Parentalité : comment élever des garçons qui n’auront pas peur d’être vulnérables ?

L’émotion de Jason Kelce lorsqu’il a annoncé sa retraite de la ligue américaine de football américain, le 4 mars à Philadelphie.
Tim Nwachukwu / Getty Images L’émotion de Jason Kelce lorsqu’il a annoncé sa retraite de la ligue américaine de football américain, le 4 mars à Philadelphie.

Quand le joueur de football américain Jason Kelce, de l’équipe des Philadelphia Eagles, a annoncé sa retraite lundi 4 mars, lui et son frère Travis Kelce - joueur des Kansas City Chiefs mais aussi mondialement connu pour être le petit ami de Taylor Swift - ont fondu en larmes à plusieurs moments de la conférence de presse. Leur démonstration sincère d’émotions a généré de nombreuses conversations sur la masculinité. Comme l’a résumé un tweet devenu viral : « Ce qu’Ed et Donna [Kelce] ont fait pour aider leurs fils à laisser transparaître leurs émotions doit être étudié ».

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Exposer aux autres ses émotions est considéré par beaucoup comme quelque chose de négatif, en particulier pour les hommes et les garçons. Dans une enquête réalisée en 2018 par l’ONG Plan International USA, un tiers des jeunes hommes interrogé ont déclaré qu’ils pensaient que la société attendait d’eux qu’ils cachent leurs sentiments lorsqu’ils étaient tristes ou effrayés. Un autre tiers a déclaré qu’ils pensaient que la société attendait d’eux qu’ils soient durs et qu’ils « fassent la gueule » lorsqu’ils étaient confrontés à des événements ou à des émotions difficiles.

[Note : Cet article est une traduction réalisée par la rédaction du HuffPost France, à partir d’un article paru en 2023 sur le Huffington Post américain. L’article original à lire ici. Il a été traduit et édité dans un souci de compréhension pour un lectorat francophone.]

Ces normes masculines restrictives peuvent nuire considérablement aux garçons et les obliger à renier certaines parties d’eux-mêmes, explique Emma Brown, journaliste d’investigation au Washington Post et mère de deux enfants, qui a signé un livre sur le sujet. La société attend depuis longtemps des garçons qu’ils « enterrent les parties d’eux-mêmes qui ont trait aux sentiments, aux émotions et à la connexion », déplore-t-elle.

Face à cela, il ne revient pas uniquement aux parents de changer les choses : les institutions jouent également un rôle crucial. Mais les parents de jeunes garçons peuvent aussi adopter, chez eux, des mesures simples qui aident à ce que leur fils ne soit pas en retrait face à leurs émotions.

Travis Kelve pleurant à chaudes larmes lors de la conférence de presse où son frère annonce sa retraite du football américain, le 4 mars dernier.
Tim Nwachukwu / Getty Images Travis Kelve pleurant à chaudes larmes lors de la conférence de presse où son frère annonce sa retraite du football américain, le 4 mars dernier.

Réservez des moments pour des discussions profondes

Selon Emma Brown, l’une des choses les plus importantes que les parents puissent faire pour leurs fils, en particulier lorsque les enfants grandissent, est de « créer intentionnellement de l’espace » pour des discussions profonde et de qualité avec leurs enfants.

Lors de la rédaction de son livre, elle a passé du temps avec un père et son fils de 8 ans, et explique avoir été frappée par la « chaleur et l’ouverture » de leur relation. Le père « a créé un espace pour cela » en prévoyant un moment régulier pour que tous deux promènent le chien autour de chez eux, a expliqué Mme Brown. Le garçon savait qu’il avait, au moins pendant ce moment régulier, la possibilité d’évoquer ce qui le préoccupait sur le plan émotionnel. « Ces promenades sont devenues un point d’ancrage pour parler de tout ce qui préoccupait son fils », explique Mme Brown.

Aidez-les à nommer leurs émotions

L’une des choses les plus utiles que les parents puissent faire pour aider leurs fils à conserver la vulnérabilité émotionnelle innée avec laquelle ils sont nés est de leur apprendre à mettre un nom sur ce qu’ils ressentent, explique Cara Natterson, pédiatre et autrice de Decoding Boys : New Science Behind the Subtle Art of Raising Sons (Décoder les garçons : la nouvelle science derrière l’art subtil de l’éducation des fils).

Il s’agit d’un élément important du développement de ce que certains appellent le QE, ou intelligence émotionnelle, qui peut aider les enfants, même très jeunes, à comprendre qu’il est normal et attendu qu’ils ressentent des émotions difficiles. Et qu’il est utile de se mettre à l’écoute de ces émotions plutôt que d’essayer de les repousser.

