"Padam Padam": comment le tube de Kylie Minogue est devenu l'hymne du mois des fiertés 2023

Depuis Edith Piaf, jamais un Padam Padam n'avait fait autant de bruit. Cette chanson de Kylie Minogue, qui n'a en commun avec celle de l'icône française que le titre, est le carton surprise du printemps. Sortie mi-mai, elle a résonné partout pendant le mois des fiertés.

Depuis les émeutes du bar gay de Stonewall qui ont donné naissance à la LGBT-pride, en 1969 à New York, c'est chaque année en juin que s'organisent partout dans le monde les défilés en faveur des droits de cette communauté. Et aux quatre coins du globe, le titre électropop de la chanteuse australienne s'est imposé comme l'hymne non-officiel des marches des fiertés 2023 - et des célébrations qui les ont accompagnées.

Naissance sur le web

Comme pour la plupart des tubes post-pandémie, l'histoire du succès de Padam Padam - une onomatopée rappelant les battements d'un cœur - s'est en partie écrite sur TikTok. Le chanson raconte la rencontre de deux personnes en boîte de nuit qui se terminera sans doute dans un lit ("Padam, Padam, je l'entends et je sais / Padam, Padam, que tu veux me ramener chez toi...").

Le clip sorti le 18 mai met en scène une Kylie Minogue plus diva que jamais, gainée dans une combinaison écarlate, dont la longue traîne vole au vent. Autour d'elle, des danseurs reprennent les pas d'une chorégraphie simplissime, mettant implicitement les internautes au défi de les imiter.

Défi relevé. Depuis des semaines, l'application regorge de vidéos dans lesquelles des TikTokeurs reproduisent ces mouvements au rythme de la chanson, offrant au titre une publicité virale et gratuite. Très vite, le morceau devient un phénomène incontournable de la plateforme; le hashtag #padampadam y cumule à ce jour près de 40 millions de vues.

Padam Padam se transforme alors en mème. Les détournements se multiplient, de vidéos TikTok en publications Twitter. Une pastille, notamment, dans laquelle les employés d'un magasin britannique de tissus dansent sur le morceau, fait le tour du web.

De TikTok aux classements

Ce carton numérique se manifeste aussi dans les charts: Padam Padam se hisse à la septième place du classement Billboard consacré aux titres électro - un exploit, le marché américain ayant souvent boudé la chanteuse australienne. Surtout, le morceau arrive huitième au Royaume-Uni, faisant d'elle l'une des quatre artistes féminines à être apparues au Top 10 durant cinq décennies, comme le rapporte la BBC.

"Je crois que la dernière fois que quelque chose comme ça m'est arrivé, c'était avec 'Can't Get You Out of My Head'", a confié l'artiste de 55 ans à Hits Radio, citant ce tube planétaire qui lui a offert le come-back de sa carrière en 2001.

"Padam Padam nous a tous pris par surprise, et je ne pourrais pas être plus heureuse", a-t-elle pouruivi. "Je pense que ça n'arrive qu'une fois dans une vie! Le fait que ça arrive à nouveau, pour moi c'est fou."

Un nouveau "mot d'argot gay"

Dans le monde anglophone, cette onomatopée prend même des allures de néologisme. Le mot "Padam" fait son entrée dans l'Urban Dictionary, plateforme en ligne recensant les mots d'argot de la langue anglaise. La chanteuse s'étend sur la mystérieuse signification de ce terme en interviews:

"Padam a acquis sa propre signification", déclare-t-elle auprès de Today.com. "C'est un bonjour, c'est un au revoir. Il y a un appel et une réponse. Dites-le, et vous devez le renvoyer."

Et ce battement de cœur résonne particulièrement dans la communauté LGBT. À la question "quel est votre mot d'argot gay préféré en ce moment?", un Américain répond sur TikTok: "Padam! (...) Les gens me demandent 'Tu fais quoi ce soir?' et je réponds 'Padam'. Ca qui signifie: être gay et passer un super moment."

