La N'Tcham, fierté gabonaise, veut faire danser le monde

Des clients dansent au rythme de la N'Tcham dans un bar de Libreville, le 2 avril 2024 (WILFRIED MBINAH)
Des clients dansent au rythme de la N'Tcham dans un bar de Libreville, le 2 avril 2024 (WILFRIED MBINAH)

Les soirées gabonaises ne peuvent plus s'en passer: issu d'une danse née dans les prisons de Libreville, le rythme de la N'Tcham a conquis la jeunesse et ses artistes entendent bien le faire résonner au delà des frontières du pays.

Dans un bar du quartier des Charbonnages à Libreville, on se lève et danse, dès les premiers airs lancés par le DJ. Cette musique emprunte au rap, à l'afrobeat et embrasse les sonorités traditionnelles de l'Afrique centrale.

Chez les jeunes gabonais, ce genre musical local a détrôné l'Afrobeat Nigérian et l'Amapiano Sud-Africain, dont le retentissement est planétaire.

Les fêtards connaissent sur le bout des doigts les paroles d'artistes comme l'Oiseau Rare, Eboloko ou Général Ithachi, qui cumulent des millions d'écoutes sur les plateformes et s'imposent comme les nouveaux grands noms de la musique dans le pays.

"En argot, la N'Tcham, c'est la bagarre", explique Essone Obiang de la plateforme de streaming gabonaise Gstore Music.

"C'est une danse née en milieu carcéral qui exprime toute la violence qu'il y a dans les quartiers populaires, les braquages, les agressions", décrypte-t-il.

Sorties de prison, des chorégraphies ont émergé les morceaux de musique.

"C'est comme le hip-hop, on part de la danse, puis il faut qu'on danse sur une musique", explique Essone Obiang qui qualifie le phénomène de "pop du Gabon".

- "Conflit de génération" -

Avec ses "40 millions de streams", L'Oiseau Rare est fier de représenter le patrimoine de son petit pays francophone d'Afrique centrale de deux millions d'habitants.

"La N'Tcham a des instruments propres : des cithares, des flutes et des cuivres et surtout un rythme afrobeat ou dansehall accéléré", explique-t-il à l'AFP.

Et si les artistes manient la langue française dans leurs paroles, la N'Tcham est "principalement basée sur l'argot". Un avantage pour cet artiste qui "maitrise à la perfection", la "langue du ghetto au Gabon".

Passé par un séjour en détention, l'"enfant terrible de Libreville", raconte son vécu dans ses textes et cherche à contrer les préjugés.

"C'est un peu compliqué avec les puristes", souffle l'Oiseau Rare qui regrette "le dénigrement" de cette musique "dont la plupart des artistes viennent du ghetto".

Et au Gabon, le désaveu vient parfois de la scène rap, qui met un point d'orgue à faire bande à part.

"Il y a des rappeurs qui considèrent que les messages véhiculés par la N'Tcham font l'apologie des mauvaises mœurs", explique Fallone Endambo Makata, réalisatrice d'un documentaire sur le sujet.

"Les artistes de N'Tcham, sont héritiers de ce que les rappeurs avaient bâti, aujourd'hui ils ont leur propre langage, leur propre attitude, leurs propres codes, au final, leur propre musique, qui n'a pas grand-chose à voir avec ce qui s'est fait avant, c'est une sorte de conflit de génération", analyse Essone Obiang.

- "Sortir du Gabon" -

Dans un studio du quartier d'Alibandeng à Libreville, Dementos, jeune artiste de 22 ans, s'est récemment lancé dans le mouvement et a vu sa carrière décoller.

"J'ai vraiment eu un parcours boosté. Moi-même, je n'ai rien compris", plaisante-t-il.

Ses sons ont atteint des centaines de milliers d'écoutes en quelques mois et l'artiste rêve de "faire sortir la N'Tcham du Gabon".

"Nous sommes écoutés chez nous, c'est bien, mais il faut découvrir d'autres pays, d'autres horizons. Vraiment, c'est mon combat", s'exclame-t-il.

Pour grossir, les artistes de la N'Tcham mettent au point des stratégies de promotion qui reposent quasi-exclusivement sur les réseaux sociaux.

"Ces jeunes-là ont tout à fait compris l'outil internet. Dès qu'un son sort, il devient quasiment viral", analyse Clancy Bissela, co-fondateur de Bweli Tribe, un média spécialisé dans les musiques urbaines africaines.

Fallone Endambo Makata en est convaincue : "Nous aussi on peut rapporter quelque chose qui vient de chez nous et qui peut s'exporter", avance-t-elle.

"Il n'y a pas plus Gabonais à l'heure actuelle, mais c'est un message qui peut être écouté partout en Afrique, même partout dans le monde. Il suffit juste que ça arrive à l'oreille des gens", s'enthousiasme Clancy Bissela.

lnf/emp