Philippe Martinez : « La question des salaires peut se régler en dix minutes ! »

CGT Union leader Philippe Martinez (C) walks with striking workers at The Gravenchon Port-Jerome refinery, owned by US giant Esso-ExxonMobil, at Port-Jerome, northern France on October 12, 2022. - Striking French oil refinery employees have voted to maintain blockades now in their third week, despite a government order for some of them to return to work in a bid to get fuel supplies flowing. The industrial action to demand pay hikes has paralysed six out of the seven fuel refineries in France, leading to shortages of petrol and diesel exacerbated by panic-buying from drivers. (Photo by Lou BENOIST / AFP)

SOCIAL - Il reste cinq mois à Philippe Martinez à la tête de la CGT. Ce mardi 18 octobre, l’emblématique secrétaire général de la centrale joue gros : il tente de faire plier les grands patrons comme celui de Total pour qu’il accepte une hausse des salaires en interne, alors que le mouvement s’étend à d’autres secteurs qui sont en grève comme l’éducation, la santé ou les transports.

Pour Le HuffPost, il revient sur son bilan après sept ans de responsabilités à Montreuil et assure que la question des salaires en France, sa « priorité », peut se régler « en dix minutes » si le gouvernement cesse de « faire la sourde oreille ». Entretien.

Le HuffPost : Combien de personnes attendez-vous dans la rue ce mardi ?

Philippe Martinez : Je n’aime pas trop donner de chiffres, mais plus que lors de la dernière journée de mobilisation du 29 septembre où nous étions 250 000 (120 000 selon la police, ndlr). Vu le nombre d’appels à la grève, je pense qu’on sera plus nombreux.

Quel est le mot d’ordre ?

Toujours le même : nous demandons l’augmentation des salaires et le respect du droit de grève. C’est la responsabilité du patronat, mais aussi celle du gouvernement qui doit s’emparer au plus vite de la question des salaires, à commencer par l’augmentation du Smic.

Demandez-vous un Grenelle des salaires au gouvernement ?

Oui, mais nous n’avons pas besoin d’un grand sommet : la question peut se régler en une demi-journée !

En une demi-journée vous pouvez régler la question des salaires en France ?

En dix minutes ! Il faut une augmentation du salaire minimum et une échelle mobile des salaires, c’est-à-dire l’indexation de salaires pour tout le monde sur le niveau de l’inflation. Plus généralement, nous avons besoin de règles sur la répartition des valeurs. Pour prendre un exemple d’actualité, il est anormal que les sous-traitants de Total n’aient aucun « ruissellement » des superprofits de l’entreprise.

Si tout le monde a les moyens d’acheter du pain, le problème du boulanger pour augmenter le Smic est réglé.

On pourrait vous rétorquer le fameux exemple du boulanger : les artisans ou toutes petites entreprises n’ont souvent pas les moyens d’augmenter le Smic…

J’en suis conscient. Mais si tout le monde a les moyens d’acheter du pain… Le problème du boulanger est réglé. On a un sujet d’inflation et de pouvoir d’achat, ce qui est loin d’être nouveau. Dès 2021 quand Jean Castex était encore à Matignon, nous lui avons écrit pour l’alerter sur la question, mais les gouvernements successifs font la sourde oreille.

En 1968, personne n’a dit « allez, c’est la grève générale !  », ça ne se décrète pas une grève générale, ça se construit.

Vous n’avez pas voulu participer à la « marche contre la vie chère » du 16 octobre, contrairement à certaines fédérations ou syndicalistes de vos rangs. Vous n’êtes pas favorable au « nouveau front populaire » que souhaite Jean-Luc Mélenchon ?

Deux organisations sur cent trente au sein de la CGT ont participé. Je ne suis pas un gardien de conscience : certains ont un engagement politique et ils font ce qu’ils veulent de leur dimanche. Nous avons eu des échanges avec la NUPES et la divergence principale était le mot d’ordre : « marche contre la vie chère » que nous ne trouvions pas assez offensif. Je ne veux pas mélanger les genres.

