Parler de « réarmement démographique » est « extrêmement inquiétant » selon cette historienne

« Si on fonde un projet social sur la reproduction, il ya forcément le risque d’instrumentaliser le corps des personnes qui peuvent enfanter » explique Marine Rouch, historienne
LUDOVIC MARIN / AFP « Si on fonde un projet social sur la reproduction, il ya forcément le risque d’instrumentaliser le corps des personnes qui peuvent enfanter » explique Marine Rouch, historienne

POLITIQUE - Un projet qui a des airs de dystopie. En parlant de fertilité et de « réarmement démographique » lors de sa conférence de presse ce mardi 16 janvier, Emmanuel Macron a assumé sa volonté d’une politique nataliste en France, alors que le nombre de naissances a encore chuté en 2023.

Ce recours assumé à un champ lexical guerrier a suscité de nombreuses inquiétudes - notamment sur le droit des femmes à disposer de leur corps. « Ce discours nataliste semble valider les théories dangereuses des mouvements anti-avortement » a souligné la Fondation des Femmes dans un communiqué de presse.

Le HuffPost a posé trois questions à l’historienne Marine Rouch, enseignante à l’université Toulouse Jean Jaurès, pour analyser ce à quoi ce terme fait écho.

Le HuffPost : À quoi renvoie historiquement le terme « réarmement démographique » ?

Marine Rouch : En premier lieu, c’est une rhétorique nataliste. Ce phénomène est ancré dans le temps long : déjà à l’époque de la IIIe République, il y avait cette idée que les individus « doivent » des bébés à l’État pour participer à l’effort collectif. Historiquement, c’est quelque chose qu’on retrouve dans les mouvements conservateurs - de droite comme de gauche - et qui a été largement dénoncé par les progressistes.

Je n’ai pas connaissance d’un autre usage, dans l’histoire, des mots « réarmement démographique ». Mais simplement faire référence au réarmement, c’est utiliser un champ lexical très viriliste, guerrier et violent. Quand je l’ai entendu, j’y ai immédiatement vu un écho à la période de la fin du XIXe siècle et du début du XXe : une période de développement conjoint du capitalisme et du nationalisme, où sont apparus les termes de « chair à canon » et de « chair à usine », pour parler de personnes qui n’avaient pas de droits, si ce n’est de produire quelque chose pour la nation.

Aujourd’hui, que traduit l’utilisation d’un tel terme de la part d’Emmanuel Macron ?

S’inscrire dans cette lignée, c’est tenir un discours très conservateur. L’usage de cette expression rejoint un discours gouvernemental qui met l’accent sur le travail, l’apologie de la productivité... Elle donne une ligne claire : pour répondre à la crise économique et à la crise démographique, il faut se reproduire. C’est un cadre très patriarcal et hétéronormé, duquel découlent plusieurs problèmes.

Si on fonde un projet social sur la reproduction, il y a forcément le risque d’instrumentaliser le corps des personnes qui peuvent enfanter. Ce fut le cas en 1920, au moment de la criminalisation des publicités sur la contraception et de la répression de l’avortement.

Sans que ce soit explicite, ces termes renforcent un projet de société dans laquelle la vie doit suivre un ordre linéaire : le couple, le mariage, la grossesse. Il y a alors le risque que toutes les personnes qui ne se reconnaissent pas dans ce modèle, notamment les personnes LGBT, soient encore plus invisibilisées et précarisées.

Où se situe cette rhétorique sur l’échiquier politique ?

Les politiques natalistes ne sont pas l’apanage de l’extrême droite et ont historiquement été également tenues par la frange conservatrice de la gauche de l’échiquier politique. Toutefois, dans ce discours, il y a aussi l’idée de faire « barrage à l’immigration », et l’affichage d’un choix clair : faire des futurs travailleurs plutôt que d’accueillir des travailleurs immigrés comme cela a été le cas pendant les 30 glorieuses, par exemple.

Il y a un autre problème qui semble important. À une période ou des associations, des chercheurs et chercheuses n’arrêtent pas d’appeler à transformer nos pratiques, choisir de s’inscrire dans la lignée de la rhétorique capitaliste et nationaliste du XIXe siècle, c’est nier toutes les crises sociales et écologiques que nous vivons. De nombreux chercheurs et chercheuses ont écrit sur les tendances d’Emmanuel Macron à « flirter avec l’extrême droite », aujourd’hui, c’est quelque chose d’absolument décomplexé. Un terme comme « réarmement démographique », c’est un signal extrêmement inquiétant, et qui appelle à la vigilance quant aux évolutions politiques à venir.
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