Pourquoi le biathlon masculin français est en crise
L’hiver 2023-2024 devait marquer un profond changement pour les biathlètes français. Quelques mois plus tôt à Oslo, lors de la dernière étape de la Coupe du monde, ils avaient obtenu gain de cause avec les départs des entraîneurs Vincent Vittoz et Patrick Favre, après un hiver décevant auréolé de six podiums individuels. Un bilan aussi faible, une première depuis la saison 1996-1997. Cet épisode avait d’ailleurs fortement marqué Stéphane Bouthiaux, le patron du biathlon français, qui n’avait pas aimé le comportement des biathlètes.
Exit donc le duo Favre/Vittoz, bienvenue au tandem Simon Fourcade/Jean-Pierre Amat. Tous deux figures du biathlon français, le grand frère de Martin et le champion olympique 1996 de tir ont donc rejoint le navire bleu, après consultation avec les athlètes. Avec l’objectif de relancer les biathlètes tricolores et concurrencer la Norvège de Johannes Boe. Sauf que l’électrochoc attendu n’a toujours pas lieu.
Le choix de Simon Fourcade, élément important dans le groupe masculin chez les juniors, semble à première vue logique puisqu’il a couru avec une partie du groupe avant sa retraite (Quentin Fillon-Maillet, Emilien Jacquelin, Antonin Guigonnat). Mais cette proximité ne représente-t-elle pas un danger?
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Le pire hiver depuis 1997
Le tiers de la saison désormais dans le rétroviseur, force est de constater que l’équipe masculine de biathlon brille... par son absence sur les podiums individuels (aucun après les quatre premières étapes de Coupe du monde), pendant que les filles écrasent tout sur leur passage (sept victoires en 10 courses individuelles et deux en relais). Le groupe masculin est en train de vivre son pire hiver depuis 1996-1997, quand l'équipe comprenait la future star Raphaël Poirée (vainqueur de quatre Gros Globe) et Franck Perrot, le père d’Eric, membre du groupe France cette saison. Cette année, le meilleur résultat reste trois sixièmes places (Fabien Claude, Quentin Fillon-Maillet et Emilien Jacquelin).
Si les relais pourraient représenter un échappatoire ou une source de motivation pour retrouver une confiance en berne, les Bleus doivent se contenter de deux deuxièmes places (Östersund et Hochfilzen), à chaque fois derrière les Norvégiens. Le pire a sans doute été atteint le week-end dernier, sur la piste exigeante d’Oberhof, celle-là même où la France avait déjoué tous les pronostics l’an dernier pour s’offrir le titre de champion du monde devant la Norvège. Avec cinq tours de pénalité - dont quatre pour Emilien Jacquelin - et 14 balles de pioches, les Bleus ont terminé à une pâle septième place, à plus de quatre minutes de Norvégiens intraitables et insatiables.
Quels leaders?
La fin d’un nouveau week-end galère pour les hommes, qui avaient sombré dès vendredi sur le sprint, avec pour seul “bon” résultat une 14e place de Quentin Fillon-Maillet. De quoi alarmer Simon Fourcade, déjà fataliste. “C’est vrai que l’année 2024 ne commence pas de très bon augure. Les fêtes de fin d’année se sont pourtant plutôt bien passées, j’avais retrouvé les garçons dans de bonnes dispositions", expliquait-il au micro de La Chaîne L’Equipe. "Ce n’est pas une belle journée aujourd’hui. On ne va pas se chercher d’excuse, les conditions ont été les mêmes pour tout le monde. J’ai commencé à voir les garçons pour avoir leur analyse. Maintenant, il va falloir changer et faire quelques modifications pour enclencher une autre dynamique parce que, sinon, on va continuer à subir pour la suite. Je pense qu’il y a un sérieux manque de confiance. Le mois de décembre n’a pas aidé à retrouver cette confiance qui pouvait manquer suite à la saison dernière. Arriver face aux cibles, ça se pose un peu trop de questions. C’est clair qu’il va falloir se mettre un gros coup de pied au cul pour remonter la pente.”
Le rappel à l’ordre concerne le groupe entier, de Quentin Fillon-Maillet, qui a mal digéré sa saison 2022 exceptionnelle, à Emilien Jacquelin, dont la longue pause post-Mondiaux 2023 n’a pas eu l’effet escompté. Trop irréguliers, Fabien Claude, Eric Perrot et Antonin Guigonnat n’arrivent pas non plus à redonner le sourire au clan tricolore. Ce dernier a même annoncé qu’il passerait par la case IBU Cup - l’anti-chambre de la Coupe du monde - le week-end prochain.
Une relève qui tarde à arriver
Alors que Simon Fourcade a pointé du doigt le manque de confiance de ses hommes, cette fébrilité se traduit dans les statistiques. Face aux cibles, les Bleus affichent un taux de réussite bien en-deçà de leurs habitudes. Le meilleur Français reste Eric Perrot (85% de réussite), devant Emilien Claude (83%), Quentin Fillon-Maillet (82%), Antonin Guigonnat (82%), Fabien Claude (79%) et Emilien Jacquelin (79%). À titre de comparaison, les gâchettes Justus Strelow (94%, meilleur taux de réussite du circuit), Sturla Laegreid (92%) et les frères Boe, Tarjei (89%) et Johannes (85%) ne tremblent pas.
En difficulté derrière la carabine, les Français affichent une forme inégale sur les skis. Lors du dernier sprint à Oberhof - la course référence du biathlon - tous les Tricolores avaient en moyenne une minute de retard sur le Norvégien Johan Botn, pourtant novice en Coupe du monde.
Cette succession de mauvais résultats a des conséquences sur le classement général. Si la Norvège occupe les cinq premières places, le meilleur Français pointe au 14e rang (Fillon-Maillet). Que faire pour relancer une machine grippée? Faire un aller-retour en IBU Cup pour retrouver de la confiance? Dans ce cas, quels biathlètes choisir pour évoluer en Coupe du monde?
Le moteur est féminin
Car si le groupe A est en difficulté, la relève met encore du temps à éclore. À l’inverse des filles, où Jeanne Richard, Océane Michelon et Anaëlle Bondoux ont fait leurs débuts chez les grandes - ou sont proches d’y parvenir - les Français ont plus de mal en IBU Cup. Oscar Lombardot et Emilien Claude font souvent l’ascenseur. Les meilleurs au classement général, Damien Levet et Valentin Lejeune, ne pointent qu’au 12e et 15e rang.
En parallèle, le groupe masculin assiste impuissant à la razzia des féminines, qui sont au-dessus du lot depuis un an et demi: Julia Simon, Justine Braisaz-Bouchet, Lou Jeanmonnot, ce sont sept victoires individuelles en dix courses cette année. Une réussite impressionnante qui était celle des hommes dans un temps pas si lointain, lorsque Martin Fourcade faisait basculer les palettes une à une pour empiler les titres (13 médailles d’or mondiales, sept Gros globes, 26 petits globes, 83 victoires individuelles en Coupe du monde), lorsque le groupe féminin était lui dans la difficulté.
Dès jeudi à Ruhpolding, le relais français sera forcément scruté de près. Les cinq biathlètes retenus (Jacquelin, Fillon-Maillet, Fabien Claude, Lombardot, Perrot) savent qu’ils sont attendus. Reste à savoir s’ils trouveront une solution pour montrer que la France n’est pas dans un creux générationnel inquiétant, à deux ans des Jeux olympiques à Antholz-Anterselva.