Ces personnes grosses aimeraient pouvoir faire du sport sans avoir à subir de grossophobie

On enjoint les personnes grosses à faire du sport mais les lieux, les équipements et les comportements sont parfois tout sauf accueillants.
M_a_y_a / Getty Images On enjoint les personnes grosses à faire du sport mais les lieux, les équipements et les comportements sont parfois tout sauf accueillants.

GROSSOPHOBIE - « On vous observe, et pas de manière bienveillante. » Laurence n’a pas gardé un très bon souvenir de son passage en salle de sport. Elle regrettait l’absence de sens derrière cette pratique sportive, mais était surtout fatiguée, en tant que femme grosse, de « se faire dévisager, voire déshabiller du regard » par les gens autour.

Le HuffPost a parlé à quatre femmes grosses, qui font du sport et ont toutes subi, d’une manière ou d’une autre, la grossophobie des milieux sportifs amateurs. Toutes soulignent une hypocrisie fondamentale : on enjoint les personnes grosses à faire du sport, mais les lieux, les équipements et les comportements sont parfois tout sauf accueillants pour elles.

Des problèmes d’accessibilité des cours et du matériel

La question de l’accessibilité est souvent l’une des premières qui se posent pour les personnes grosses. Car dès le pas de la porte, le message de certaines salles de sport est clair. Pour entrer dans celle que fréquente la « fat activist » Corps Cools, il faut par exemple franchir un tourniquet. « Moi, je passe très juste, explique-t-elle. Ça veut dire qu’une personne plus grosse que moi ne rentrera pas. »

Celle qui a récemment lancé une cartographie collaborative de l’accessibilité des espaces aux personnes grosses avec l’association Fat Friendly complète : « Dans la salle, toutes les machines ne sont pas adaptées au poids des personnes grosses. Et puis, les cours sont rarement adaptés à tous les corps. Il y a très peu de cours, voire aucun cours dans ces salles, qui vont proposer des positions alternatives en fonction des morphologies. »

Ce problème d’accessibilité ne concerne pas que les salles. Après son court passage en salle de sport, Laurence s’est mise à la randonnée à vélo. Mais trouver un deux-roues adapté à sa morphologie était tout un casse-tête. « Je ne suis pas très grande et il fallait que je trouve un vélo de randonnée adapté à mes activités, adapté à mon poids et adapté à ma taille. Rien que ça, c’est une gageure. En tout et pour tout, il y avait un modèle qui convenait », explique-t-elle. Corps Cools, elle, n’a pas trouvé de tapis de course adapté à son poids pour moins de 1 000 euros.

« Quand tu es grosse, c’est un open bar : les gens se permettent des réflexions »

S’ajoutent à ces difficultés le regard des autres et les commentaires malvenus. « Quand tu es grosse, c’est un open bar : les gens se permettent des réflexions », résume Lucie Inland, journaliste, qui a écrit sur le sujet pour Vice. « Ils pensent qu’ils ne vont pas t’insulter parce qu’ils ne te disent pas “grosse vache”, mais ils disent des trucs qui sont à peu près aussi compliqués, surtout avec la répétition. »

Laurence parcourt chaque été plus d’un millier kilomètres à vélo. Une activité lors de laquelle « [son] corps et [son] esprit refont alliance ». Mais au fil de ses expériences, la quadragénaire a souvent rejoué la même interaction avec les gens qui croisaient son chemin. « Systématiquement, c’est le même schéma : on me dit “mais vous allez où comme ça ? Je ne pourrais pas faire ce que vous faites !”, mais c’est toujours suivi de “mais c’est un vélo électrique”. Il se trouve que mon vélo n’est pas électrique. Qu’on me pose la question, pas de problème. Mais c’est le caractère d’affirmation du propos qui me dérange. Je pense vraiment que ça heurte les représentations des gens de me voir à vélo parcourir des kilomètres comme ça. »

Certains commentaires se voulant encourageants peuvent aussi vite tomber dans la condescendance. Sarra a longtemps fréquenté une salle de sport. « Plusieurs fois, je faisais mon truc tranquille et quelqu’un venait me dire “Ah, c’est bien, tu peux y arriver, ça doit être dur”, se souvient-elle. Et en fait, à un moment donné, même si ça part d’un bon sentiment, on n’a pas besoin d’être traité différemment. T’irais pas voir ta pote mince pour lui dire ça. »

« Ça demande du courage de s’en foutre »

Les regards insistants sont aussi cités dans les témoignages. « Il y a toujours des regards », décrit Corps Cools. Sarra, elle, a quitté une salle de sport pour les éviter. « C’était insupportable de toujours se sentir observée », explique celle qui ne fait pas non plus de sport dans la rue pour cette raison.

Des expériences qui viennent nourrir des traumatismes déjà ancrés. « Ce qui est compliqué avec la grossophobie, c’est qu’on a tellement vécu de violences, de regards, qu’on est un peu tout le temps sur le qui-vive, explique Corps Cools. On vit avec ce sentiment de petite angoisse sur la façon dont on va être traité par les autres. »

Les salles de sport, en particulier, sont souvent des lieux de performance, de comparaison, de compétition. Des endroits « où on va être regardé, moqué, parfois humilié, résume la militante. On peut faire le choix de s’en foutre, mais c’est important pour moi de rappeler que ça demande toujours un peu de courage de s’en foutre. Et que des fois, on a juste la flemme d’être courageux. »

Ces regards sont aussi le symptôme d’un manque de représentation des personnes grosses dans l’univers du sport et de l’activité physique et de clichés grossophobes qui perdurent. « La personne grosse dans les représentations, c’est quelqu’un qui se néglige, qui ne bouge pas. C’est le côté oisif. Ça ne colle pas du tout avec la notion d’effort physique », résume Florence.

Le sport comme source de bien-être

Et ça ne colle pas non plus avec l’importance souvent donnée à la minceur dans ces environnements. « C’est très difficile aujourd’hui de voir l’activité physique juste comme un moyen de prendre du plaisir et gagner en santé et que ce soit émancipé de l’idée de perte de poids », explique Corps Cools.

Malgré tout, les personnes interrogées ont réussi à se détacher de ces injonctions pour faire du sport une source d’équilibre et de bien-être, à la fois physique et mental. Lucie Inland s’est mise au sport pour « canaliser son anxiété et arrêter d’avoir mal au dos ». Elle dit avoir trouvé dans sa salle de sport un environnement respectueux dans lequel elle se sent en confiance.

Quant à Florence, à travers ses randonnées à vélo, elle a trouvé un sport « qui a du sens » et qui lui a aussi permis de belles rencontres. Dont une, en particulier : « J’ai eu une expérience vraiment choupinette, j’ai croisé une maman avec sa petite fille, et elles étaient toutes les deux grosses. Et le regard de la petite, j’en suis encore émue, parce que c’était top. Elle, ce que je lui renvoyais, c’était que ce que je faisais était possible. »

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