"Il n'y a pas 36 solutions": comment les bénévoles des associations s'arrangent pour "faire plus avec moins"

Depuis les locaux des Restos du Cœur d'Asnières-sur-Seine (Hauts-de-Seine), Nicole ne cache pas ses craintes, après le cri d'alerte du président de l'association Patrice Douret dimanche sur TF1. "Dans l'avenir je ne sais pas comment ça va se passer", s'inquiète cette jeune femme, qui est depuis deux ans à la fois bénévole et bénéfiaire de l'organisation caritative créée en 1985 par Coluche.

"Depuis le Covid, tout a augmenté, j'ai du mal à m'en sortir. J'ai un revenu mais qui n'est pas suffisant pour survivre tout au long de l'année. J'espère que les choses vont s'arranger", confie encore cette femme aux "revenus modestes" au micro de BFMTV.

"Une fois que je paye mon loyer, il ne me reste pas grand chose".

Dimanche, le président de l'association a fait savoir qu'ils s'étaient résignés à réduire de 150.000 personnes cet hiver le nombre de bénéficiaires de leur aide alimentaire. Une information confirmée par Claude Bougère, secrétaire générale bénévole de l'association, interrogée par BFMTV pour Le Titre à La Une.

"Changer le barême d'accueil, c'est exclure des gens"

"Les dons que l'on reçoit ne couvrent plus suffisamment notre niveau d'activité", confie Claude Bougère. "On est passés de 142 millions de repas distribués l'année dernière à 170.000" cette année, en raison selon elle de "l'enchaînement de crises" successives, notamment "la crise géopolitique, le Covid et leurs conséquences sur l'inflation et les coûts énergétiques".

"Il est très clair qu'entre l'été 2022 et l'été 2023, on constate 24% de personnes supplémentaires dans notre antenne", note Thierry Sarrazin, responsable départemental des Restos du Cœur du Nord interrogé par BFMTV.com.

En parrallèle, les dons s'amenuisent à mesure que l'inflation est galopante. "Avant on récupérait des produits de supermarchés dont la date de péremption était proche, ou des fruits et légumes un peu avancés. Mais on remarque qu'avec la crise, la quantité et la qualité de ces produits est de moins en moins bonne, et on est parfois obligés d'en jeter une petite partie qui arrive en fin de course".

"Certains bénéficiaires, notamment les enfants, font un peu la tête quand ils voient leurs paniers. Et ils ont raison: la qualité des produits est moins bonne, et les paniers sont bien moins variés qu'ils ne pouvaient l'être auparavant", remarque encore Thierry Sarrazin. "On fait ce qu'on peut: c'est-à-dire qu'on essaie de faire le plus avec le moins".

"Au lieu de donner 6 bouteilles de lait, on en donne 4"

Ainsi, lui-aussi assure que la seule solution pour que les Restos du Cœur puissent rester à flot est "de changer le barême d'accueil" des bénéficiaires. "Ce qui revient à exclure des gens", souffle-t-il. L'association Le Secours Populaire, elle, ne compte pas couper dans le nombre de bénéficiaires dans un futur proche. Toutefois, elle non plus n'a d'autre choix que de réduire la quantité et la qualité des produits distribués.

"Avec les Restos du Cœur, ça fait des mois qu'on tire la sonnette d'alarme pour dire qu'on est dans le rouge", insiste aussi Jean Stellitano, secretaire général du Secours Populaire des Alpes-Maritimes à BFMTV.com.

Il explique qu'au quotidien, la quarantaine de bénévoles sont contraints de faire des "arbitrages constants". "C'est insidieux car ça se décide à l'échelle humaine. Voyant leurs rayons de moins en moins remplis, ils se mettent d'accord entre-eux sur la façon de répartir leurs denrées. Et je peux vous dire que ça suscite beaucoup de frustration et de colère" dans leurs rangs.

"Les gens ne repartent pas sans rien, mais ça se complique beaucoup", confirme Cathy Mathieu, bénévole à Cagnes-sur-Mer (Alpes-Maritimes) depuis une dizaine d'années.

"Cet été c'était tellement tendu qu'on a même dû annuler une activité vers un parc aquatique pour privilégier l'alimentaire".

"Il n'y a pas 36 solutions: au lieu de donner six bouteilles de lait, on en donne quatre", explique aussi Maria Bruni, retraitée de 72 ans et bénévole au sein de cette antenne locale du Secours Populaire. "Si on veut que tout le monde ait un peu, il faut répartir. Donc irrémédiablement les paniers sont plus petits."

"C'est nous qui pansons les plaies tant qu'on peut "

La septuagénaire raconte à BFMTV.com que depuis la crise ukrainienne, le Secours Populaire de Cagnes-sur-Mer a dû passer d'une à deux collectes par semaine en raison de la hausse du nombre de demandeurs. "Sauf qu'on a moins de choses à distribuer qu'avant. Par exemple on achète pratiquement plus les produits frais comme le poisson pané, les yaourts ou les nuggets. Les produits un peu plus 'hauts de gamme' qu'on avait l'habitude d'acheter dans les enseignes locales bio non plus".

"Ça fait de la peine, mais surtout ça nous met en colère", confie Maria Bruni, "car les gens ont parfois l'impression qu'on veut moins bien les servir ou qu'on est trop regardants. Alors qu'on a qu'une seule envie, c'est de donner plus. Mais on est évidemment limités par les moyens."

"C'est nous qui pansons les plaies tant qu'on peut mais il est clair qu'on ne pourra pas éternellement continuer à mettre la poussière sous le tapis", s'inquiète encore Cathy Mathieu.

Après les Restos du Cœur et le Secours Populaire, la Croix-Rouge française a également lancé un appel à l'aide ce lundi: l'association se dit confrontée à des difficultés financières en raison d'une forte hausse de ses coûts de fonctionnement et d'un afflux de demandes d'aide, qui ont progressé de 7% au premier semestre, par rapport à la même période l'an dernier.

"Nous faisons également face à une augmentation de 45 millions d'euros de nos coûts d'énergie, malgré les dispositifs d'aide mis en place par l'Etat", a déclaré Nathalie Smirnov, directrice générale de la Croix-Rouge française à l'AFP. Lundi, l'exécutif a promis une aide de l'Etat de 15 millions d'euros pour les Restos du Cœur, et la famille de Bernard Arnault, propriétaire du numéro un mondial du luxe LVMH, de 10 millions.

Article original publié sur BFMTV.com