Cette expression et son appropriation s'inscriraient dans une tradition propre à la communauté LGBT, analyse le journaliste Louis Staples dans Harper's Bazaar: "Les personnes queers ont une propension à se servir de l'art comme d'un langage codé que nous seuls - les initiés - comprenons", expose-t-il:

"Un exemple historique serait celui du Castro District (quartier gay de San Francisco, NDLR) dans les années 1970, quand il y avait tout un code vestimentaire observé par les hommes gays. Les mouchoirs de différentes couleurs, le port de Converse ou de chemises de flanelle signifiaient tous quelque chose."

"Padam, Padam" au parlement britannique

Plus qu'une chanson, Padam Padam tutoie le statut de phénomène culturel. Mi-juin, alors qu'il prenait la parole au parlement britannique pour parler de l'importance du mois des fiertés, le travailliste Lloyd Russell-Moyle a cité la chanson: "Joyeux mois des fiertés. Que nos cœurs l'emportent sur la haine. Et pour finir, monsieur le président de la Chambre des communes, pour reprendre les mots de Kylie Minogue: Padam, padam."

Lors d'une visite au Stonewall Inn en début de semaine à New York, l'animateur gay américain Andy Cohen a fait découvrir à la vice-présidente des États-Unis Kamala Harris "le nouveau tube de l'été".

Dans les colonnes du New York Times, pour qui le titre est "en route pour atteindre le statut de classique gay", le D.J. Sean McMahill analyse: "La création d'une nouvelle formule accrocheuse aux accents pop culture à injecter dans une conversation, c'est toujours populaire chez les gays. Et le fait qu'elle vienne de Kylie aide, ça ne fait aucun doute."

Un public déjà conquis

Car Kylie Minogue, comme Madonna, Cher ou Mylène Farmer, a toujours bénéficié d'un écho particulier au sein de la communauté gay. "Ils m'ont un peu adoptée", déclarait-elle il y a quelques semaines à ET Canada:

"Il y a eu plein de moments (dans ma carrière) qui n'ont pas été plaisants. Et j'ai eu l'impression que mon public gay ressentait une certaine solidarité. Ils m'ont protégée."

Et solidaires, ils l'ont été, pour faire faire décoller Padam Padam. "C'est comme si Kylie avait implanté des interrupteurs dans les cerveaux de tous les gays et qu'elle les avait programmés pour qu'ils s'allument à la première écoute de Padam Padam", s'amuse Fur Trap, un autre DJ, dans le New York Times. "Nous sommes tous ses Padam-zombies, maintenant".

Les différentes marches des fiertés autour du globe auront servi de caisse de résonnance à ce que le Guardian qualifie de "padamie". Comme le montre un nombre incalculable de vidéos publiées sur les réseaux sociaux, la voix de Kylie Minogue a résonné partout. La chanteuse elle-même est venue donner une prestation surprise le week-end dernier dans un club de New York.

Peut-être, aussi, que le carton de Padam Padam au sein de la communauté homosexuelle est le symptôme du climat d'angoisse qui agite le milieu LGBT aux États-Unis, où plus de 500 projets de loi visant à limiter les droits des personnes transgenres ont été déposés depuis le début de l'année, comme le rapporte Le Monde. C'est l'analyse de Karen Tongson, spécialiste de la pop-culture et des études de genre à l'Université de Caroline du Sud:

"Le single est arrivé de manière fortuite, à un moment où la communauté queer des États-Unis se sent particulièrement tourmentée, attaquée", expose-t-elle pour ABC News.

"On assiste à des efforts coordonnés aux États-Unis pour attaquer et diaboliser la communauté LGBT", poursuit-elle. "Padam Padam a coïncidé avec ce moment de conflit et de désespoir, et nous a rappelé l'intensité, la lumière et la joie queer, la propension à célébrer que l'on retrouve dans l'identité queer."

Article original publié sur BFMTV.com