"On perd jusqu'à 66 jours de pratique": face au réchauffement climatique, le foot doit changer son modèle

Est-ce que nous sommes sur un "Euro écolo"?

C'est ce qu'annonce l'UEFA. En 2021, la compétition était étalée sur plusieurs pays. Là, nous sommes sur un seul pays qui est très développé, avec beaucoup de transports en commun, avec des stades déjà construits. Donc effectivement c'est logique que la facture CO2 soit moins importante. Ils annoncent 280.000 tonnes de CO2 alors que la Coupe du monde au Qatar, par exemple, c'était 3,6 millions de tonnes de CO2. Et encore, ce chiffre est sous-estimé selon plusieurs ONG. On est revenu un peu à la normale même si nous ne sommes pas encore sur un événement neutre en carbone. Nous sommes dans un pays qui a l’habitude de gérer des grands événements, donc c’est beaucoup plus simple.

De nombreux supporters mettent en avant les aides pour se déplacer en Allemagne, c’est une bonne idée?

Bien sûr, c’est comme ça qu’on y arrivera. Il y a de nombreux événements qui commencent à réaliser des remises ou à offrir certains cadeaux pour essayer de motiver les spectateurs à venir en transport doux, c’est ce que fait cet Euro 2024. L’organisation prévoit des prix réduits sur certains billets et sur les trains longues distances, c’est attractif par exemple pour les supporters français. C’est une excellente solution, il faut que tout le monde joue le jeu, c'est à dire qu’on ne peut pas dire aux spectateurs de venir en transport en commun et à la fin de les laisser sans aide. Là, on essaie de les motiver, on essaie de les aider et ça permet peut-être de compenser aussi le prix du train qui est parfois plus cher que celui du prix d'avion.

Nous sommes dans un pays en avance sur la France pour ces questions?

Je ne suis pas certain que l'Allemagne soit vraiment plus développée sur les questions écologiques. L'Allemagne, par exemple, a une énergie qui n'est pas totalement décarbonée, contrairement à la France. Mais, en revanche, l'Allemagne est structurée et je me demande si ce n’est pas l’essentiel pour des compétitions internationales. C’est facile de dire ça d’un point de vue d’Européen mais il faut éviter, à l’échelle mondiale, de toujours plus consommer, toujours plus construire et de réserver ces gros événements aux pays qui ont déjà les infrastructures. C’est injuste pour les pays qui sont en voie de développement, mais d’un point de vue globale on a besoin de retrouver un peu de raison. Et cette sobriété attendra lorsqu’on voit les futurs pays hôtes des compétitions internationales comme l’Arabie saoudite en 2034. On peut aussi voir l’exemple du Qatar, qui veut absolument accueillir une prochaine compétition mondiale de rugby parce qu’elle ne sait plus quoi faire de ses stades qu'elle a construit pour la Coupe du monde 2022. Il y a un vrai souci d'héritage autour de ces infrastructures. Construire pour construire, on ne peut plus se le permettre.

Quand les fédérations ont une mauvaise conscience, les instances créent des fonds de soutien. Est-ce que ça sert vraiment?

Pour moi, la compensation n'est valable que s'il y a un effort de réduction qui est adossé à cette décision. C'est à dire que si on émet 100 et qu'on compense 100 sans chercher à réduire, là c'est ce qu'on appelle du greenwashing. L’UEFA essaye de développer des projets avec les clubs amateurs allemands autour de l’environnement, c’est utile uniquement si l’UEFA a tout fait pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre. Mais les exemples sont assez concrets sur cet Euro 2024 comme les zones pour les équipes pendant la phase de groupes ce qui évite des déplacements dans tous les sens en avion. La Coupe du monde de rugby en 2023 avait tenté de faire un peu la même chose. Quand c'est pensé comme ça, quand on optimise les déplacements, c'est une bonne chose. La mobilité représente les 3/4 de l'empreinte carbone d'un événement sportif. Quand je parle des déplacements, ce sont les déplacements d'un supporter mais aussi des équipes. Finalement, nous n’apprenons pas tellement de nos leçons, sur cette édition les efforts sont présents et puis en 2030 vous avez la Coupe du monde éclatée dans plusieurs pays.

On parle beaucoup de la FIFA et de l’UEFA sur ces questions. Mais est-ce que les clubs prennent conscience de l’enjeu?

Un club comme l’Olympique Lyonnais fait beaucoup de choses et c’est un club très vertueux dans plusieurs domaines. Mais c’est un club de football, pas une ONG environnementale. Il y a toujours des sponsors qui sont contraires à la stratégie. Surtout pour la FIFA, qui n’est pas du tout intéressée par ces questions. Le problème, c'est qu'avec le changement climatique, nous allons avoir de plus en plus de journées très chaudes et donc des jours de compétitions qui vont peut-être se raccourcir. Dans un monde à +4°C par exemple, on perd jusqu'à 66 jours de pratique. Déjà qu'en juillet-août, c'est un peu compliqué de pratiquer du sport. Alors quand nous évoquons 66 jours de pratique, ça veut dire 66 jours au-dessus de 32°C, moment où la pratique du sport est déconseillée. Donc il faut s’imaginer que juin et septembre seront deux mois compliqués pour pratiquer du sport et pour organiser des compétitions internationales. C'est moins de compétition, moins de matchs, moins de créneaux pour les faire, donc moins d'argent. Il faut réussir à changer le modèle. Aujourd'hui, nous ne sommes pas du tout dans cette optique du côté des grosses instances. Et ce discours est un peu plus atténué avec les clubs, qui réalisent de nombreuses actions dans les territoires. Des clubs professionnels comme amateurs. Aujourd'hui, nous avons peut-être besoin de plus légiférer sur ce qui se passe dans le monde du football et du sport en général. Je ne suis pas forcément pour la contrainte, mais quelquefois c'est ce qui permet d'activer le changement un peu plus rapidement.

Article original publié sur RMC Sport