Pourquoi certains s’opposent à l’exploitation de mines de lithium ?

Manifestation contre l'extraction de lithium à Treguennec, en Bretagne, le 26 février 2022 (Photo by FRED TANNEAU / AFP)
Manifestation contre l'extraction de lithium à Treguennec, en Bretagne, le 26 février 2022 (Photo by FRED TANNEAU / AFP)

Le débat risque d'être relancé après l'annonce de l'exploitation d'un gisement dans l'Allier, "l'un des plus grands projets d'extraction de lithium" européens.

Assurer la souveraineté énergétique de l'Europe, garantir de l'emploi, se permettre la transition énergétique voulue... L'exploitation d'un important gisement de lithium à l'horizon 2027 dans le Massif central, le premier en France, semble concentrer les bonnes nouvelles. Mais l'horizon n'est pas aussi clair qu'il n'y paraît.

Côté pile, Imerys, le groupe français de minéraux industriels, vante les "34 000 tonnes d'hydroxyde de lithium par an à partir de 2028 pour une durée d'au moins 25 ans" qui permettront d'"équiper l'équivalent de 700 000 véhicules électriques en batteries lithium-ion" par an. De quoi "aider l'Europe à se décarboner", selon son directeur général.

"Une question de souveraineté"

S'y ajoutent à terme 1 000 emplois directs et indirects en Auvergne-Rhône-Alpes, sur deux sites. Un "projet exemplaire sur le plan environnemental et climatique, (qui) réduira drastiquement nos besoins d’importation de lithium", salue Bruno Le Maire, ajoutant que le groupe sera soutenu par le gouvernement français. Car la production de lithium est dominée par une poignée de pays seulement : l'Australie, qui compte 20 % des réserves mondiales, et l'Argentine, le Chili et la Bolivie, qui en concentrent 60 %. La Chine quant à elle possède 17 % de la production en lithium. Une dépendance d'autant plus problématique que les besoins de l'Europe en lithium vont être multipliés, par 18 d'ici à 2030 et par 60 d'ici à 2050.

"L'ouverture de cette mine est plutôt une bonne nouvelle car c'est une question de souveraineté technologique. Soit on multiplie les accords commerciaux avec les pays producteurs et on reste dépendants, soit on extrait nous-mêmes le lithium pour produire nos batteries et gérer notre transition énergétique et lancer la croissance verte avec ces emplois", nous éclaire Guillaume Pitron, journaliste et auteur de La Guerre des métaux rares.

Un village breton mobilisé contre le projet de mine

Mais côté face, la réalité de l'extraction de lithium n'est pas toute rose. Direction la ville de Tréguennec, 350 habitants, dans le Finistère. Le 26 février dernier, plus de 600 personnes sont réunies pour dire "non à l'extraction de lithium". Une mobilisation en réaction aux propos de la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, 9 jours plus tôt : "La France doit extraire du lithium sur son territoire", lance-t-elle dans une interview aux Échos.

"L'interview de la ministre a été l'élément déclencheur de notre mobilisation. On sait depuis des années qu'il y a du lithium mais personne n'en parlait jusqu'à présent. On a voulu montrer d'emblée que les habitants étaient opposés à un tel projet : le gisement est dans une zone naturelle protégée, dans un village paisible de 300 habitants, près de la mer, on ne peut pas envisager une mine à cet endroit, avec les nuisances que cela entrainerait, et les risques de pollution", nous raconte Catherine, à l'origine d'un des principaux groupes Facebook d'opposants au projet.

Macron soutient les mines de lithium

Huit mois et une réélection plus tard, dans le même quotidien, Emmanuel Macron affirme son ambition "Nous avons des mines de lithium en France et nous allons les développer grâce au nouveau code minier ; c'est clé pour notre souveraineté".

Selon un rapport du Bureau de recherche géologique et minière (BRGM), il y en aurait 66 000 tonnes dans le sous-sol de Tréguennec, le deuxième gisement le plus important dans l'Hexagone, derrière celui du Massif central.

En Serbie et au Portugal, la population fait reculer les projets

En Serbie, le géant australien Rio Tinto a dû renoncer à exploiter le plus grand gisement de lithium en Europe, après une importante mobilisation de la population, qui a fait plier le gouvernement. Fin 2021, habitants et écologistes ont occupé et bloqué des axes routiers majeurs, y compris l'une des autoroutes qui traverse Belgrade pour dénoncer l'impact environnemental d'un tel projet.

