Pourquoi Emmanuel Macron refuse catégoriquement de parler d’« euthanasie » ou de « suicide assisté »

Pourquoi Emmanuel Macron refuse catégoriquement de parler d’« euthanasie » ou de « suicide assisté »
CHRISTOPHE ENA / AFP Pourquoi Emmanuel Macron refuse catégoriquement de parler d’« euthanasie » ou de « suicide assisté »

POLITIQUE - « Tous les mots ont été pesés au trébuchet. » L’Élysée ne s’en cache pas. À l’heure où, après des mois de concertations, le président de la République a dévoilé le 10 mars les contours du projet de loi sur la fin de vie, tout est fait pour dépassionner un débat aussi clivant que délicat, tant le sujet relève de l’intime.

« Les mots ont de l’importance et il faut essayer de bien nommer le réel sans créer d’ambiguïtés », déclare d’emblée Emmanuel Macron dans une interview conjointe à Libération et La Croix. Le chef de l’État est interrogé sur la forme que le projet de loi va donner à la fin de vie : euthanasie ou suicide assisté ?

Ni l’un ni l’autre, répond-il en substance, se gardant bien de reprendre un des deux termes. Le projet de loi présenté au Parlement à partir du 27 mai « trace un chemin qui n’existait pas jusqu’alors et qui ouvre la possibilité de demander une aide à mourir », explique-t-il. Et de planter au passage les termes qu’il souhaite voir s’imposer dans le débat : l’« aide à mourir », une tournure « simple et humain[e] » et qui « définit bien ce dont il s’agit », estime-t-il.

Le « suicide assisté », une expression trop « chargée »

Selon la définition du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), l’euthanasie est un « acte destiné à mettre délibérément fin à la vie d’une personne atteinte d’une maladie grave et incurable, à sa demande, afin de faire cesser une situation qu’elle juge insupportable ». Dans son interview, le chef de l’État évoque de son côté « le fait de mettre fin aux jours de quelqu’un, avec ou même sans son consentement », et assure que ce n’est « évidemment pas » ce dont il est question dans le projet de loi.

Quant au suicide assisté, au cours duquel le patient s’administre lui-même la substance létale, selon le CCNE, c’est « une expression chargée qui renvoie à la question plus large du suicide », juge l’Élysée, « or il ne s’agit pas du tout de la même situation ». Avec l’« aide à mourir », la présidence s’appuie sur le critère du pronostic vital, qui doit être engagé « à court terme » ou à « moyen terme » selon l’avis des professionnels de santé. Et estime de ce fait que « le choix n’est pas entre la vie et la mort puisque la mort est déjà là ».

Miser sur la notion de « solidarité »

Outre les justifications lexicales, l’enjeu pour l’exécutif est surtout de ne pas cliver l’opinion. Si une large majorité de Français est favorable à un projet de loi pour « une fin de vie digne », les avis sont beaucoup plus partagés sur les modalités. Selon un sondage Ifop de juin 2023, 18 % des Français interrogés veulent un projet de loi qui légalise « en priorité » l’euthanasie, c’est-à-dire l’administration par les médecins de la substance létale. Ils sont 23 % à se prononcer pour le suicide assisté, c’est-à-dire la prise par le patient lui-même de la substance létale, en présence d’un médecin. 48 % se prononcent pour une loi qui contienne ces deux options et 11 % sont totalement opposés à toute loi sur le sujet.

Pour créer du consensus, Emmanuel Macron a donc opté pour une troisième voie. Conserver l’expression d’« aide à mourir » a le mérite d’englober à la fois euthanasie et suicide assisté et de présenter en même temps le projet de loi sous le prisme de la « solidarité ».

Le texte se veut « un accompagnement global de la société par la solidarité et la fraternité de personnes qui vont mourir », souligne l’Élysée qui rappelle qu’il ne crée « ni un droit ni une liberté ». « La société apporte une solidarité à des personnes en fin de vie et qu’il faut aider jusqu’au bout », ajoute-t-on de même source. Dès lors, difficile de prendre sèchement position contre le texte puisque, comme le dit Emmanuel Macron lui-même, « lorsqu’on vous demande si vous êtes favorable à un “droit de mourir dans la dignité”, il faut être bizarre pour s’y opposer ».

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