Le plan Écophyto mis sur « pause » : énième contretemps pour un projet en souffrance depuis ses débuts ?

Photo d’illustration prise lors d’épandage de pesticides dans un champ de Seine-Maritime
Andia / Andia/Universal Images Group via Photo d’illustration prise lors d’épandage de pesticides dans un champ de Seine-Maritime

ENVIRONNEMENT - Le coup de frein de trop pour Écophyto ? En pleine crise agricole, l’annonce par Gabriel Attal de la mise sur « pause » de ce plan destiné à limiter l’usage des pesticides a provoqué la colère des élus écologistes et des associations de protection de l’environnement. Ce dimanche 4 février, le ministre de la Transition écologique tente d’éteindre l’incendie sur ce dispositif, en réalité à la peine depuis des années.

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« Nous n’avons pas annoncé qu’on autorisait une molécule, ou qu’on allait modifier les règles sur la proximité des riverains et sur les zones de captage qui permettent l’alimentation d’eau potable », tente de relativiser dans une interview à La Tribune Dimanche Christophe Béchu. « On a simplement dit qu’il nous fallait trois semaines - jusqu’au Salon de l’agriculture - pour rediscuter des outils qui vont être déployés cette année », assure-t-il.

Le plan Écophyto a été lancé en 2008. À l’époque, son objectif est clair : baisser de moitié en 10 ans l’utilisation des pesticides (herbicides, insecticides, fongicides). Mais depuis, la théorie n’a cessé de se heurter à la pratique.

« Le cap n’a cessé d’être repoussé depuis 2009 »

En 2015, le plan est revu (Écophyto II) : l’objectif de réduction de moitié est conservé mais remis à 2025. Mais quelques années plus tard, le compte n’y est toujours pas : dans une note de suivi, le gouvernement reconnaît que sur l’année 2018, « la quantité de substances actives vendue progresse de 21 % par rapport à 2017 », identifie le soufre et le glyphosate comme les deux principales molécules et note que « les usages agricoles représentent 74 % du total. »

En novembre 2018, le gouvernement lance donc le plan Écophyto II+ pour rediscuter de la stratégie. Puis en octobre 2023, le plan « Écophyto 2030 » prévoit plusieurs changements majeurs. Le premier porte sur la date fixée pour atteindre l’objectif, reportée à 2030 . Le second porte sur la réduction, toujours « de moitié » mais cette fois par rapport à la période 2015-2017 - ce qui concrètement change l’objectif final par rapport à celui de 2009. Enfin, une enveloppe de 250 millions d’euros est prévue, dans le cadre du projet de loi de finances 2024 pour aider à la recherche de solutions alternatives.

« Le cap n’a cessé d’être repoussé depuis 2009 » déplore dans un entretien à l’AFP le 2 février le député socialiste Dominique Potier, rapporteur d’une commission d’enquête parlementaire sur « l’échec » des plans successifs Écophyto. L’objectif premier fixé en 2009, « tous les experts nous disent qu’il est insuffisant, c’est déjà un compromis avec la réalité, et nous avons déjà beaucoup de retard sur cet objectif minimal. Y renoncer serait terrible », fait-il valoir.

La « pause » annoncée par Gabriel Attal est d’autant plus critiquée qu’en juin 2023, une décision du tribunal administratif de Paris a donné jusqu’au 30 juin 2024 à l’État pour mieux respecter ses trajectoires de baisse de l’utilisation des pesticides et protéger les eaux.

« Nous ne reviendrons pas » sur l’objectif, assure Béchu

Dans son discours jeudi, Gabriel Attal n’a pas mentionné l’objectif de réduction des pesticides. Il a en revanche évoqué la mise en place « d’un nouvel indicateur ». De quoi s’agit-il ? Depuis 2008, la France utilise un indicateur de mesure de l’usage des pesticides, appelé le Nodu. Cet outil est contesté par les agriculteurs français, car ils estiment ne reflète pas la baisse de consommation de substances actives dans les champs.

« Tous les pesticides ne se valent pas », a fait valoir dans l’émission Le Grand Jury sur RTL ce dimanche le ministre de la Transition écologique Christophe Béchu. Il distingue ceux présentant des « risques avérés » de ceux avec des « risques probables » et, assure-t-il, « au cours des 5 dernières années, nous avons quasiment éradiqué les pesticides les plus dangereux ».

Mais « nos indicateurs ne conduisent pas à nous en rendre compte » car ils ne font pas la distinction entre les deux. Le gouvernement plaide donc pour revoir le Nodu et se donne « quelques semaines pour discuter » d’un indicateur européen qui permette d’éviter une concurrence déloyale avec des produits importés. « On a besoin de remettre de la cohérence dans les indicateurs parce que celui qui fait des efforts est moins bien noté que celui qui n’en fait pas », estime le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau sur LCI. Pourquoi garder « notre petit indicateur français » alors qu’un « indicateur européen est en train de se construire ? », interroge-t-il. Le début du Salon de l’agriculture, le 24 février, a été donné comme date butoir pour annoncer les détails de la réforme du Nodu.

Reste à savoir si ces précisions suffiront à rassurer les sceptiques. Tout en insistant sur les résultats « pas à la hauteur » des plans Écophyto, le député Dominique Potier estime qu’ils témoignaient « au moins d’une révolution culturelle » que l’annonce du gouvernement vient « ruiner ».

Auprès du HuffPost, la porte-parole de la Confédération paysanne Laurence Marandola dénonce, elle, « une vaste farce ». « En deux semaines, trois allocutions d’Attal, on détricote les seules mesures sur les pesticides. On espère que cette mise à l’arrêt n’est pas un enterrement », déclare-t-elle. Et de préciser : « Le gouvernement ne nous a toujours pas appelés pour une concertation alors que le Salon de l’agriculture est dans trois semaines... Il faut qu’il se bouge. »

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