"Il peut croire à beaucoup de choses", qui est Kévin Vauquelin, le vainqueur de la 2e étape du Tour de France promis à un grand avenir?

"À ce rythme-là, vous allez même réussir à vous trouver un sprinteur pour gagner demain." La confidence est lâchée avec le sourire, et un brin de jalousie, par un confrère espagnol à l’arrivée de la deuxième étape du Tour de France, ce dimanche, dans les rues orangées et lumineuses de Bologne. Il faut dire que le clan bleu-blanc-rouge pouvait difficilement faire mieux en ce week-end inaugural. Au lendemain du fabuleux numéro réussi par Romain Bardet, couronné empereur de Rimini et premier maillot jaune de cette édition 111e édition, c’était au tour de Kévin Vauquelin de transformer ce 30 juin en un 14 juillet avant l’heure. Une simple statistique pour mesurer l’ampleur de la performance: c’est la première fois depuis 1968 et le doublé de Charly Grosskost, avec la Bic de Jacques Anquetil, que la France remporte les deux premières étapes du Tour. Une autre époque.

Cinquante-six ans plus tard, Vauquelin est venu offrir à Arkéa-B&B Hotels sa première victoire dans la Grande Boucle après avoir lâché ses compagnons d'échappée dans la deuxième ascension de la terrible et somptueuse côte de San Luca, poussé par les encouragements d’une foule de tifosi déchaînés comme s'ils soutenaient l'un des leurs. Une nouvelle preuve de la faculté de cette course à faire vivre à ses concurrents un toboggan d’émotions. Samedi, son visage rougi et déformé par le soleil de plomb de la côte Adriatique traduisait bien la souffrance vécue par le Normand de 23 ans lors de la première étape. "J’ai tout de suite su que ça n’allait pas. La chaleur a joué un rôle et j’ai préféré me relever", disait-il ce matin, loin d’être abattu mais prudent, le regard déjà tourné vers la suite. "C’est vrai que je connais bien San Luca pour avoir couru le Giro dell'Emilia. Je vais essayer de voir comment je me situe."

"Il a plein de cartes à jouer"

Il n’y qu’à observer la façon dont il s’est envolé dans la côte emblématique de la ville émilienne, puis résisté au retour de la meute de favoris, pour comprendre que la nuit a été salvatrice. Le cinquième succès de sa carrière, et la confirmation qu’il a passé un cap cette saison, après avoir pris la deuxième place de La Flèche Wallonne, et échoué d’un rien à enfiler le maillot tricolore de champion de France du chrono (deuxième à trois secondes de Bruno Armirail). "Il suit une magnifique évolution depuis trois ans. Il est capable de choses extraordinaires. C’est un excellent rouleur et quand il s’est isolé à l’avant, je savais qu’il ne serait pas rejoint", confie notre consultant Cyrille Guimard, convaincu que le natif de Bayeux, considéré dès ses débuts comme un grand espoir, a "le profil pour jouer les classements généraux sur les courses à étapes, à condition de bosser un petit peu en montagne".

"Ce sera peut-être un peu juste sur trois semaines, mais sur une semaine il peut être brillant. Je le vois réussir sur des courses comme le Dauphiné et le Tour de Suisse, mais aussi sur des classiques. Il a plein de cartes à jouer. Ce qui me plaît, c’est sa régularité et sa capacité à reproduire des efforts intenses à plusieurs moments précis. Ce qui lui manque, même si aujourd’hui ce n’était pas le cas, c’est peut-être un peu de vélocité dans les cols", poursuit Guimard. Son coéquipier Arnaud Démare pourrait enchaîner les superlatifs toute la soirée pour décrire celui qu’il considère comme "un puncheur incroyable". Il révèle aussi une facette moins connue de son "petit frère". "C’est quelqu’un qui doute. En ce moment, les jeunes se posent beaucoup de questions en regardant les Tadej Pogacar, les Remco Evenepoel... Moi je le découvre cette année et il me surprend. Avant lui je n’avais jamais vu quelqu’un de son gabarit (1m76 pour 69kg) envoyer autant de watts", témoignait le sprinteur au moment de rejoindre le bus de son équipe, où l’émotion était évidemment immense.

La fibre d'un futur patron

Mention spéciale pour le directeur sportif Didier Rous, qui n’a pu retenir ses larmes devant les journalistes. "Quand on gagne, on est ému, et je le suis encore. Hier, Bardet gagne et prend le maillot. Aujourd'hui, Kévin gagne. On n'est pas dans la même équipe, mais on reste Français. L'essentiel, c'est que les Français réalisent un beau début de Tour. Ça nous réussit, tant mieux pour nous. On savait que Kévin marchait très fort, mais on a eu des mois compliqués avec beaucoup de pépins, des gars qui tombaient. Donc il faut savourer les choses et c’est ce qu’on va faire!", confiait l’ancien coureur, après être tombé dans les bras d’Emmanuel Hubert, manager chez Arkéa-B&B Hotels et lui aussi fou de joie: "Moi je n’ai jamais douté!"

"C’est un bonhomme qui ne se satisfait jamais de ce qu’il fait. Quand il fait deuxième de la Flèche Wallonne, il me dit que la première place aurait été vachement mieux. C’est surtout un garçon avec beaucoup de valeurs. J’adore ses parents, boire avec eux un petit coup de Calva normand quand ils viennent sur les courses. J’espère qu’on fera un bon bout de chemin ensemble. Kevin veut faire partie des grands coureurs mondiaux et sa progression est énorme. Sa maturité est grandissante. Il sait écouter et donner l’exemple. Est-ce qu’il a la fibre d’un futur patron? Je pense, il sait s'affirmer. Ce qui est sûr, c’est que quand tu gagnes à 23 ans une étape du Tour, tu as le droit de croire à beaucoup de choses. Il ne faut pas dire que c’est lui le coureur français qui va gagner le Tour, il faut y aller petit à petit. L’oiseau fera son nid", insiste Hubert.

Quant au cyclisme français, propulsé en pleine lumière, même si Tadej Pogacar n'a pu s'empêcher de chiper le maillot jaune des épaules de Romain Bardet ce dimanche, il se prend désormais à rêver d'un triplé. Avec une arrivée promise aux sprinteurs ce lundi à Turin, la balle est dans le camp d'Arnaud Démare, Axel Zingle ou encore Bryan Coquard.

Article original publié sur RMC Sport