Parentalité : « Personne n’ose dire qu’il a crié sur ses enfants »

 « Voir ses enfants avoir les larmes aux yeux parce qu’on crie, ça peut être difficile. Mais parfois, on se sent aussi un peu obligé de le faire », raconte Alexandre.
Westend61 / Getty Images/Westend61 « Voir ses enfants avoir les larmes aux yeux parce qu’on crie, ça peut être difficile. Mais parfois, on se sent aussi un peu obligé de le faire », raconte Alexandre.

PARENTALITÉ - « Crier sur les enfants peut être aussi dommageable que les violences physiques et sexuelles, selon une étude ». Ce titre d’un article du Guardian, publié ce lundi 2 octobre, a beaucoup circulé dans les jours qui ont suivi sa publication. Derrière la formule un poil provoc ? Une étude qui souligne l’impact des violences verbales sur le développement des enfants.

Et malgré le titre du quotidien anglais qui résume ces violences au fait de « crier », l’enquête relayée offre un tableau plus complexe et inclut dans sa définition les hurlements, les dénigrements et les menaces. « Les adultes n’ont souvent pas conscience de l’impact négatif de leur ton ou de mots critiques comme “stupide” ou “fainéant” peut avoir sur les enfants », a expliqué l’un des auteurs de l’étude au Guardian.

Mais si ce titre a suscité autant de conversations, c’est parce qu’il touche à une réalité de la parentalité parfois difficile à admettre. Même armés des meilleures intentions, il arrive que les parents crient et cela peut créer beaucoup de culpabilité, dans un contexte où les injonctions éducatives sont fortes.

C’est ce que décrit Lucie, mère trentenaire interrogée par Le HuffPost. « Parfois, je parle avec d’autres parents et personne n’ose dire qu’il a crié sur ses enfants ou que des choses se passent mal, raconte-t-elle. Il faut être calme en toutes circonstances, ne jamais s’énerver, être toujours bienveillant et à l’écoute… Mais il y a des moments où je suis fatiguée, où je n’en peux plus et ça fait partie de la vie aussi. »

Cette dissonance entre les discours sur l’éducation idéale et la réalité des parents est le lieu de questionnements, voire de tabous. Entre principes éducatifs et contraintes de la réalité, quatre parents ont confié au HuffPost dans quels contextes il pouvait leur arriver de lever la voix sur leurs enfants, leurs difficultés dans ces moments, et leur ambivalence.

« On atteint un tel niveau de fatigue qu’on ne sait plus quoi faire »

Maud*, la trentaine, est mère d’un enfant de trois ans. Jusqu’à ce que son fils entre dans sa « période d’opposition », les décibels n’étaient pas vraiment une question pour elle. « En tant qu’adulte, on est plus enclin à écouter quand on nous parle gentiment, donc je me suis dit que je transposerais ce principe à l’éducation de mon fils, raconte-t-elle. Mais quand il a commencé à dire “non” à tout et à repousser les limites sans cesse, ma patience a été mise à l’épreuve et il est arrivé que, sous pression, je ne puisse pas m’empêcher de crier. »

La fatigue et le stress sont souvent cités comme facteurs qui amènent les parents à hausser le ton. Stéphanie, mère de deux enfants, le raconte. « Avec des jumeaux, l’intensité peut aller loin. Quand on est très fatigués, ils ne comprennent pas notre état et peuvent avoir tendance à pousser, alors il nous arrive de crier. Souvent, cela se produit au moment des devoirs. « On sait bien que ce n’est pas la faute des enfants, mais les devoirs, c’est une horreur. Ça nous met sous pression et parfois, la pression met en colère. »

Pour Lucie, dont la fille a aujourd’hui trois ans, les cris ont pu être symptomatiques d’un épuisement très fort. « Parfois, on atteint un tel niveau de manque de sommeil qu’on ne sait plus quoi faire. Quand ma fille avait un peu plus d’un an, qu’elle refusait de dormir alors que je passais des heures à tout essayer, au bout d’un moment, je n’en pouvais plus. Ça m’est arrivé de hausser le ton, de dire “Je ne comprends pas ce que tu veux, je n’en peux plus”. Mais ça n’aide pas forcément d’extérioriser, ça peut même avoir l’effet inverse. »

Au cours de chaque interview, le travail est cité comme ayant une influence très forte sur l’état parental. Alexandre, 47 ans, se souvient : « Quand la situation au boulot était très tendue et consommait beaucoup de mon énergie, j’ai senti que le cri pouvait arriver plus vite alors qu’à la maison, nous sommes plutôt calmes. » Père de deux fils de douze et quinze ans, il tente de s’adapter. « Avant de passer la porte de chez moi, je prenais deux grandes respirations pour faire l’effort de mettre de côté ce qui s’était passé dans la journée avant de rentrer. »

Entre pédagogie et culpabilité

Tous les parents interrogés, qui précisent à plusieurs reprises que les moments où ils lèvent la voix sur leurs enfants sont rares, soulignent un équilibre parfois précaire entre pédagogie et culpabilité.

Pour Stéphanie, qui a essayé l’éducation positive « pendant cinq jours », le cri reste un outil d’éducation - à utiliser avec parcimonie. « D’abord, je leur explique la situation, je pose des limites. S’ils ne se calment pas, ce qui est rare, je peux crier. L’important, c’est le contexte : quand les limites ont été dépassées, il faut qu’ils le sachent. De temps en temps, ça remet les choses en perspective », souligne la mère de 37 ans.

Dans ce type de situation, Alexandre témoigne d’une forte culpabilité. « Voir ses enfants avoir les larmes aux yeux parce qu’on crie, ça peut être difficile. On a l’impression de se faire mal les uns aux autres, mais parfois, on se sent aussi un peu obligé de le faire. » Il raconte comment ses fils adolescents peuvent se montrer plus à l’écoute quand sa femme ou lui haussent le ton.

Un sentiment partagé par Maud, qui parle du besoin de « débriefer avec soi-même » une fois la tension passée. « Le plus important, c’est de pouvoir se dire que si c’est arrivé, c’est que c’était difficile de faire autrement, que j’étais seule avec mon fils et que je ne pouvais pas passer le relais. »

En parler, et ouvrir des espaces de dialogues

Après avoir crié sur leurs enfants, les parents interrogés tiennent souvent à en parler à tête reposée avec eux. Alexandre explique : « Ça nous est arrivé d’en reparler après coup. On leur a expliqué que la période était tendue pour nous, qu’on avait tendance à un peu moins bien gérer mais qu’on ne s’excusait pas du fond, seulement de la forme. » Même son de cloche pour Stéphanie : « Quand on a eu une journée compliquée, on leur explique. » Pour Lucie et Maud, dont les enfants sont plus jeunes, la conversation sert surtout à expliquer l’énervement et à revenir sur la situation vécue ensemble.

Alexandre raconte que, chez lui, créer des espaces de dialogue après avoir haussé le ton a pu permettre des échanges plus positifs. « Quand ils ont su que je vivais une période difficile, j’ai senti qu’ils l’avaient pris en compte : ils faisaient plus attention, ils me demandaient comment mes journées se passaient. » Il souligne également, comme tous les parents interrogés, que les mots utilisés ont une importance capitale. « Il y a une question de fréquence, mais aussi des choses qu’on dit. Quand je hausse le ton, je fais très attention à ne pas les blesser. »

Lucie, quant à elle, tient à relativiser la gravité du cri. « Je me rends bien compte que ma fille m’imite et que si je crie, elle crie, ce qui n’est pas très utile. Mais même si je n’ai pas envie que ça devienne son mode d’expression privilégié, le cri fait partie de la vie, explique la trentenaire. Je ne me dis pas que ça va avoir des conséquences neurologiques à vie sur elle. » Surtout, elle tient à garder la possibilité d’avoir des relations spontanées avec sa fille. « Je ne peux pas être dans le calcul et le contrôle permanent. Je sais qu’elle n’a pas toutes les clefs pour décoder mon état et j’y fais attention, mais avoir conscience que les réactions des autres ne sont pas toujours lisses, ça fait aussi partie de l’apprentissage. »

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