"Il n'y a aucun ressentiment": un an après, le quotidien quasi inchangé des Français de Russie

"La France, c'est un ennemi." Invité en janvier sur BFMTV, le très francophone mais également très va-t-en-guerre Piotr Tolstoï, vice-président de la Douma, avait averti de la rapide dégradation des relations entre Paris et Moscou, après l'annonce de l'envoi de chars lourds en direction de l'Ukraine.

À cette sortie détonante, il faut ajouter les multiples menaces à peine voilées des propagandistes de la télévision russe, dont certains ont même appelé à des frappes préventives sur le territoire français. Tous les éléments d'une crise ouverte, malgré tout nuancée par le porte-parole de l'ambassade de Russie en France, Alexandre Makogonov, qui préfère évoquer une incompréhension entre les deux pays.

"Je ne peux pas appeler la France ennemie, c’est impossible, mais notre ressentiment est très profond, nous sommes déçus", avait-il dit, évoquant des dommages forts dans l'imaginaire collectif russe.

"Un amour très particulier de la France"

Un an après le début du conflit ukrainien, les relations diplomatiques entre les deux pays se sont dégradées, mais qu'en est-il des relations humaines entre Russes et Français? Franck Ferrari, conseiller des Français de l’Étranger de Russie et de Biélorussie, estime capital de séparer le discours officiel de la réalité du terrain.

"C'est un discours pour la télévision, Tolstoï parle en Français c'est qu'il y a une raison, mais cela n'a pas d'écho ici, tout est normal au niveau du ressenti", assure-t-il à BFMTV.com.

"Il n’y a aucun ressentiment, je n’ai jamais eu à en souffrir", abonde Cécile Rogue, en Russie depuis 27 ans. "Les Russes sont très contents que les Français soient toujours là", affirme-t-elle auprès de BFMTV.com. "Il y a une reconnaissance de ne pas avoir lâché", explique Cécile Rogue, en Russie depuis 27 ans.

"Ici, les gens ont un amour très particulier pour la France et tiennent en estime les gens qui viennent de pays avec un meilleur niveau de vie que le leur, cela prouve pour eux un réel attachement à la culture russe", estime Isaac*. Cet étudiant, installé à Saint-Pétersbourg, a refusé de rentrer en France après le début de la guerre en Ukraine, malgré les suppliques de ses parents.

"Ils poussaient pour que je rentre, j’ai dit non, maintenant ils comprennent, ils sont plutôt calmes", ajoute-t-il.

Contacté par BFMTV.com, le consulat général de France à Moscou confirme d'ailleurs que le nombre de Français présents en Russie n'a guère évolué depuis le début du conflit. Selon le registre consulaire, ils étaient 4985 en mai 2022, dont une immense majorité à Moscou. Ce chiffre est cependant à nuancer: l'inscription ou la désinscription à ce registre n'étant pas imposée aux expatriés.

Deux pays très liés

Journaliste français basé à Moscou, Paul Gogo affirme à BFMTV.com ne pas ressentir non plus de colère de la part des Russes, malgré l'"incompréhension" causée par les livraisons d'armes accordées à Kiev

"Sans tomber dans le cliché, les deux pays sont très liés au niveau de la culture, de l’histoire, il y a un attachement des Russes pour les Français", résume-t-il. "Dans un café de Saint-Pétersbourg, voyant que j'étais journaliste, une dame m'a remercié d'être encore là."

La considération des Russes pour la France remonte au siècle des Lumières. Un intérêt culturel qui ne s'est jamais étiolé, et qui se traduit désormais par des références parfois surprenantes. Encore aujourd'hui, "on parle beaucoup de Joe Dassin, de Patricia Kaas ou de Gérard Depardieu", confie même Paul Gogo.

Isaac signale même avoir vu "une silhouette taille réelle de Samy Naceri", à la porte d'un supermarché d'une ville minière située au-delà du Cercle arctique. Le héros de la franchise Taxi jouit en effet d'une notoriété importante en Russie.

Un quotidien presque inchangé

Depuis le début de l'invasion russe en Ukraine, les sanctions économiques contre Moscou se sont multipliées. Elles ont eu pour conséquence le départ de nombreuses marques occidentales du pays et la mise au ban de Moscou des systèmes bancaires. Mais cela n'a changé qu'à la marge la vie des Français encore présents sur place.

"Les Russes sont un peuple qui s’adapte très vite et très facilement", clame Isaac, pour qui "les sanctions sont une connerie".

Il en veut pour preuve la disparition durant quelques semaines de produits, rapidement remplacés "par des placebos russes": "Il y a le Cool-Cola, les McDonald's et Starbucks franchisés ont été rachetés et remplacés." L'étudiant assure même être "surpris de la qualité". "C'est presque meilleur", affirme-t-il. "Ils sortent une copie russe de bonne qualité et moins chère."

Mêmes échos du côté de Cécile Rogue, qui dénonce toutefois des petites choses "frustrantes" et "pesantes": "Par exemple des sites sont bloqués et on n’a pas accès à Netflix ou Apple, certains sites officiels sont interdits. (...) Des grandes marques sont parties, comme Zara, Uniqlo ou Ikea". Des bloquages facilement évitables avec l'emploi d'un VPN.

"On se sent paria, mais dans le fond, ce n’est pas grand-chose", dit-elle, soulignant que "les fonctions de base" sont assurées.

"Le plus handicapant c’est pour ceux qui voyagent", ajoute-t-elle, puisque les vols directs n'existent plus depuis la France et la majorité des pays européens. "C’est contraignant, il faut faire escale par les pays baltes, Dubaï ou Istanbul, c’est plus cher."

Isaac de son côté pointe quelques difficultés pour l'argent, étant donné que les cartes bancaires Visa et Mastercard ne sont plus utilisables. "Je traverse la frontière en Estonie pour aller chercher des euros en cash, on peut rentrer avec 10.000, je reviens et je change au compte-goutte", dit-il.

Finalement, Franck Ferrari pointe une inflation qui touche certains produits de luxe ou les restaurants. Une augmentation également observée par Thomas, étudiant à Moscou, qui prend en exemple le vin et le fromage "déjà assez chers en Russie". "Cela reste toujours accessible, mais le prix a bien évidemment augmenté depuis les sanctions", termine-t-il.

* Le prénom a été modifié, à la demande de l'intéressé.

Article original publié sur BFMTV.com