Où sont donc les armes de destruction massive ?

Plus le temps passe, plus les interrogations se multiplient, alors qu’aucune arme chimique ou biologique n’a encore été retrouvée en Irak. L’administration Bush a toujours affirmé que l’Irak en détenait et qu’elles représentaient une menace imminente pour les Etats-Unis. En octobre, la CIA a publié un rapport établissant que Bagdad continuait même à fabriquer des matériels de ce genre. Cette menace supposée a ostensiblement justifié que l’on court-circuite les inspections des Nations unies et que l’on déclenche la campagne militaire contre le régime de Saddam Hussein.
Jusqu’à présent, aucune arme de destruction massive n’a été utilisée contre les troupes alliées. Et aucune n’a été retrouvée, sous quelque forme que ce soit. Certes, les recherches ne durent que depuis quelques semaines, mais la situation nous amène à envisager trois possibilités : les services de renseignements américains ne savent pas exactement où se trouvent ces armes ; ces armes ne sont entreposées que dans les zones contrôlées par les unités fidèles à Saddam Hussein ; ou l’Irak n’en a pas, ce que répète sans cesse le régime.
Si des armes de destruction massive sont découvertes, les partisans de la guerre en profiteront pour justifier l’intervention menée par les Etats-Unis. Mais si ces équipements sont dénichés grâce aux informations fournies par les services de renseignements américains, il faudra alors se poser d’autres questions. Si Washington savait où se trouvaient ces matériels, pourquoi cette information n’a-t-elle pas été transmise aux inspecteurs de l’ONU ? Si l’on avait pu recourir aux inspecteurs pour neutraliser ces armes, pourquoi la guerre était-elle nécessaire ?
Si ces armes sont retrouvées par hasard, on pourra penser que les inspecteurs auraient pu tomber dessus de la même manière que l’armée américaine, compte tenu des délais qu’ils réclamaient pour poursuivre leurs recherches. De plus, sauf si elles appartiennent à la catégorie la plus puissante (gaz neurotoxique VX ou bacille du charbon militarisé) et si elles existent en grandes quantités, la question se posera de savoir pourquoi elles représentaient la menace imminente dénoncée par l’administration. Par conséquent, la découverte de ces équipements ne signifiera pas en elle-même qu’une action militaire était nécessaire, ni que la guerre était la seule façon de les découvrir et de les neutraliser.
Pire encore pour la position que défendent les Etats-Unis, chaque jour qui passe encourage la théorie du complot selon laquelle toute arme biologique ou chimique découverte pourrait avoir été placée là par les troupes américaines. Face au sentiment antiaméricain croissant et aux soupçons quant aux motivations de la Maison-Blanche et aux informations qui en proviennent, convaincre les autres pays que toute arme retrouvée appartiendrait bel et bien à Saddam Hussein risque d’être difficile.
Pour couper court à ce genre d’allégations, l’administration Bush devrait veiller à ce que les inspecteurs de l’ONU reviennent en Irak dès que des armes seront mises au jour, afin qu’ils procèdent à une évaluation objective de ce qui a été découvert. Mais compte tenu de la vigueur de l’hostilité des faucons de l’équipe présidentielle envers les Nations unies, un tel développement paraît plus qu’improbable.
Qu’aucune arme de destruction massive ne soit effectivement retrouvée en Irak serait catastrophique pour l’administration et pour la crédibilité des Etats-Unis. Dans les semaines qui ont précédé les hostilités, de hauts responsables américains - dont le président Bush - ont fait état de programmes d’armement irakiens qui étaient erronés - voire purement et simplement inventés. De nombreux groupes et de nombreux pays se serviront de l’incapacité à découvrir des armes chimiques et biologiques pour vilipender les Etats-Unis. Cela ne fera que renforcer l’idée que ces armes n’étaient qu’un prétexte pour éliminer le régime de Saddam Hussein, pour de tout autres raisons politiques ou géostratégiques. Tout ce que les Etats-Unis pourront tenter pour affirmer que l’Irak a détruit ou exporté ses armes à la dernière minute sera considéré avec un grand scepticisme.
Mais le plus inquiétant est qu’une telle évolution priverait les Américains de toute crédibilité internationale sur la question des armes de destruction massive. Les Etats-Unis pourront dénoncer les programmes d’armement et les intentions de la Corée du Nord et de l’Iran, et ils se heurteront à la méfiance du reste du monde. Washington aura plus que jamais du mal à trouver des solutions internationales à ces graves menaces pour la non-prolifération.

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