La police française, victime du “syndrome de la citadelle assiégée” ?

La police se tient en position lors des rassemblements contre les violences policières, le 30 mars à Nantes (crédit : REUTERS/Stephane Mahe)
La police se tient en position lors des rassemblements contre les violences policières, le 30 mars à Nantes (crédit : REUTERS/Stephane Mahe)

De nombreux rassemblements en soutien aux blessés de la manifestation de Sainte-Soline se sont organisés en France dans la soirée de jeudi, faisant ressurgir la question des violences policières.

La police a-t-elle fait un “usage immodéré” de la force à Sainte-Soline (Deux-Sèvres) samedi 25 mars ? Deux personnes ont été gravement blessées dans le cadre d'affrontements en marge de la mobilisation contre le projet de mégabassines. Préfecture et gendarmerie défendent une “riposte ciblée et proportionnée” face à un millier de manifestants “radicaux” dans deux rapports.

La Ligue des droits de l’homme dénonce au contraire “un usage immodéré” de la force. Les organisateurs ont compté près de 200 blessés, dont un éborgné et deux personnes dans le coma, sur les 30 000 participants (6 à 8000 selon les autorités). Jeudi, la Défenseure des droits, Claire Hédon, s’est saisie des cas des deux manifestants grièvement blessés "au regard de la gravité des blessures occasionnées, possiblement par des armes de force intermédiaire, dans un contexte de manifestations". Des manifestations se sont déroulées jeudi dans toute la France pour dénoncer les violences policières survenues à Sainte-Soline et la répression des manifestations contre les retraites.

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“A Sainte-Soline, tous les critères d’une opération de maintien de l’ordre ratée ont été cochés, explique Anne-Sophie Simpere, autrice de “Comment l'Etat s'attaque à nos Libertés” (éd Plon, 2022). Ça me rappelle beaucoup d’autres opérations de ce type, comme la répression du Technival de Redon en 2021. Le principe de lancer d’énormes quantités de grenades, dont celles susceptibles de mutiler, sur une foule dans un champ, ça n’a pas de sens d’un point de vue de maintien de l’ordre et c’est extrêmement dangereux.”

"Notre police est sur-armée par rapport aux autres pays"

La spécialiste du maintien de l’ordre souligne que les stratégies sont décidées au niveau du ministère de l’Intérieur et que les policiers sur place exécutent. “Les manifestants français ne sont pas plus dangereux qu’avant et ils ne le sont pas plus que dans les autres pays. Pourtant, notre police est sur-armée par rapport aux autres pays, constate-t-elle. On est les seuls à utiliser des grenades de désencerclement et explosives, des armes qui vont impacter les manifestants de manière indiscriminée, c’est-à-dire qu’elles ne vont pas toucher seulement la personne visée.” Un rapport de l’ONG Acat montre que le nombre de tirs policiers par armes non létales a été multiplié par neuf entre 2009 et 2018, alors que le niveau de violence des manifestants est resté relativement stable.

Cette stratégie de défense est qualifiée de syndrome de “citadelle assiégée” par Paul Rocher, auteur de “Que fait la police ? Et comment s’en passer” (ed. La Fabrique, 2022). “Assiégée par qui ? Par le reste de la population que les policiers tendent ainsi à considérer au mieux avec méfiance, au pire avec hostilité”, écrit-il dans une tribune publiée sur Le Monde. Selon lui, cette méfiance est interne à la police et liée à la criminalisation gouvernementale d’une partie du militantisme politique. “De l’hostilité à la violence physique, il n’y a qu’un petit pas, que les policiers ont franchi dès les premières manifestations contre la réforme des retraites”, note-t-il.

Une stratégie de dissuasion

Outre les vidéos de violences policières, plusieurs personnes dénoncent des gardes à vue abusives et arbitraires lors de manifestations contre la réforme des retraites à Paris. "La loi permet effectivement d’arrêter des manifestants même s’ils n’ont pas commis de violence, grâce au délit de groupement en vue de la préparation de violence, détaille Anne-Sophie Simpere. En théorie, il faut quand même des éléments constitutifs. Mais dans une très grande majorité, les personnes arrêtées ne sont pas poursuivies, ce qui veut bien dire que les arrestations sont arbitraires."

Autre élément qui inquiète l'experte du maintien de l'ordre : les verbalisations. "On a vu ces derniers jours que la préfecture prenait des arrêtés d’interdiction de manifester et commençait à verbaliser participants à des manifestations non déclarées. À 135 euros l'amende, l'objectif est clairement de décourager les gens qui souhaitent rejoindre les manifestations", observe-t-elle.

Et si la meilleure défense n'était pas l'attaque, mais la désescalade et la communication ? "Les autres pays européens sont en avance sur nous, même si aucune police européenne n'est parfaite, souligne l'autrice de “Comment l'Etat s'attaque à nos Libertés”. En Allemagne, le principe de désescalade a valeur constitutionnel par exemple." Mettre en retrait les forces de l'ordre, placer des policiers non armés sur le terrain ou ne pas intervenir si cela n'est pas opportun sont autant de solutions qui pourraient permettre d'apaiser les tensions.

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