Une mobilisation de riverains est aussi en cours au Portugal, face au projet de mine de lithium, au nord du pays, où le projet est pour l'instant suspendu.

"Accepter de prendre sa part à la transition énergétique"

"À l'image de Tréguennec, des citoyens ne veulent pas entendre parler d'une mine à côté de chez eux. Le défi, c'est d'accepter l'utilité sociale du projet, pour le bien commun. Il faut durcir le code minier pour rendre acceptable socialement les mines. Il y a un enjeu d'éducation également car on nous rabâche à tort que l'électrique est une voiture propre, mais en ouvrant une mine de lithium on se rend compte que cela engendre de la pollution", prolonge Guillaume Pitron, qui appelle à "accepter de prendre sa part à la transition énergétique avec l'ouverture de ces mines".

Car l'exploitation des gisements a un coût. Environ deux millions de litres d’eau sont évaporés pour produire une tonne de lithium. Et dans le désert du Chili, où le lithium est aussi abondant que l'eau est rare, l'exploitation des gisements devient problématique et menace l'équilibre local.

Les inquiétudes sur les conséquences environnementales

Les nappes d'eau sont ainsi asséchées, les agriculteurs ne peuvent plus élever leurs animaux, les collines verdoyantes sont désormais asséchées et les flamants roses, emblématiques de la région, ont disparu, raconte la BBC. L'inquiétude : que l'eau potable vienne à manquer pour la population locale. Selon une étude menée par Corfo, les quantités d’eau extraites dans le Salar d’Atacama dépassent de 21 % ce que les nappes phréatiques peuvent supporter durablement, rapportait Libération.

"Ce ne sera pas parfait, mais il faut mieux une mine responsable en France ou en Europe, où les règles environnementales sont strictes, qu'une mine irresponsable ailleurs, sans exigence environnementale", synthétise Guillaume Pitron, qui rappelle les quantités d'eau astronomiques utilisées en Bolivie pour le lithium, ou le recours de la Chine au charbon pour produire l'électricité nécessaire à la production.

Les associations environnementales se mobilisent

Des conséquences sur la nature visibles à l'autre bout du monde, et qui inquiètent dans l'Allier, à l'annonce de l'exploitation du gisement. "La société exploite déjà une carrière dans la forêt des Colettes. C’est une réserve de biodiversité importante avec deux sites classés Natura 2000. Il y a différents cours d’eau et il y a des espèces rares qui figurent sur la liste rouge des espèces menacées, il y a aussi des végétaux très rares. On craint que le projet ne conduise à un déboisement partiel", s’alarme Michelle Petit, administratrice de France Nature Environnement dans l’Allier.

Une inquiétude encore plus présente après un été particulièrement sec. "C’est un projet qui nécessite beaucoup d’eau pour l’extraction du lithium. Or, on a été en restriction sécheresse tout l’été, c’est préoccupant, la priorité est de protéger la ressource en eau" poursuit Michelle Petit. Échassières, où se trouve le gisement, était placé en situation de crise lors de la sécheresse cet été, entrainant d'importantes restrictions d'eau pour les habitants.

"Si c'est pour faire des SUV électriques, c'est un non-sens"

Mais attention, nuance, le journaliste spécialisé, "si on ouvre une mine de lithium dans l'Allier pour équiper des SUV électriques avec des batteries, pour embouteiller les villes et prolonger l'usage de la voiture individuelle c'est un non-sens total. Il faut que cela s'accompagne de changements individuels comme davantage de transports collectifs ou partagés.

Une ouverture de mine soutenue par le gouvernement qui, aux yeux de France Nature Environnement, est contradictoire avec l'appel à la sobriété : "On continue toujours à puiser dans les ressources naturelles. On est loin de la sobriété dont on nous parle. Il faudrait plutôt penser à moins consommer de batteries au lithium, donc cesser de renouveler inutilement ses smartphones, ordinateurs, et lutter contre l'obsolescence programmée" réplique Michelle Petit.

L'une des pistes avancées pour limiter l'extraction de lithium, une ressource qui n'est pas infinie, est de développer le recyclage des batteries. Dans le cadre de "France 2030", le gouvernement a retenu l'entreprise Eramet pour faire émerger une "offre française de recyclage des batteries Li-ion à grande échelle, avec une première phase industrielle dès 2025".

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