Pilule abortive, délais d'accès à l'IVG... Jeudi noir pour le droit à l'avortement aux États-Unis
Les deux décisions de justice, tombées successivement, ont été reçues comme un énième coup de massue pour les défenseurs du droit à l'avortement aux États-Unis.
La première, venue de la Nouvelle-Orléans, est venue drastiquement réduire le champ d'action de la pilule abortive mifépristone, utilisée dans plus de la moitié des avortements outre-Atlantique.
La deuxième, édictée depuis la Floride, a rudement mis à mal le recours à l'avortement dans cet État du sud-est du pays.
"Alors que les élus extrémistes continuent d'attaquer la liberté reproductive, le président Biden et moi-même riposterons", a promis la vice-présidente Kamala Harris, très engagée sur le dossier de l'avortement après une décision en juin dernier de la Cour suprême américaine. En mettant fin à l'arrêt Roe v. Wade, l'institution a donné la possibilité à des États conservateurs d'interdire l'avortement sur leur territoire.
Bataille entre Washington et des juges conservateurs
Concernant la pilule abortive, la bataille avait été ouverte vendredi 7 avril par Matthew Kacsmaryk, un juge fédéral ultra-conservateur nommé au Texas par Donald Trump. Ce dernier avait décidé de mettre fin à l'autorisation de mise sur le marché donnée par la Food and Drugs Administration (FDA) à la mifépristone, la pilule abortive la plus utilisée aux États-Unis.
Il avait néanmoins laissé un délai d'une semaine à la Maison Blanche pour faire appel de sa décision. Une cour d'appel située à la Nouvelle-Orléans a donc été saisie par l'administration de Joe Biden, qui a mis en avant que la mifépristone ne posait pas de risques pour les femmes, contrairement à ce qu'avançait Matthew Kacsmaryk. Moins de 1% d'entre elles doivent être hospitalisées après avoir eu recours au médicament.
Un argument qui n'a apparemment pas convaincu les trois juges fédéraux saisis. Bien que ne reprenant pas en intégralité la décision de leur collègue texan, ils ont décidé de limiter l'usage de la mifépristone aux 7 premières semaines de grossesse, contre 10 par le passé. Mais plus important encore, ils ont interdit son envoi par la poste, alors que c'est par ce moyen que de nombreuses femmes vivant dans des zones rurales ou conservatrices se procurent la molécule.
Des décisions juridiques sans valeur?
Après cette décision, présentée comme "un pas de plus vers une interdiction totale de l'avortement à l'échelle du pays", Kamala Harris a annoncé que Washington allait saisir la Cour Suprême pour statuer sur cette décision. Problème, après les nombreuses nominations effectuées par Donald Trump lors de son mandat, la plus haute instance judiciaire du pays est profondément conservatrice.
Mais la plus grande confusion règne concernant l'avenir de la pilule abortive. Premièrement, car un juge nommé par Barack Obama et exerçant depuis l'État de Washington a édicté un jugement vendredi dernier, rendant impossible l'interdiction de la mifépristone dans la majorité des États démocrates autorisant l'avortement.
Deuxièmement, car même si la Cour Suprême venait à valider l'interdiction ou la limitation de la mifépristone, la FDA, à l'origine de son autorisation de mise sur le marché, pourrait ne pas suivre l'injonction légale.
Le New York Times rappelle que l'agence considère depuis 23 ans le médicament comme sûr. Il fait même l'objet d'une surveillance approfondie auxquels ne sont soumises que 60 autres molécules dans le pays. Et même si un processus de retrait du marché était engagé, les délais pourraient être extrêmement longs, possiblement plusieurs années.
La Floride de plus en plus conservatrice
L'autre front ouvert jeudi par les opposants à l'avortement se situe en Floride. Dans cet État dirigé par Ron DeSantis, présenté comme un candidat plus que potentiel pour la présidentielle de 2024, les idées républicaines gagnent du terrain. Auparavant vu comme un swing-state dirigé au centre, la Floride multiplie ces derniers mois les mesures conservatrices, notamment à l'école.
Ainsi, à 70 voix pour et 40 contre, les élus du parlement floridien se sont exprimés jeudi pour une réduction à six semaines du délai de recours à l'avortement dans l'État. Il y a encore un an, ce délai était de 24 semaines (il est de 14 en France, NDLR), avant d'être ramené à 15, puis désormais 6.
Pour les défenseurs du droit à l'avortement, cette décision est lourde de conséquences. La Floride était par le passé considérée par de nombreuses femmes issues d'États conservateurs du "sud profond" comme une solution pour avorter légalement et en toute sécurité.
Preuve en est, depuis la fin de l'arrêt Roe v. Wade et l'interdiction de l'avortement dans la majorité des cas dans des États comme l'Alabama, le Mississippi et la Louisiane, les demandes d'avortements en Floride ont augmenté en 2022 comme dans nul autre État américain.
"Démonter nos libertés fondamentales"
"Aujourd'hui, nous montrons l'exemple. Aujourd'hui, nous nous battons pour la vie. Nous nous tenons avec les mères, avec les familles de Floride. Et avec ce vote aujourd'hui, nous passons d'une culture de l'avortement à une culture de la vie", a déclaré à la suite du vote floridien Jenna Persons-Mulicka, une élue républicaine.
À la Maison Blanche, c'était un tout autre discours qui résonnait jeudi. "Les élus républicains continuent leur travail pour démonter nos libertés fondamentales, incluant des objectifs pour bannir l'avortement à l'échelle nationale", a déclaré la porte-parole de l'exécutif américain Karine Jean-Pierre.
Immédiatement après la décision, des dizaines de manifestants se sont réunis à Tallahassee, où se trouve le parlement de Floride. "Nous voyons de plus en plus de soutiens, de pouces en l'air, de par les gens qui passent à notre niveau", a expliqué au Washington Post Rhea Das, une infirmière en faveur de l'avortement.
"La plupart des Floridiens et la plupart des Américains ne veulent pas de ce genre de loi", a-t-elle estimé.