Placement des mineurs en hôtel : pour Lyes Louffok, « on ne se donne pas les moyens de protéger les enfants »

« La place d’un enfant n’est pas dans un hôtel », rappelle Lyes Louffok.
Joel Saget / AFP « La place d’un enfant n’est pas dans un hôtel », rappelle Lyes Louffok.

PROTECTION DE L’ENFANCE - Les militants et professionnels de la protection de l’enfance réclamaient sa publication depuis deux ans déjà. Le décret d’application de la loi Taquet de février 2022, qui pose l’interdiction du placement des mineurs dans des hôtels, a été publié dans la nuit de dimanche 18 février au Journal Officiel.

Le suicide d’une adolescente placée provoque la colère face à « l’inaction totale » de l’État

Son entrée en vigueur fait suite à un drame : il y a quelques semaines, une adolescente de 15 ans placée dans un hôtel s’était suicidée dans le Puy-de-Dôme, créant une vague d’indignation lors de laquelle aussi bien des députés que des militants ont souligné l’urgence de faire appliquer la loi Taquet par la publication de ce décret.

C’est chose faite, mais le texte semble susciter des inquiétudes chez celles et ceux qui militaient pour son entrée en vigueur. Car s’il confirme l’interdiction de l’hébergement en hôtel des mineurs de moins de 16 ans, il permet toutefois des dérogations que plusieurs personnes déplorent. Le HuffPost a interrogé Lyes Louffok, militant pour les droits de l’enfant, pour revenir sur le sujet en trois points.

Le HuffPost. À quels enjeux espériez-vous que le décret réponde ? Que met-il en œuvre concrètement ?

Lyes Louffok. Ce décret était très important pour pouvoir faire en sorte que la loi de février 2022, qui visait à interdire le placement des enfants protégés par l’aide sociale à l’enfance (ASE) dans des hôtels, soit appliquée, ou, dans le cas contraire, qu’on puisse faire valoir cet interdit juridiquement. [Sans publication du décret, la loi n’était jusqu’ici pas appliquée, ndlr.]

Si le texte de loi pose un principe d’interdiction du placement des mineurs dans des hôtels, un tas d’exceptions et de dérogations ont été retenues dans le décret. Je pense que c’est une erreur de parler d’interdiction : c’est plutôt un « encadrement » du placement hôtelier.

Pour les moins de 16 ans et les enfants handicapés, l’interdiction est formelle mais pour les enfants de 16 ans et plus, le texte donne aux départements la possibilité d’habiliter les hôtels comme des lieux de placement et d’accueil. Il reste également possible pour les plus de 16 ans d’être placés dans des structures dites « de loisir » comme des bâtiments de colonies de vacances, ou des lieux de vie qui ne sont absolument pas adaptés.

Qu’en est-il de la prise en charge des mineurs dans ces lieux ?

Sur ce sujet, le décret n’est pas très clair : j’aurais aimé qu’on fixe le niveau de qualification des professionnels présents, le nombre d’enfants dont ils ont la charge, si leur présence est obligatoire de jour comme de nuit… Le décret ne répond pas à ça, ce qui laisse la place à des applications loin d’être suffisantes pour les enfants. En s’appuyant sur le texte, il suffit d’avoir un BAFA pour pouvoir exercer dans ces établissements [le texte précise que les professionnels sont « titulaires d’un diplôme dans le domaine social, sanitaire, médico-social ou de l’animation socio-éducative » sans préciser de diplôme ou de niveau, ndlr], et le nombre d’encadrant par nombre d’enfants n’est pas précisé.

Quoi qu’il arrive, la place d’un enfant n’est pas dans un hôtel mais le minimum, pour assurer leur sécurité, ce serait la présence d’une personne ayant un diplôme d’État d’éducateur spécialisé pour quatre enfants, de jour comme de nuit.

Ce texte suscite-t-il d’autres inquiétudes pour vous ?

Les critères d’habilitation de ces structures par les départements ne sont pas assez stricts. En somme, on dit qu’on interdit les hôtels, mais dans le même temps, on autorise les hôtels à se faire habiliter par le département, et donc à changer de statut, pour pouvoir être encore utilisés comme lieu d’hébergement.

Par ailleurs, les départements commencent à communiquer sur le fait qu’ils n’ont pas les moyens de faire appliquer la loi. Je me demande ce que l’État peut mettre en place pour la faire réellement respecter.

À ce stade, ce n’est pas le décret qu’il faut modifier, mais la loi : il faudrait repréciser le cadre de l’interdiction du placement des enfants à l’hôtel, et faire en sorte que l’interdit soit clair. Mais si les manques de ce décret ne sont pas une surprise, il y a quand même une déception forte : celle de voir qu’en France, on ne se donne pas les moyens de protéger les enfants.

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