Pourquoi le concert de Beyoncé à Dubaï fait polémique
Cela faisait plus de quatre ans qu'aucune scène n'avait été foulée par les talons hauts de Beyoncé. C'est à Dubaï que la superstar a décidé d'opérer son retour, samedi soir, avec un concert privé pour l'inauguration d'un hôtel de luxe, l'Atlantis The Royal. Une prestation pour laquelle le complexe aurait déboursé par moins de 24 millions de dollars... et que Beyoncé paie en mauvaise presse depuis.
Sur Twitter, beaucoup d'internautes dénoncent la décision de la chanteuse de se produire dans un pays régi par des lois LGBTphobes. Nombre d'entre eux insistent sur le fait que son dernier album en date, Renaissance (2022), puisait justement ses inspirations dans des courants musicaux indissociables de l'histoire de la communauté LGBT.
"J'ai du mal à comprendre pourquoi Beyoncé, riche d'un demi-milliard de dollars, accepterait 20 millions pour donner sa première prestation depuis 'Renaissance', un disque qui s'inspire énormément de la culture queer, à Dubaï, où les droits LGBT ne sont pas reconnus", s'agace ainsi un internaute sur Twitter.
Jusqu'à 14 ans de prison
Dubaï fait partie des Émirats arabes unis, État fédéral moyen-oriental où les relations entre personnes de même sexe sont pénalisées. D'après un rapport de l'International Lesbian, Gay, Bisexual, Trans and Intersex Association (ILGA) daté de 2019, l'article 356 du code pénal fédéral prévoyait "un minimum d'un an de détention" pour "le crime de corruption volontaire", ce que les spécialistes considèrent comme une référence aux rapports homosexuels.
Si Amnesty International notait en 2021 que l'article ne considérait plus les relations sexuelles librement consenties comme des infractions, des sanctions contre "les actes scandaleux portant atteinte à la pudeur", dont la nature n'était pas précisée, étaient toujours mentionnées deux articles plus loin.
Le code pénal spécifique à Dubaï va même plus loin en punissant la sodomie de peines allant jusqu'à 14 ans de prison, toujours selon le rapport de l'ILGA. L'association de défense des droits des personnes LGBT fait état de plusieurs arrestations homophobes aux Émirats arabes unis au cours des quinze dernières années.
Un disque-hommage à "la communauté queer"
Une destination surprenante, donc, pour une chanteuse dont le dernier album a été salué comme une "célébration de la culture noire et queer" par le Washington Post:
"Les 16 pistes de 'Renaissance' s'inspirent de la house, du disco et de la bounce music, des genres qui rappellent les ballrooms des années 1970 (des bals organisés par la communauté LGBT afro-américaine à New York, NDLR)."
Le disque "met en lumière comment la communauté queer a ouvert la voie à la dance music noire", estimait le quotidien. Le DJ Diplo, producteur que la scène américaine s'arrache, avait quant à lui salué un disque qui soulignait "l'impact que les hommes gays et noirs ont eu sur la pop culture au cours des 20 dernières années". Beyoncé elle-même, dans une note d'intention, avait dédié Renaissance "à tous les pionniers qui font la culture, ces anges déchus dont les contributions n'ont pas été reconnues pendant bien trop longtemps."
Plus explicitement, elle y rendait hommage à son oncle Johnny: "Il était ma marraine et la première personne à m'avoir fait découvrir beaucoup des musiques et des cultures qui ont servi d'inspiration à cet album". Comme le rapporte Them, elle avait déjà évoqué cet oncle en 2019 lors de la cérémonie des GLAAD Awards, saluant la mémoire de "l'homme gay le plus fabuleux" qu'elle ait jamais connu, mort de complications liées au Sida.
"L'un des pays les plus LGBTphobes au monde"
"Un album spécialement dédié à son oncle gay pour finir par se produire à Dubaï, dans un des pays les plus LGBTphobes au monde, ou l'homosexualité reste théoriquement passible de la peine de mort", dénonce sur Twitter Sébastien Tüller, reponsable des questions LGBTI chez Amnesty France.
"Beyoncé se produit dans la dictature homophobe de Dubaï", abonde Peter Tatchell, militant anglais pour les droits de l'homme. "En balançant ses valeurs progressistes, elle a fait passer un cachet mirobolant avant les droits de l'homme."
Le malaise est tel que la presse internationale s'est saisie de l'affaire. Le Guardian note qu'aucune chanson de Renaissance ne figurait parmi les 19 titres que Beyoncé a chantés sur scène. Le média britannique ajoute que malgré l'interdiction qu'avaient les membres du public d'utiliser leurs téléphones, des extraits circulent sur Twitter et laissent deviner un spectacle grandiose. La chanteuse, de son côté, n'a pas encore réagi à la polémique.