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Peu d'espoir chez les réfugiés nucléaires 5 ans après Fukushima

par Minami Funakoshi NARAHA, Japon (Reuters) - Répétition titre A quelques jours du cinquième anniversaire de la catastrophe de Fukushima, Tokuo Hayakawa est revenu sans trop d'espoirs à Naraha, une ville rurale située à une vingtaine de kilomètres de la centrale nucléaire théâtre du plus grave accident du nucléaire civil depuis Tchernobyl, en 1986. Equipé d'un dosimètre, le prêtre bouddhiste de 76 ans fait le tour de son temple pluricentenaire, arborant sur sa robe un badge refusant le nucléaire civil. "Cette région va s'éteindre", prédit-il, expliquant ne plus pouvoir faire pousser de riz de crainte que les rizières soient encore contaminées. Lorsqu'il n'est pas occupé par les rituels religieux, Tokuo Hayakawa fait campagne contre le nucléaire. Avant la catastrophe, les 54 réacteurs que comptait l'archipel lui fournissaient plus de 30% de son énergie. Aujourd'hui, seules trois unités de production nucléaire ont été remises en marche; d'autres devraient suivre. "Je ne peux pas désigner mon petit-fils comme héritier", regrette Tokuo Hayakawa, qui n'a plus rien d'autre à léguer que ses terres contaminées. "Faire revivre cette ville est impossible", dit-il. "Je suis revenu pour la voir mourir", poursuit-il, tranchant avec l'optimisme affiché par le Premier ministre japonais, Shinzo Abe, selon lequel le renouveau du Japon passe par la reconstruction de Naraha et des autres villes du nord-est. Le 11 mars 2011, la région a été ébranlée par l'un des plus puissants séismes de l'histoire suivi d'un tsunami qui a ravagé la centrale nucléaire de Fukushima et provoqué la fusion du coeur d'un des réacteurs. Plus de 19.000 personnes ont péri et les villes des environs de la centrale ont été évacuées. Sur les 8.042 âmes que comptait Naraha, seules 440 personnes sont revenues. Près de 70% d'entre elles sont âgées de plus de 60 ans. Pour tenter de redonner vie à la région, Tokyo a promis d'investir 26.300 milliards de yens (211 milliards de dollars) sur cinq ans et 6.000 milliards de yens au cours des cinq années suivantes. VILLE D'OUVRIERS Plus de 160,000 personnes ont été évacuées des villes situées autour de la centrale et près de 10% d'entre elles vivent dans des logements temporaires disséminés dans la circonscription territoriale de Fukushima. A Naraha, deux restaurants, qui ferment à 15h00, un supermarché et un bureau de poste regroupés dans des locaux préfabriqués constituent le principal centre commercial de la ville. Dans le parc qui surplombe l'océan Pacifique, aucun enfant en vue mais plusieurs retraités se promènent au milieu des centaines de sacs remplis de déchets radioactifs. Beaucoup de maisons endommagées lors de la catastrophe sont abandonnées et la ville est surtout peuplée d'ouvriers chargés d'éteindre les réacteurs de la centrale de Fukushima-Daiichi ou de projets de décontamination. D'autres travaillent à la construction d'une digue de près de 9 mètres de haut le long des deux kilomètres de côte que compte la ville. "Naraha est une ville d'ouvriers", constate Kiyoe Matsumoto, membre du conseil municipal, qui ajoute que ni ses enfants ni ses petits-enfants ne reviendront. ÉNORME MENSONGE Pour les habitants, l'avenir de la ville dépend du retour des plus jeunes, or seuls une douzaine de moins de trente ans sont pour l'instant revenus vivre dans la ville. A Naraha, les niveaux de radiation s'échelonnaient en janvier entre 0,07 et 0,49 microsieverts par heure alors que le gouvernement vise une exposition d'un microsievert par an, à comparer à la moyenne de trois microsieverts auxquels les habitants des Etats-Unis sont exposés du fait du rayonnement ambiant naturel. La baisse sensible du rayonnement atmosphérique a permis au gouvernement de lever le 5 septembre dernier l'ordre d'évacuation. "Nous espérons que la reconstruction de Naraha sera un modèle pour les habitants qui reviendront dans les villes évacuées", expliquait alors l'Agence japonaise de reconstruction sur son site internet. Un mois plus tard, Shinzo Abe se rendait dans la ville pour y proclamer l'un de ses slogans favoris: "Sans reconstruction de Fukushima, il n'y aura pas de reconstruction du nord-est. Sans reconstruction du nord-est, le Japon ne connaîtra pas de renouveau." Devant le peu de retours enregistrés, le département de la reconstruction de Naraha ne sert pas à grand chose. S'exprimant sous le sceau de l'anonymat, un responsable confie: "Je ne sais pourquoi (Abe) est venu." Dans son temple bouddhiste, transformé en local de campagne antinucléaire, Tokuo Hayakawa explique que l'idée selon laquelle Naraha pourrait être un exemple de reconstruction est "un énorme mensonge". "Il n'y a pas de reconstruction et aucun retour à la vie d'avant. Le gouvernement le sait." (Nicolas Delame pour le service français)