En patrouille avec les militaires de Barkhane au Mali

TERRORISME - L’armée française est encore bien présente au Mali. C’est le message que martèlent les militaires de la base de Gao, après la rétrocession aux Forces armées maliennes (FAMa) des trois bases au Nord du pays, Tessalit, Kidal et Tombouctou.

Alors qu’Emmanuel Macron s’apprête à présenter ses voeux aux armées mercredi 19 janvier en Alsace, dans le camp d’Oberhoffen, une base de l’armée de Terre près d’Haguenau (Haut-Rhin), le sujet de la présence française au Sahel risque fort d’être évoqué.

Sur place, neuf ans pile après l’engagement de la France aux côtés du Mali pour combattre les groupes armés terroristes (GAT), ces derniers sont encore actifs et nuisent à la stabilité du pays. La population oscille entre peur du départ des troupes armées françaises et lassitude de voir que les problèmes sécuritaires sont toujours là.

À Gao, où Le HuffPost s’est rendu mi-décembre, une patrouille de militaires sort quotidiennement de la base, pour aller “au contact” de la population. Mercredi 15 décembre, c’était le 3e Régiment d’infanterie de la marine (RIMa) de Vannes qui se préparait à partir. Embarqués dans un Griffon, nouveau véhicule blindé de l’armée française, nous les avons suivi (voir la vidéo ci-dessus*).

Au total, la patrouille est composée de cinq véhicules, comptant également des VAB (véhicule de l’avant blindé), prédécesseur des Griffons. Plus de 35 hommes, tous armés et équipés de gilets pare-balle et de casques, participent à cette virée. Destination: les alentours de Gao, dans un périmètre de 30 km.

Objectif: “renseigner” et “rassurer”

L’objectif de la patrouille est à la fois de “renseigner” et de récolter des informations utiles à la lutte contre les terroristes, mais aussi de “rassurer” la population et montrer la présence de l’armée française.

“Quand on s’enferme dans sa base, on ferme les écoutilles et on n’entend plus rien, souligne au HuffPost le Colonel Faivre, chef de corps du Groupement tactique désert (GTD) Korrigan. Il est important d’aller à l’extérieur, au contact de la population. Parce qu’il faut prendre le pouls. C’est un vecteur d’informations.”

La progression des blindés est lente. Les routes ne sont pas goudronnées, le sable rouge du Sahel est propice aux enlisements, aux pneus crevés et pannes en tout genre. Et l’itinéraire suivi par les militaires est calculé grâce au système d’information de combat Scorpion. À l’avant, le génie ouvre la voie.

Les IED, une menace “latente”

Car selon les militaires, la menace terroriste est “latente”. Elle se manifeste principalement sous la forme d’IED (engins explosifs improvisés), que les militaires peuvent croiser sur leur route à chaque instant. Les nouveaux blindés, les Griffons, offrent une meilleure protection et sont rehaussés, pour mieux “absorber” d’éventuelles déflagrations.

Lors de ces patrouilles, les militaires sont à l’affût du moindre “signal faible”, révélateur de problèmes de sécurité. “Ce qui est important, c’est de savoir s’il y a un comportement qui a changé, développe le colonel Faivre. Un village où l’on passe tous les jours et où l’on voit les enfants jouer et puis un jour, les enfants ne jouent plus. Un jour où le marché est fermé. Et là on se dit: ok, il se passe quelque chose.”

Comme vous pouvez le voir dans la vidéo en tête d’article, les militaires français sillonnent les villages et vont à la rencontre des habitants. Dans les villages au Nord de Gao, le Lieutenant Geoffroy, chef de section du groupement tactique désert Korrigan, est à la recherche de responsables à qui parler.

“On parle d’abord au chef”

″Ça se passe comme ça ici, ils préfèrent qu’on parle d’abord au chef,” explique-t-il. Et quand le chef est absent, des représentants peuvent être présents. Même au milieu des habitations, les militaires ne marchent pas directement sur la piste tracée au milieu du sable.

“On marche plutôt à côté, à un mètre”, montre-t-il avant de pondérer: “Ils ne mettent pas non plus des IED sur toutes les pistes. Leur but n’est d’effrayer la population civile. S’ils commencent à tuer tout le monde dans le village, ça marchera pas...”

“Les terroristes ne mettent pas non plus des IED sur toutes les pistes. Leur but n’est d’effrayer la population civile. S’ils commencent à tuer tout le monde dans le village, ça marchera pas...”Lieutenant Geoffroy

Après plusieurs tentatives infructueuses, le lieutenant finit par trouver un “représentant” qui maîtrise le français. Dans les campements nomades et les plus grands villages croisés, les habitants ne font ce jour-là pas mention de problèmes de sécurité. Ils se plaignent du manque de pluie, cette année, qui a nui aux récoltes de riz.

D’après la Banque Mondiale, l’économie malienne est entrée en récession en 2020, avec un PIB réel estimé à -1,6%, “traduisant les effets adverses de la pandémie et de la crise sociopolitique ainsi que la faible performance agricole.” Le taux d’extrême pauvreté avoisine les 50%.

Si une partie des Maliens est francophone, le pays compte de nombreuses langues et dialectes. Entre les militaires et les Maliens, la barrière de la langue existe. “On essaye de discuter avec des gestes, de leur montrer des images, on a un lexique aussi, explique le sergent Louis-Marie, 25 ans. Mais on n’a pas toujours ce qu’on veut comme réponse. On croise les informations de différentes personnes et ça donne une information un peu fiable” sourit-il.

“La population n’est pas hostile à Barkhane”

Selon les militaires, la population malienne serait plutôt favorable à Barkhane. “On a souvent des gens qui nous applaudissent et qui nous font des grands gestes de remerciement, témoigne le sergent Louis-Marie. C’est agréable, quand on est en convoi, de voir ça. On se sent utiles.”

Alors qu’un sentiment anti-français se développe au Mali et plus largement au Sahel, où la population ne voit pas la fin de la guerre malgré la présence des forces étrangères, à Gao les militaires interrogés n’en font pas mention. Pour eux, la manifestation qui a fait trois morts à Tera, au Niger fin novembre, n’aurait “pas créé de précédent.”

Malgré les tensions diplomatiques persistantes entre le gouvernement français et la junte militaire malienne -exacerbées par le déploiement probable de mercenaires du groupe paramilitaire russe Wagner- sur le plan militaire, les relations sont “excellentes”, soutient l’armée.

La France et les Européens ne resteront pas au Mali “à n’importe quel prix”, a rappelé le chef de la diplomatie française Jean-Yves Le Drian le 14 janvier. Pour ses derniers voeux au monde militaire du quinquennat, moins de trois mois avant la présidentielle, le chef de l’État, qui avait annulé sa visite à Gao fin décembre, pourrait évoquer la transformation de Barkhane.

* Nous avons masqué le visage des Maliens croisés durant la patrouille pour des raisons de sécurité.

Cet article fait partie d’une série de reportages au cœur de l’opération Barkhane sur la base militaire de Gao, au Mali, réalisée à l’occasion d’un voyage de presse financé en partie par le Service d’information et de relations publiques de l’armée de terre (SIRPA Terre) et la cellule communication de l’état-major des armées (EMA/COM). Cependant, aucun droit de regard n’a été exercé sur les images, aucune relecture des articles avant publication.

À voir également sur Le HuffPost: Au Mali, les militaires s’apprêtent à fêter Noël, un moment sensible

Cet article a été initialement publié sur Le HuffPost et a été actualisé.

LIRE AUSSI: