Paris: dix personnes jugées pour complicité après la mort de deux escorts-girls en 2016

C'est au 42 rue Fondary, dans le XVe arrondissement de Paris, que le drame s'est produit.  - Capture Google Street View
C'est au 42 rue Fondary, dans le XVe arrondissement de Paris, que le drame s'est produit. - Capture Google Street View

C'est un "dossier à tiroirs" vieux de six ans. Après l'incendie d'un appartement dans le 15e arrondissement de Paris en 2016, qui a coûté la vie d'une femme, dix personnes comparaissent devant la cour d'assises de Paris à partir de ce lundi, accusées de "recel de cadavre" ou de "non-dénonciation de crime", selon leur niveau d'implication.

Car derrière ce fait divers, les enquêteurs ont fini par aboutir, au fil des preuves et des témoignages, à la sombre histoire du meurtre d'une prostituée que l'on a tenté de dissimuler.

Un homme aperçu en train de fuir, bras et jambes brûlés

Le 3 août 2016, en fin de journée, des flammes s'échappent du troisième étage d'un immeuble du XVe arrondissement de Paris. Un incendie s'est déclaré au 42, rue Fondary, où les pompiers, sous les regards de la foule, ne tardent pas à intervenir.

Sur le palier du troisième étage, ces derniers découvrent un corps calciné. Au niveau de l'abdomen, deux lettres tatouées: "MP" pour Maria Paz, le nom de la victime, une escort-girl d'origine espagnole gérant elle-même un réseau de prostituées venant d'Espagne ou d'Amérique du Sud.

Le même jour, un voisin, dont les propos ont été confirmés par deux autres témoins, rapporte aux enquêteurs avoir vu un homme aux avant-bras et aux jambes brûlés sortir de l'immeuble et prendre la fuite, juste après l'explosion.

Sur la dernière image de lui dont les enquêteurs disposent, captée quelques minutes après l'explosion par des caméras de vidéosurveillance, on voit en effet l'individu franchir les portiques du métro La Motte-Piquet Grenelle.

Mourad B., premier suspect dans le viseur des enquêteurs

Les enquêteurs finissent par retrouver sa trace. L'homme en question s'appelle Mourad B.. Âgé de 24 ans à l'époque des faits, il est notamment connu des services de police pour l'incendie volontaire d'une école située à Malakoff, en banlieue parisienne, six ans plus tôt.

Trois semaines plus tard, il finit par être arrêté dans un hôtel du 17e arrondissement de Paris. D'après le témoignage d'un employé de l'établissement, Mourad B. n'a pas quitté sa chambre depuis son arrivée. Parmi ses visiteurs, un infirmier qui venait soigner ses brûlures sera jugé à partir de ce lundi aux côtés des autres accusés. Lui comparaît pour "exercice illégal de la médecine".

D'autres preuves de l'implication de Mourad B. sont ensuite mises en évidence. Les caméras de vidéosurveillance d'un commerce de la rue Fondary le montrent en train de transporter un bidon à l'intérieur de l'immeuble à 18h01 le 3 août. Douze minutes plus tard, les vitres volent en éclat, soufflées par l'explosion.

Un "bon plan" qui dégénère

Malgré ces éléments qui convergent vers Mourad B., reste encore la question du motif de cet incendie criminel. C'est précisément là que des zones d'ombre persistent. Mais en remontant petit à petit le fil des événements et en auditionnant plusieurs délinquants impliqués de près ou de loin, les enquêteurs retracent les contours d'une affaire sordide.

Kamel Z., qui fait partie des dix personnes jugées, raconte notamment aux policiers avoir été contacté, la veille de l'incendie, par Moncef D., un autre accusé. Ce dernier lui parle d'un "bon plan" dans le 15e arrondissement de Paris: une de ses connaissances - il parle de Maria Paz - souhaite "faire disparaître" une escort-girl de son réseau. Il propose à Kamel Z. de se joindre à lui pour accompagner la femme en question jusqu'au métro, lui demander de partir et faire croire à la proxénète qu'elle est bien morte.

Mais le "bon plan" s'avère finalement beaucoup plus complexe. Lorsque Maria Paz leur ouvre la porte de l'appartement de la rue Fondary, elle est "couverte de sang", raconte Kamel Z.. Il ajoute apercevoir, dans le fond, la forme d'un corps sous un drap.

Le corps d'une autre prostituée retrouvé dans une cave

Maria Paz venait d'avoir une altercation avec Alixon O., alias "Karen la Colombienne", l'une des filles de son réseau, rapporte un autre témoin. Arrivée en France quelques semaines plus tôt, Alixon O. se plaignait de ne pas être assez payée, et avait, selon la même source, menacé son employeuse de la dénoncer à la police.

Quelques mois plus tard, après avoir placé sur écoute un proche de Mourad B., les enquêteurs finiront par retrouver le corps en décomposition d'Alixon O. dans une cave du 17e arrondissement, enveloppé d'un drap blanc. La jeune femme est morte après avoir été blessée à de multiples reprises par arme blanche. Comme un symbole d'une vie enlevée prématurément, un ours en peluche repose entre ses bras.

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Cette fameuse dispute aurait-elle amené Maria Paz à passer à l'acte? C'est en tous cas ce qu'affirment les principaux accusés. Selon leur récit, elle les recontacte, d'abord pour qu'ils fassent disparaître le corps, puis pour leur demander de trouver un moyen pour faire disparaître les traces de sang laissées par le crime dans l'appartement rue Fondary, loué sur Airbnb.

Mais les tâches sont coriaces. Une solution pour en venir à bout: mettre le feu au logement. C'est Mourad B. qui s'y collera. Mais en déclenchant l'incendie, il finit grièvement brûlé. Maria Paz, elle, meurt dans l'explosion.

Un procès pour "comprendre"

Maria Paz aurait-elle comparu en tant qu'accusée principale, si elle n'était pas morte dans l'incendie ce 3 août 2016? Contactée par BFMTV.com, Me Beryl Brown, qui représente le père et la soeur de la jeune femme, parties civiles au procès, dit en tous cas vouloir "défendre [sa] mémoire".

"Pour moi, elle reste une victime. C'est mon rôle de défendre son statut", déclare-t-elle.

Selon l'avocate, l'une des expertises pratiquées durant l'instruction pourrait par ailleurs remettre en question la conclusion selon laquelle la mort de l'escort-girl n'est due qu'à l'explosion: un rapport émettrait l'hypothèse selon laquelle elle aurait elle-même pu être tuée avant l'explosion par arme blanche.

Accusation ou défense?

La famille de Maria Paz attend donc beaucoup des auditions des experts à la barre. "Peut-être que le procès permettra de tirer des fils pour comprendre ce qu'il s'est véritablement passé", espère Me Beryl Brown.

Alors qu'elle représente des parties civiles dans le dossier, l'avocate dit se préparer à devoir défendre la défunte lors du procès.

"Si la thèse de la partie adverse est d'affirmer que Maria Paz a tué Alixon, il n'est pas impossible que je doive jouer le rôle de la défense", souligne-t-elle.

Contactée, la défense de Mourad B., principal accusé, n'a pas donné suite à nos demandes d'interview. Le procès se tiendra jusqu'au 3 juin, date à laquelle les dix accusés devraient être fixés sur leur sort.

Article original publié sur BFMTV.com