C’est-à-dire ?
Quand les politiques appellent à la grève générale, j’ai des interrogations. Je ne suis pas sûr que ce soit depuis un bureau ou un plateau de télévision que l’on puisse décider du sort des travailleuses et des travailleurs. Ce sont à eux de choisir. De même quand on parle de « mai 68 perlé », ça ne se décrète pas une grève générale, ça se construit. En 1968, personne n’a dit « allez, c’est la grève générale ! », ça s’est produit, à l’initiative des salariés. Ces positions ne sont pas réalistes.

Le gouvernement s’apprête à ne pas reprendre l’amendement sur les superdividendes dans son projet de Budget adopté sans doute par 49-3. Comment réagissez-vous ?

Je pense que le gouvernement est, là encore, à côté de la plaque. Quand des entreprises comme Total génèrent des profits énormes qu’ils versent d’abord à leurs actionnaires en faisant un bras d’honneur à la collectivité, c’est de la responsabilité du gouvernement de prendre des mesures.

Bruno Le Maire vous rétorquerait que si la France est quasiment au plein-emploi, c’est en raison de sa politique fiscale qui consiste à ne pas ajouter d’impôts nouveaux sur les entreprises… 

J’ai aussi entendu que Bruno Le Maire ne savait pas ce que c’était qu’un superprofit ! La baisse du chômage est effective, mais nous, nous parlons de qualité de l’emploi. Avec 400 euros, on ne peut pas vivre ; mais c’est un chômeur de moins pour le gouvernement ! Le salaire doit permettre de vivre dignement. Ce n’est pas le cas pour bon nombre de travailleurs.

Les gilets jaunes se sont formés sans syndicats et sans partis politiques, est-ce que vous pensez que cette contestation s’inscrira cette fois dans votre sillage ?

Il nous faut réussir à faire en sorte que tous ceux qui sont mécontents et qui ne connaissent pas les syndicats puissent y avoir accès. Je pense aux chômeurs par exemple ou à celles et ceux qui n’ont pas le statut de salariés. Ce n’est pas moi qui vais critiquer les mouvements spontanés, mais un peu d’organisation est nécessaire.

Comme je n’ai pas mes 42 annuités de cotisation, je vais retourner dans mon entreprise en mars, Renault, et leur proposer de faire vivre le dialogue social avec les sous-traitants.

Cela fait sept ans que vous êtes à la tête de la CGT, votre mandat s’arrête en mars. Est-ce un regret de ne pas être allé chercher ces nouveaux adhérents potentiels ?

Non. Nous avons fait des changements. Mon regret, c’est que ça n’aille pas assez vite. Le monde du travail a beaucoup changé. Il nous faut prendre en compte la diversité du monde du travail et notamment les travailleurs Ubérisés. Il nous faut changer de vitesse.

Votre mandat s’arrête en mars prochain, quelle serait votre plus belle victoire ?

Je ne raisonne pas comme ça. Dans ma conception du syndicalisme, la priorité, c’est d’être au contact du monde du travail. Je crois avoir réussi à ne pas changer ma façon de faire depuis mon premier mandat syndical en 1984 chez Renault.

Savez-vous déjà ce que vous allez faire ensuite ? Prendre votre retraite ?

Suite aux réformes successives, comme vous le savez, il faut 42 ans de cotisations et je ne les ai pas. Comme c’est Renault qui me paie depuis un certain temps, je vais retourner dans mon entreprise.

À quel poste ?

Tout à fait humblement et vu mon expérience, je vais proposer mes services en matière sociale afin de faire vivre le dialogue social entre Renault et ses sous-traitants. Si je peux être utile pour faire retrouver des couleurs en matière industrielle à la France et éviter que des bassins d’emploi ne meurent, je serais heureux.

À voir également sur Le HuffPost :

Lire aussi