"Petit Pays" adapté au cinéma: "en voyant ce film, Gaël Faye a mesuré la violence de son livre"

Le best-seller de Gaël Faye Petit Pays, couronné de plusieurs prix littéraires et traduit en près de 40 langues, débarque au cinéma le vendredi 28 août.

Le réalisateur Eric Barbier (La Promesse de l’aube avec Pierre Niney) signe une adaptation pudique de ce récit inspiré par la vie de Gaël Faye pendant la guerre civile du Burundi entre 1993 et 1995. Comme le roman, le film met en lumière ce conflit éclipsé par le génocide des Tutsis au Rwanda, qui a démarré à quelques kilomètres de là, six mois plus tard, en 1994.

Le film raconte aussi le quotidien insouciant de Gabriel, 10 ans, fils d'un couple franco-rwandais, dans un quartier résidentiel de Bujumbura, capitale économique du Burundi, puis la fin de l'innocence. Jean-Paul Rouve est quasiment l’unique acteur professionnel d’un casting composé principalement de comédiens rwandais dont les visages portent les stigmates de l’Histoire.

Le réalisateur Eric Barbier nous raconte comment il a adapté le best-seller de Gaël Faye et comment il a reconstitué avec pudeur cette page sombre de l’Histoire.

https://www.youtube.com/embed/qlSF3tZ0s3A?rel=0

Quel défi représentait l’adaptation de Petit Pays de Gaël Faye?

Le vrai défi de l’adaptation est d’arriver à rendre le cœur du roman: c’est-à-dire à retrouver la vérité, la justesse du livre à travers les scènes et les acteurs.

Vous avez reconstitué le Burundi au Rwanda…

On n’a pas tourné au Burundi, parce qu’on ne pouvait pas y être assuré. Le pays n’est pas très stable. Par contre, c’était très important de retrouver les langues que Gaël décrit dans le roman: d’avoir la famille rwandaise qui mélange le kinyarwanda et le français, de retrouver le kirundi [la langue du Burundi, NDLR] dans les barrages et le swahili et le français dans les bandes de jeunes. Il fallait retrouver des personnages qui allaient redonner une certaine véracité aux langages utilisés à Bujumbura à l’époque.

Comment avez-vous fait pour retrouver les paysages du Burundi?

Il y a une proximité. On a beaucoup travaillé en amont avec Gaël. Il m’avait donné des films et des photos de sa jeunesse. Quand je suis allé faire des repérages au Rwanda, j’ai retrouvé une copie de sa maison à Gisenyi, à la frontière du Congo. C’était assez amusant.

Pourquoi avez-vous choisi Jean-Paul Rouve?

Ça m’est venu assez vite pour une raison un peu bête: le père de Gaël, dans les images que j’avais, avait une proximité physique avec Jean-Paul. La deuxième chose qui a été un peu déterminante avec Jean-Paul est qu’il aimait beaucoup le livre. Dès qu’il a eu le scénario, il a été très enthousiaste même si toute l’histoire tourne autour de Gabriel. Il n’avait pas le rôle principal. Le travail avec Jean-Paul a été assez intéressant: il n’y a que cinq acteurs professionnels dans le film - on a trouvé le reste dans la rue. Jean-Paul est assez généreux pour les aider dans les scènes. Il a une technique qui permet à des non-acteurs de travailler avec lui.

C’était important d’avoir des acteurs non-professionnels?

Ce n'’était ni important ni pas important: au Rwanda, il n’y a pas d’industrie du cinéma. Je savais qu’en allant travailler dans ce pays-là, l’intérêt serait de collaborer avec des gens qui ont un vécu, des connaissances de cette histoire. La difficulté est d’arriver à trouver des personnalités qui avaient un charisme suffisant pour raconter cette histoire devant une caméra - ce qui n’est pas évident. On a fait trois mois de casting sur place.

La mère, Yvonne, est un des personnages les plus importants de Petit Pays. On lit sur son visage l’horreur du génocide rwandais.

C’était aussi la force du livre. L’histoire se déroule au Burundi, mais la mère est une réfugiée rwandaise. Elle découvre qu’elle a perdu sa famille. Quand elle revient chez elle, elle est détruite. On a essayé de montrer l’impact sur les gens des événements dramatiques de l’Histoire. Ce ne sont pas uniquement les gens qui meurent et qui souffrent. Ce sont aussi tous les gens qui les entourent, leur famille. Pour raconter ce génocide des Tutsis au Rwanda, on a voulu passer par le corps et les expressions de la mère - et ne pas montrer certaines choses qui sont de toute façon immontrables. Isabelle Kabano, son interprète, a une connaissance très intime de cette histoire. Elle a une vie comme Yvonne. Elle est Rwandaise. Elle a fui le Rwanda avec ses parents au Congo. C’est ce qui a permis d’avoir des scènes aussi fortes avec elle.

D’autres acteurs du film étaient-ils dans ce cas?

Il y a un personnage très émouvant dans le film: Mariana, la grand-mère, qui est jouée par une personne qui s’appelle Tatiana. On a fait des avant-premières en province et souvent les gens me disent: 'la grand-mère, quand elle raconte le génocide, on a l’impression qu’elle le connaît.' C’est exactement ça. C’est une personne qui a vécu des choses indicibles, très douloureuses et qui a perdu beaucoup de gens. Elle arrive à se servir du texte qu’elle a appris pour apporter à l’écran quelque chose de très particulier. On sent qu’il y a une douleur derrière ce qu’elle raconte.

L’autre force de Petit Pays est de mettre en lumière ce qui s’est passé au Burundi. Beaucoup de gens ignorent que la situation y a été aussi dramatique qu’au Rwanda.

C’était le projet de Gaël. Il dit toujours que le génocide des Tutsis au Rwanda, la violence de cette horreur, a complètement occulté l’histoire du Burundi. On a oublié qu’une guerre civile a commencé au Burundi en octobre 1993. Beaucoup de gens ont été tués. Le roman et le film remettent en lumière ce pays qui est un petit peu le pays frère du Rwanda.

Gaël Faye a dit que son premier visionnage du film a été un choc. Il a dû attendre plusieurs jours avant de vous livrer son ressenti.

Je crois qu’il a mesuré la violence de son livre. Un film comme ça réactive des souvenirs en lui. Ce ne sont pas que des souvenirs affreux. C’est difficile de voir son texte reconstruit d’une autre manière à travers le cinéma. Il s’est rappelé aussi la violence qu’il a vécue en permanence au Burundi. Il y est resté jusqu’en 1995, pendant deux ans de guerre civile. On était à Kigali [au Rwanda] pour présenter le film. J’ai rencontré son père qui a vu le film et me disait qu’à l’époque quelqu’un pouvait se faire lyncher dans la rue et personne n’intervenait parce que tout le monde avait peur. Cette violence était omniprésente dans sa vie. Le film l’a confronté à nouveau à cela. Même s’il l’avait déjà décrite dans son roman, c’était sans doute moins frontal. Avec les mots, on construit l’imaginaire, la violence que l’on veut. Au cinéma, c’est très frontal. On ne peut pas y échapper.

Article original publié sur BFMTV.com