Nucléaire: L'Iran suspend des engagements, lance un ultimatum

par Bozorgmehr Sharafedin

LONDRES (Reuters) - Un an jour pour jour après l'annonce du retrait américain de l'accord de Vienne sur le nucléaire iranien, l'Iran a suspendu mercredi une partie de ses engagements en donnant 60 jours aux autres signataires pour mettre en oeuvre leurs promesses de protéger Téhéran contre les sanctions de Washington.

Le président iranien Hassan Rohani a adressé une lettre aux dirigeants des cinq pays signataires restants (Chine, Russie, France, Royaume-Uni, Allemagne) pour les informer de cette décision tout en soulignant que Téhéran ne souhaitait pas l'échec du Plan d'Action global commun (PAGC) conclu en juillet 2015 à Vienne.

"Si les cinq pays s'assoient à la table des négociations et que nous concluons un accord, s'ils peuvent protéger nos intérêts dans les secteurs bancaire et pétrolier, nous reviendrons à la case départ (et reprendrons nos engagements)", a déclaré Hassan Rohani dans un discours télévisé.

"Le peuple iranien et le monde doivent savoir que ce jour ne marque pas la fin du PAGC", a souligné le président iranien. "Ce sont des actions conformes au PAGC."

Les mesures annoncées par Téhéran ne semblent pas contrevenir jusqu'ici aux dispositions prévues par l'accord de Vienne, que l'Iran continue de respecter selon l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), mais pourraient remettre en cause le PAGC si elles étaient renforcées à terme.

"SOIXANTE JOURS POUR LA DIPLOMATIE"

Hassan Rohani a annoncé que la République islamique cesserait désormais de vendre son uranium enrichi et son eau lourde à l'étranger. Cette mesure, prévue par l'accord de 2015 pour plafonner les stocks de ces matériaux en Iran, n'est plus applicable depuis que Washington a annoncé la semaine dernière qu'il annulait une dérogation permettant cette vente.

Hassan Rohani a ajouté qu'en l'absence de résultats après 60 jours, Téhéran reviendrait sur d'autres engagements et augmenterait son niveau d'uranium enrichi, plafonné à 3,67% par l'accord de Vienne.

"Après un an de patience, l'Iran cesse d'appliquer des mesures que les Etats-Unis rendent impossibles à mettre en oeuvre", a déclaré dans un tweet le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif. "EU/E3+2 (les trois signataires européens + Russie et Chine) ont une fenêtre étroite pour inverser la donne."

En visite à Moscou, le chef de la diplomatie iranienne a particulièrement ciblé les trois signataires européens du PAGC qu'il a accusés de ne pas avoir respecté leurs engagements.

"Ils ont fait de belles déclarations mais en pratique, il ne s'est rien passé", a déclaré Mohammad Zarif. "Les mesures que nous avons prises aujourd'hui entrent dans le cadre de l'accord et elles peuvent être annulées. Il y a une fenêtre de 60 jours pour la diplomatie", a-t-il ajouté.

Le Kremlin a estimé que la communauté internationale payait aujourd'hui les conséquences de la décision de Donald Trump il y a un an. Il a jugé prématuré d'évoquer des sanctions contre l'Iran.

Dans son discours, Hassan Rohani a mis en garde contre la "réponse ferme" de la République islamique si le Conseil de sécurité des Nations unies décidait de sanctionner à nouveau l'Iran mais il a souligné que Téhéran était prêt à négocier.

"RIEN DE PIRE" QU'UN RETRAIT IRANIEN, DIT PARLY

A Paris, la ministre française des Armées, Florence Parly, a déclaré mercredi que la question d'un réenclenchement du mécanisme de sanctions à l'encontre de l'Iran se poserait si les autorités de Téhéran venaient à ne plus respecter les dispositions de l'accord nucléaire de 2015.

Mais pour Florence Parly, qui s'exprimait sur BFM TV et RMC Info, "rien ne serait pire" aujourd'hui qu'un retrait de l'Iran de ce même compromis. "Rien ne serait pire que de mettre à bas l'économie iranienne", a souligné la ministre.

A Pékin, le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères Geng Shuang a déclaré lors d'un point presse quotidien que l'accord de Vienne devait être pleinement respecté et que toutes les parties avaient la responsabilité de s'en assurer.

Donald Trump a dénoncé l'accord de Vienne il y a un an, ouvrant la voie au rétablissement des sanctions économiques levées après son entrée en vigueur. Les signataires européens s'efforcent depuis de le sauver en contournant ces sanctions, qui s'étendent aux partenaires commerciaux de Téhéran.

La pression de Washington sur l'Iran s'est accentuée depuis l'expiration, le 1er mai, des dérogations qui avaient permis à huit pays (Chine, Inde, Corée du Sud, Turquie, Grèce, Italie, Japon et Taiwan) de continuer à importer du brut iranien pendant six mois.

Les tensions se sont également accrues entre Washington et Téhéran en raison de l'inscription début avril par les Etats-Unis du corps des gardiens de la Révolution sur une liste noire d'organisations terroristes.

A Jérusalem, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a réaffirmé la position affichée de longue date par Israël, à savoir que l'Etat hébreu était résolu à empêcher l'Iran de se doter de l'arme nucléaire.

(avec Sophie Louet à Paris, Ben Blanchard à Pékin, Tom Balmforth à Moscou, Dan Williams à Jérusalem; Jean-Stéphane Brosse pour le service français)