "L'Attaque des Titans" déchaîne autant les passions

L'Attaque des Titans - Pika éditions
L'Attaque des Titans - Pika éditions

L'anime L'Attaque des Titans est avec la série de Marvel WandaVision le programme TV le plus commenté du moment. L'Attaque des Titans, ou Shingeki no Kyojin (SNK) en VO, fédère chaque semaine un nombre toujours plus grandissant de fans. L'arrivée ce lundi 1er mars sur Netflix de la troisième saison, et la fin prochaine de la quatrième et dernière saison, actuellement en cours de diffusion sur la plateforme Wakanim, ne vont pas interrompre ce phénomène.

Comme Game of Thrones ou The Walking Dead avant lui, L'Attaque des Titans a su conquérir un large public pas forcément adepte de récits fantastiques ou de mangas. "Les fans de L'Attaque Des Titans semblent être de tout âge désormais", note Victor, animateur du compte Twitter @AttaqueTitansFr, qui réunit plus de 60.000 fans français de la série. "Des personnes de ma famille regardent les épisodes avec moi le dimanche soir, des parents d'amis, etc. Le public féminin est bien présent dans la communauté." Même le journaliste Samuel Etienne se dit fan de SNK.

L'Attaque Des Titans a tous les ingrédients pour être addictif. Dans un monde au bord de l'extinction, l'humanité retranchée dans une cité médiévale mène une lutte désespérée pour sa survie face à des êtres humanoïdes gigantesques, les Titans, qui les dévorent depuis des siècles... Un orphelin, Eren Jäger, se jure de venger la mort de sa mère et d'exterminer tous les Titans. Au fil des épisodes, il va découvrir le terrible secret caché derrière les attaques de ces créatures cannibales.

Un record et une panne

Très populaire depuis son lancement en 2009, L'Attaque des Titans a pris au cours des dernières années des proportions titanesques, au point de devenir en France la troisième série du marché du manga, en chiffre d'affaires, derrière One Piece et My Hero Academia. Depuis la diffusion de la deuxième saison sur Netflix, le 6 décembre dernier, les ventes du manga ont été multipliées par 4, précise son éditeur français, Pika. Et il a fallu réimprimer en urgence 1,2 million d'exemplaires, afin de répondre à la demande "complètement inédite" dans l'histoire de cette maison d'édition.

L'Attaque des Titans est l'une des séries les plus vendues sur le site de lecture en ligne Izneo. Les chapitres inédits disponibles chaque semaine en simultrad (parution simultanée du chapitre au Japon et en France) font un carton. Sur Wakanim, une plateforme qui diffuse la série en exclusivité en France, la quatrième et dernière saison a réalisé le meilleur démarrage de son histoire - au point de faire sauter les serveurs le 7 décembre dernier lors de la diffusion du premier épisode!

"On a eu la plus grosse panne de Wakanim depuis des années: le site était inaccessible pendant deux heures", raconte Matthias Jambon-Puillet, responsable marketing chez Wakanim. "On a même eu des problèmes avec nos sécurités anti-piratage. On avait un tel pic d'audience sur la même minute que nos outils ont cru que c'était une attaque DDoS [attaque par déni de service, NDLR]."

Malgré les records d'audience des précédentes saisons, rien n'avait préparé Wakanim à un tel "raz-de-marée". L'ajout de la série sur Netflix n'y est pas pour rien: "Il y a un effet long terme grâce à Netflix. On a remarqué qu'il y avait un regain d'intérêt sur Wakanim après chaque diffusion sur Netflix. Les fans viennent chez nous pour découvrir la suite", analyse Matthias Jambon-Puillet, avant d'ajouter: "La base de téléspectateurs de L'Attaque des Titans ne fait que croître, mais on ne le voit pas tant qu'on n'a pas de nouveaux contenus".

"Un peu comme si Krilin était le héros de Dragon Ball"

La communauté des fans de SNK est aussi active sur les réseaux sociaux. Chaque dimanche soir, ils y commentent massivement le dernier épisode. Le nom d'Eren Jäger se hisse souvent en tête des tendances Twitter en France comme aux Etats-Unis. Un engouement qui s'explique par "son changement de comportement très brutal entre les saisons 3 et 4", détaille Victor: "Nous passons d'un adolescent ravagé par la haine à une personne au sang-froid remarquable et aux idéaux non-pacifistes au point de faire changer de camp certains fans. Il a également évolué en maturité, avec une façon de parler très calme, mais menaçante."