« Il ne faut pas leur dire ce qu’ils ressentent, mais les aider à identifier ce qu’ils ressentent », explique Mme Natterson. L’étape suivante consiste à dire à son fils que vous remarquez qu’il s’exprime et que vous appréciez cet effort. Et par exemple lui dire : « Quand tu pleures, cela me montre que tu es triste et cela m’aide, parce que je ne saurais pas autrement que quelque chose te contrarie », poursuit la pédiatre.

Le fait d’entamer ce genre de conversations et d’efforts dès le plus jeune âge peut aider à préparer le terrain pour que les garçons sachent qu’ils peuvent venir vous parler de n’importe quel type d’émotion lorsqu’ils grandiront.

« La culture de la masculinité telle qu’elle imprègne l’enfance est encore largement invisible, considérée comme acquise et normalisée », précise Michael Reichert, psychologue et directeur exécutif du Centre pour l’étude de la vie des garçons et des filles à l’université de Pennsylvanie.

Malheureusement, la fenêtre d’opportunité pour qu’en enfant développe son QE peut être étroite. Selon Cara Natterson, les enfants ont tendance à « changer d’attitude » vers l’âge de 12 ans, âge auquel ils cessent de considérer leurs parents comme les principales sources d’information et de connexion dans leur vie, et commencent à se tourner davantage vers leurs pairs. Et pour certains enfants, la « perte de vulnérabilité » commence bien avant cela, prévient Mme Natterson. Cela ne veut pas dire que le développement de l’intelligence émotionnelle ne peut se faire que lorsque les enfants sont très jeunes, mais c’est un rappel qu’il faut commencer sans doute plus tôt que vous ne le pensiez.

Par ailleurs, si vous avez des fils plus âgés qui avaient l’habitude d’être plus ouverts avec vous sur ce qu’ils ressentaient et vivaient sur le plan émotionnel mais qui ne le font plus, vous devez absolument leur faire savoir, conseille Cara Natterson. « Dites-leur ce qui vous manque », a-t-elle insisté. « Aidez-les à comprendre qu’il n’y a pas de jugement ou de honte ».

JOSE LUIS PELAEZ VIA GETTY IMAGES
JOSE LUIS PELAEZ VIA GETTY IMAGES

Demandez de l’aide

L’une des dernières choses que les parents épuisés et manquant de temps dans leur vie veulent faire est de s’attaquer aux assocations ou institutions fréquentées par leurs enfants, et d’exiger qu’elles s’attaquent aux normes restrictives en matière de genre, reconnaît Emma Brown.

Mais de tels efforts peuvent être divisés en petites étapes faciles à gérer. Emma Brown a interviewé un jeune homme qui était un joueur de football passionné, mais qui en avait assez du langage utilisé dans les vestiaires. Il s’est adressé à son entraîneur, qui a relevé le défi de changer la culture des vestiaires et a commencé à utiliser un programme appelé Coaching Boys Into Men (entraîner les garçons à devenir des hommes). Un programme relativement bref, fondé sur des données probantes, qui utilise le sport pour enseigner aux athlètes le respect et la non-violence - et qui a changé la culture de son équipe.

« Les entraîneurs peuvent être des figures tellement puissantes dans la vie de nos fils que le fait de s’engager dans cette voie a fait une énorme différence », se réjouit Emma Brown. Il n’y aura pas toujours de solutions aussi claires, mais la journaliste a donné cet exemple pour montrer que le simple fait de demander de l’aide peut entraîner des changements concrets.

Montrez-vous, vous aussi, vulnérable

Si vous voulez que les enfants expriment leurs émotions et reconnaissent leur vulnérabilité émotionnelle, il est important de leur montrer que vous aussi, vous êtes émotionnellement vulnérable - tout en reconnaissant que la vulnérabilité n’est pas nécessairement quelque chose qui nous sert dans tous les contextes.

« C’est de plus en plus vrai au fur et à mesure que les enfants grandissent », selon la pédiatre Cara Natterson. « Si vous êtes super-stoïque, mais que vous demandez à votre enfant d’être émotionnel et vulnérable avec vous, il y aura un conflit. » Certains pères, en particulier, peuvent avoir du mal à exprimer leur vulnérabilité émotionnelle, parce qu’ils ont eux-mêmes été freinés par des normes restrictives en matière de genre. Mais Mme Natterson a été étonnée par le nombre d’hommes avec lesquels elle s’est mise en contact et qui ont bien réagi. « De nombreux pères sont très reconnaissants que le monde ait changé et qu’on leur ait donné la permission de partager leurs sentiments », selon elle.

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