Les politiques de l'UE mettent en péril l'indépendance alimentaire, selon un sondage
Près de la moitié des personnes interrogées dans le cadre d'un sondage Ipsos réalisé pour Euronews auprès de 26 000 électeurs européens considèrent que les actions de l'UE ont un impact négatif sur la protection de l'agriculture européenne et sur l'indépendance alimentaire de l'Union.
Ces deux aspects sont au cœur du programme de subventions agricoles de l'UE, la politique agricole commune (PAC), qui est également l'une des plus importantes enveloppes financières de l'Union.
Le résultat du sondage peut être considéré comme un échec cuisant de la principale politique agricole de l'Union, les législateurs européens n'ayant pas su tirer parti des fonds spécifiquement affectés à l'agriculture, qui représentent un tiers du budget global de l'UE.
Alors qu'un cinquième seulement des personnes interrogées se déclarent satisfaites des mesures prises par l'UE pour assurer la protection de l'agriculture européenne, le mécontentement semble atteindre son paroxysme dans les pays dont la production agricole est la plus importante, à quelques exceptions près, comme le Danemark et la Roumanie.
"Il est intéressant de constater que les répondants des plus grands producteurs de l'UE, la France en tête, mais aussi la Pologne, l'Espagne et l'Italie, ont les opinions les plus négatives ", a déclaré à Euronews Alan Matthews, professeur de politique agricole européenne au Trinity College de Dublin.
Pour M. Matthews, l'un des principaux experts du programme de la PAC, la question de savoir si les personnes interrogées ont répondu ainsi "parce qu'elles pensent que la pression pour une plus grande ambition environnementale a rendu l'agriculture européenne non compétitive ou parce qu'elles pensent que l'UE n'a pas pris suffisamment de mesures pour empêcher des importations plus compétitives par le biais de la politique commerciale", reste une question ouverte pour les décideurs politiques.
Une nouvelle ligne de fracture politique
La politique agroalimentaire de l'UE est un point sensible pour l'administration d'Ursula von der Leyen. Une précédente analyse d' Euronews a révélé que plus de la moitié des promesses de la stratégie phare "Farm to Fork" dévoilée au début du mandat n'ont pas été tenues.
Une polarisation croissante parmi les parties prenantes du secteur a conduit la cheffe de la Commission à demander un temps d'arrêt et à suspendre les nouvelles propositions en cours, convoquant à la place un "dialogue stratégique" avant les élections européennes afin de rapprocher les parties.
Cependant, le sondage exclusif d'Euronews révèle également l'apparition d'une ligne de fracture politique.
"Ce qui est intéressant, c'est le clivage gauche-droite entre les groupes politiques", a commenté M. Matthews, soulignant que les opinions les plus négatives étaient exprimées par ceux qui soutenaient les partis d'extrême droite (ID) et de droite (ECR), tandis que davantage d'électeurs soutenant les groupes de gauche et des verts estimaient que l'UE faisait au moins un travail raisonnable.
L'architecture générale de la PAC, sur laquelle les législateurs se sont mis d'accord au début de ce mandat, a déjà subi des modifications pour répondre aux préoccupations des agriculteurs.
Selon le ministre italien de l'agriculture, Francesco Lollobrigida, ces ajustements ont été jugés nécessaires pour corriger certaines failles dans la conception de la PAC, introduites à l'origine par les forces politiques progressistes et écologistes.
"La PAC a été conditionnée par [l'ancien vice-président de la Commission] Frans Timmermans, qui avait une approche idéologique et qui, heureusement, ne conditionne plus les politiques européennes", a déclaré le politicien conservateur lors de la réunion mensuelle des ministres de l'agriculture de l'UE-27 à Bruxelles en mars.
L'adieu de M. Timmermans a mis les groupes politiques de droite et conservateurs en position de revoir le cadre liant la durabilité environnementale à la durabilité économique, a-t-il ajouté.
Indépendance et souveraineté alimentaires
Le sondage exclusif d'Euronews a également montré un regain d'intérêt pour l'"indépendance alimentaire", de plus en plus associée au concept de "souveraineté alimentaire".
Inventée à l'origine par le mouvement agroécologique dans les années 1990, la souveraineté alimentaire est en vogue dans le discours politique actuel, en particulier en France et en Italie.
La définition de la souveraineté alimentaire au niveau de l'UE reste cependant floue, certains estimant qu'elle devrait faire partie d'une refonte de la politique commerciale de l'Union, tandis que d'autres cherchent à stimuler à tout prix la production agricole nationale de l'UE.
M. Matthews a fait le lien entre les résultats des sondages d'Euronews et une récente enquête Eurobaromètre qui a sondé l'opinion des citoyens sur la relation entre le commerce international et l'agriculture.
"Près de neuf personnes interrogées sur dix sont d'accord pour dire que les importations agricoles, quelle que soit leur origine, ne devraient entrer dans l'UE que si leur production respecte les normes européennes en matière d'environnement et de bien-être animal", a-t-il déclaré, ajoutant qu'une majorité des personnes interrogées dans le cadre de l'Eurobaromètre étaient également favorables à l'imposition de barrières commerciales sur les importations, à l'exception des pays en développement.
Un indicateur de durabilité récemment présenté par le groupe de réflexion FarmEurope indique que la souveraineté alimentaire de l'UE s'améliore à la fois pour la viande et les produits laitiers, avec un excédent pour la production végétale mené par la France, ainsi que par les pays d'Europe centrale et les pays baltes.
Toutefois, l'autosuffisance de l'UE en matière d'alimentation du bétail semble se détériorer rapidement, avec de graves déficits dans la péninsule ibérique, en Allemagne et en Italie.