L'épisode 5 de la dernière saison, intitulée Déclaration de Guerre, contient une scène très importante avec Eren Jäger. Le jour de la diffusion de cet épisode, plus de 250.000 tweets étaient consacrés au seul personnage de Eren. "C'est beaucoup plus facile de s'identifier à Eren qu'à Luffy de One Piece ou Son Goku de Dragon Ball, car il est perclus de défauts. C'est le lien avec la réalité. Eren, c'est un peu comme si Krilin était le protagoniste de Dragon Ball", analyse Valentin Paquot, journaliste spécialisé dans le manga et l'animation japonaise.

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Le période actuelle, marquée par un fort besoin de se retrouver autour de produits culturels pour en discuter, alors que les salles de cinéma sont fermées, ne fait que renforcer cet enthousiasme. "Le fait que cette saison soit la dernière explique aussi cet engouement: l'histoire aura une fin" - ce qui n'est pas toujours le cas en animation japonaise, où les séries couvrent rarement l'intégralité d'un manga."

Plus de 100 millions d’exemplaires vendus

Pour mieux comprendre cette fascination, il faut remonter avant la création de la série animée, prévient Valentin Paquot: "La série est aussi bonne parce qu'elle se base sur un manga phénoménal. Son auteur, Hajime Isayama, réfléchit depuis très longtemps à son histoire. Il a son récit complet en tête depuis le début." L'Attaque des Titans naît un soir dans un bar tokyoïte, lorsque Iasayama est confronté à un individu alcoolisé impossible à raisonner. "Il s'est dit que ce qui faisait le plus peur aujourd'hui, ce n'était pas un ours ou un loup, mais un humain", ajoute le spécialiste. Il s'en inspire pour imaginer la figure du Titan, croisement entre les zombies, les mechas (robots géants japonais) et les kaijū (monstres géants japonais).

Publié à partir du 9 septembre 2009 dans la revue mensuelle Bessatsu Shonen Magazine, L'Attaque des Titans est un carton instantané et s'impose rapidement en tête du classement des mangas les plus vendus. La série s'est depuis écoulée à plus de 100 millions d’exemplaires dans le monde, dont 4 aux Etats-Unis et 3,5 millions en France - et le reste au Japon. Au début des années 2010, SNK est le seul manga à rivaliser avec One Piece et relance même la vente des tankōbon, ces recueils qui regroupent les différents chapitres d'un manga. Une réussite d'autant plus impressionnante qu'il s'agit du premier manga de son auteur.

Lorsque l'anime sort en 2013, quatre ans après le lancement du manga, le succès se transforme en phénomène. "Les studios avaient tendance à lancer les animes trop vite, sans avoir assez de recul sur l'histoire. Ce n'est pas le cas avec L'Attaque des Titans, qui impressionne même les équipes et les doubleurs devant travailler sur la série!", précise Valentin Paquot. "Hiroshi Kamiya, l'acteur qui prête sa voix à un des personnages les plus populaires de la série, Livaï, avait lu le manga et craignait de ne pas réussir à le doubler! On parle quand même d'un gars qui figure dans le top 3 des doubleurs actuels et joue Trafalgar Law, un des personnages les plus emblématiques de One Piece!"

La première saison, produite par WIT Studio, se distingue dès ses premiers épisodes par son animation très soignée et très dynamique, qui offre des séquences d'action très impressionnantes. La technique de manœuvre tridimensionnelle, qui permet aux personnages de se déplacer comme Spider-Man de toit en toit, est aussi admirablement bien rendue. Des filtres lumineux, très esthétiques, enveloppent enfin les personnages, qui sont magnifiés à l'aide de gros plans très intenses, qui apportent à chacun une singularité rare dans le monde des animes. Sont loués aussi la musique épique de Hiroyuki Sawano, le respect de WIT Studio pour l'œuvre d'origine et ses ingénieux retournements de situation, qui parviennent à maintenir en haleine et à surprendre à chaque épisode le public.

"Certains combats m'ont laissé bouche bée"

Le projet est piloté par le réalisateur Tetsuro Araki, connu pour son travail sur la série Death Note, et l'animateur Arifumi Imai. Le duo fait des merveilles "en magnifiant et en simplifiant le manga", s'enthousiasme Valentin Paquot: "Ils le rendent plus accessible à deux niveaux. Le premier niveau, c'est le dessin. Le trait d'Isayama n'est pas forcément très accessible. Il est très dense, très intimidant. Le deuxième niveau, c'est qu'il présente l'histoire de manière plus linéaire que dans le manga, où il y a plus de flashbacks et de sauts dans le temps. Il y a une tension constante." "Il y a également le scénario, qui, à chaque révélation importante nous donne un tout autre point de vue de l'œuvre", précise de son côté Victor.

Cette exigence a un coût. Il faut attendre 34 mois entre la première et la deuxième saison, qui ne compte que treize épisodes. Le résultat est à la hauteur de l'attente: cette deuxième saison est la plus marquante, avec les scènes les plus impressionnantes de la série, comme "la révélation de l'identité de Reiner et Bertolt dans l'épisode 6 de la saison 2, ou bien la déclaration de guerre dans l'épisode 5 de la saison 4", note Victor. "Certains combats de la saison m'ont laissé bouche bée, comme la grosse attaque du Titan colossal", renchérit Valentin Paquot. Après avoir fourni un tel effort, WIT Studio jette l'éponge après la troisième saison.

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La quatrième et dernière est conçue par Mappa, devenu ces dernières années un des studios les plus importants de l’animation japonaise. La production de cette saison n'a pas été de tout repos et laisse craindre des risques de sous-traitance. Le nouveau design des Titans, moins aboutis que ceux des saisons précédentes, a déçu les fans: "Je préfère comme beaucoup de monde les titans de WIT", admet Victor. "Certes, le fait que Mappa les réalise en 3D est dû à un manque de temps de production, mais les titans de WIT sont selon moi plus impressionnants et mieux faits."

Sentiment partagé par Valentin Paquot: "Les Titans de WIT ont quelque chose de plus puissant que ceux de Mappa. On sent le gigantisme. On sent aussi la différence avec les décors, qui sont plus complets chez WIT. Chez Mappa, ils trichent un peu plus avec des effets de lumière et des filtres qui neutralisent un peu trop les différents traits."

Traduire L'Attaque des Titans

La forte mobilisation des fans exerce aussi une forme de pression sur Ninon Masella, qui s’occupe des sous-titres de l’anime pour Wakanim. Traduire le lexique militaire et le langage politique et diplomatique de la série n’est pas une tâche aisée, explique-t-elle, tout comme trouver l’expression juste pour retranscrire les sentiments exacerbés d’Eren ou Mikasa.

Tout en respectant les spécificités de l’anime SNK, elle s’efforce aussi d’être cohérente avec la version française du manga: "J'essaye de toujours conserver les titres des épisodes tels qu'ils ont été traduits dans le manga, puisque ce sont les mêmes que ceux des chapitres, afin de permettre aux spectateurs qui auraient envie de passer à la version papier de s'y retrouver facilement", dit-elle, avant d’ajouter:

"De la même façon, tant qu'elles n'entrent pas en contradiction avec ce qui a été établi dans les précédentes saisons de l'anime, j'adopte les graphies des noms propres choisies par mon collègue pour la version manga. Idem pour les termes et locutions spécifiques à l'univers de l'œuvre. Le but est d'obtenir une traduction de l'œuvre animée cohérente avec elle-même et aussi harmonieuse que possible avec la version manga, afin de satisfaire le plus grand nombre de fans."

Une œuvre belliciste?

Les multiples niveaux de lecture de la série, qui changent selon les pays où elle est diffusée, expliquent aussi son succès. "A Hong Kong, ils considèrent que les Titans, c'est la Chine", commente Valentin Paquot. "En Corée, les Titans, c'est le Japon et ils voient SNK comme une œuvre de propagande pour que le peuple japonais redevienne impérialiste. Tout le monde s'est approprié la série." SNK explore le rapport des Japonais à la violence et à la guerre. On y retrouve également la thématique du sacrifice de la jeunesse face à une crise, présente dans Evangelion.

En raison de son succès mondial, L'Attaque des Titans suscite beaucoup d'analyses politiques. Hajime Isayama est resté silencieux sur le sujet. Bien que cette œuvre violente dénonce l'aveuglement suscité par le nationalisme, certains lecteurs y voient aussi une œuvre belliciste. Elle a même été récupérée par des mouvements d'extrême-droite.

Le dernier épisode de l'anime sera diffusé dans les prochaines semaines, tandis que l'ultime chapitre de SNK sera publié le 9 avril. Impossible de savoir ce que Hajime Isayama a préparé. Une chose est sûre: la fin ne sera pas heureuse, et les fans ne seront pas déçus. Isayama l'a promis. Il faudra attendre le second semestre pour découvrir en français la conclusion de L'Attaque des Titans.

Comment envisager l'après-SNK? Les fans l'ignorent encore. Un nouveau titre, plébiscité par la jeune génération, est déjà en train de prendre la relève: Jujutsu Kaisen, qui vient de dépasser les 25 millions d'exemplaires vendus dans le monde en moins de trois ans d'existence, et dont l'anime bat lui aussi des records d'audience.

Article original publié sur BFMTV.com